Seconde guerre mondiale : un hommage inédit réservé à un résistant du Calvados

Une Stolperstein, un pavé de 10 cm sur 10, a été scellé dans le trottoir devant une maison du Calvados. Un acte artistique et mémoriel pour que le nom de Jean-Pierre Catherine mort à Dora en mars 1945 ne soit jamais oublié. Une première en Normandie.

Stolperstein, pierre d'achoppement en allemand, littéralement pierre sur laquelle on trébuche, pour se souvenir qu'à l'endroit où elle a été enterrée a vécu une victime du nazisme.

Ces Stolpersteine on les doit à l'artiste berlinois Gunter Demnig. Il a lancé ce projet européen pour rappeler la mémoire des hommes et des femmes persécutés, arrêtés, torturés, déportés, puis assassinés  en camp de concentration ou en camp d’extermination parce qu’ils étaient juifs, roms, communistes, opposants politiques, membres de la résistance, homosexuels, handicapées, prisonniers de guerre.
 


Aujourd'hui on compte plus de 77 000 Stolpersteine dans 22 pays européens. Une sorte de cartographie évolutive des victimes du nazisme.
En France, les premières Stolpersteine ont commencé à apparaître en  2013 en Vendée, en Charente, en Gironde, en Alsace et maintenant en Normandie.

Arrêté par la police en pleine classe

La Stolperstein dévoilée à Bretteville-l'orgueilleuse en ce jour de commémoration de l'armistice de la première guerre mondiale rend hommage à Jean-Pierre Catherine, élève à l'école des aspirants de la Marine marchande de Caen, entré dans la résistance en 1940 en formant un groupe avec plusieurs camarades de Bretteville l'orgueilleuse et de Putot-en-Bessin.
 

Jean-Pierre Catherine et d'autres garçons à peine sortis de l'adolescence distribuent clandestinement des journaux et des tracts, cachent des armes, aident des opposants à se camoufler. Ils bravent également une autre interdiction : fleurir les monuments aux morts. Les gerbes déposées le 11 novembre 1942 seront fatales à Jean-Pierre Catherine. Il sera arrêté 8 mois plus tard en pleine classe.

Emprisonné à Caen, il est condamné aux travaux forcés puis envoyé dans le camp du Struthof en Alsace puis dans celui de Dora en Allemagne. Ce camp est destiné à la fabrication des missiles V2, ces fusées pouvant frapper à une distance de 300 kilomètres et qui auraient dû permettre à Hitler de gagner la guerre. Dans ce tunnel-usine, les conditions de travail sont effroyables. Jean-Pierre Catherine n'y survivra pas. Il mourra le 22 mars 1945, dix jours après son 19ème anniversaire.

Pour sa soeur Colette Marin-Catherine, c'est une reconnaissance du sacrifice de son frère, "un jeune homme brillant qui avait 13 ans au début de la guerre et qui était orgueilleux d'être français" explique-t-elle. Cette grande femme élégante âgée de 90 ans a l'aplomb et l'aisance d'une femme qui ne s'en est jamais laissée conter. Elle aussi est entrée dans la résistance à l'âge de 16 ans en tant qu'agent de reconnaissance. Elle s'était mise à la disposition des premiers corps militaires constitués de Bretteville l'orgueilleuse.

Ça secoue! J'ai attendu 90 ans pour voir mon frère revenir à la maison, ça fait un bail. Je suis apaisée de le savoir là.
-Colette Marin-Catherine-

Son autre frère Gaston qui avait 13 ans de plus qu'elle, est mort à son retour de déportation.

Un documentaire à la genèse de cet hommage

Mais comment est venue l'idée de cette Stolperstein? Rien n'aurait germé sans la volonté de plusieurs documentaristes de raconter l'histoire de jeunes héros de la seconde guerre mondiale.

