Témoignage - "Ma fille n'a pas eu de téléphone portable avant le lycée, ça ne l'a pas protégée pour autant "

Cette maman est partie civile aux côtés de sa fille, dans l'affaire du prédateur sexuel jugé à Caen cette semaine. Comment protéger son ado des pièges du tchat en ligne ? Depuis le viol de sa fille, c'est une question qui la hante. Interdire est, pour elle, la plus mauvaise des solutions.

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Celui qui a volé la jeunesse de sa fille et une partie de leur vie vient d'être condamné par la cour criminelle de Caen  à 15 ans de réclusion pour viols et chantage, au terme de trois jours d'un procès éprouvant. A l'audience, une petite dizaine de témoignages a permis de décrypter le stratagème de ce quadragénaire (né à Rouen et domicilié dans l'Eure) qui harponnait les jeunes filles sur Internet en Normandie et dans 33 départements français, pour les attirer, les manipuler, puis les violer. 

"Il lui a volé les cinq dernières années de sa vie, la mienne aussi"

Parmi ses jeunes victimes, une adolescente de 15 ans, au moment des faits, qui vit entre le Calvados (où habite sa maman) et la Manche (son lieu d'internat dans la Manche).
Angèle* est une adolescente sportive et pleine de vie. Elle est passionnée d