"Au départ il y a l'idée de répondre à cette question : qu'est ce que le courage? explique Alice Doyard, documentariste et jounaliste à la BBC. Comme notre série de documentaires s'adresse au jeune public américain, nous voulions raconter l'histoire de jeunes héros de la seconde guerre mondiale. Nous avons contacté the National WWII museum de la Nouvelle-Orléans qui nous a parlé de Colette Marin-Catherine, qui nous a parlé de son frère, Jean-Pierre."

Et c'est comme cela que Colette Marin-Catherine qui donne régulièrement des conférences dans ce musée et qui reçoit des Américains à chaque anniversaire du débarquement a été happée par cette double aventure, un film et une Stopelstein en hommage à son frère. 
Les documentaristes ont donc imaginé un voyage à Dora  avec la soeur de Jean-Pierre Catherine. En contactant le musée, ils ont découvert qu'une jeune fille, passionnée d'histoire, primée au concours national de la résistance et de la déportation  avait travaillé sur la biographie de Jean-Pierre Catherine pour l'un des historiens de la Coupole, le musée de la seconde guerre mondiale situé à Helfault dans le Pas-de-Calais.
Une véritable cité souterraine construite par l'armée allemande pour lancer sur Londres les fameuses fusées V2 fabriquées à Dora, l'un des vestiges les plus impressionnants de la seconde guerre mondiale transformé aujourd'hui en centre d'histoire.
 

Les documentaristes tenaient leur histoire. "Puisque nous nous adressons à la jeunesse avec notre film, puisque nous voulons bâtir des ponts entre les générations, organisons une rencontre entre Lucie et Colette à Dora", explique Alice Doyard. "Ce fut un moment très émouvant, d'ailleurs quand Lucie et Colette l'évoquent, elles parlent de pèlerinage." 

 

Et c'est à ce moment là que la composition internationale de l'équipe du documentaire a toute son importance. Si elle est majoritairement composée d'Américains, un Allemand fait partie de l'équipe. Un Allemand qui connaît les Stoplersteine et le travail de l'artiste Gunter Demnig.

Les documentaristes décident alors de contacter l'artiste, de commander le pavé et imaginent la scène : la jeune Lucie offrira la Stopelstein à Colette quand elles se rencontreront à Dora. À Colette de la faire sceller ensuite devant la maison où a vécu son frère.

Reportage vidéo du 11 novembre 2019 où la Stolperstein  a été dévoilée par Colette, la soeur du résistant Jean-Pierre Catherine
  

Tout cela fait sens, c'est une histoire de ponts entre les générations, entre les pays. Avec ce film et cette Stolperstein, nous continuons le combat de Jean Pierre et nous continuons de tisser des liens mémoriels. C'est comme le film, au début nous n'étions que quelques uns avec le projet de documentaires courts. Maintenant nous sommes une dizaine et nous espérons  six numéros de 26 minutes visibles sur le web et sur les chaînes américaines. 
- Alice Doyard, documentariste -


Et avec cette Stolperstein, la première dévoilée en Normandie, les documentaristes poursuivent l'oeuvre de Gunter Demnig. Sur son site, l'artiste berlinois âgé aujourd'hui de 72 ans cite le talmud : "Un homme n'est oublié que si son nom est oublié".

À Bretteville l'orgueilleuse, Calvados, 14 000 habitants, désormais plus personne ne pourra oublier le nom de Jean-Pierre Catherine. 

 
Bientôt des Stolpersteine à Rouen
L'artiste Gunter Demnig a intégré officiellement dans son agenda européen la pose de 41 pavés de mémoire à Rouen et à Sotteville-lès-Rouen au printemps 2020.
Ces premières Stolpersteine rappelleront le sort d'enfants rouennais et sottevillais, de leurs parents et grands-parents, déportés et assassinés à Auschwitz.
De nombreux établissements scolaires partenaires ont commencé à mettre en oeuvre des projets pédagogiques avec leurs élèves. 
Le projet est porté par l'association "Pavés de mémoire pour Rouen métropole".
Contact : pavesmemoire.rouen@orange.fr
 
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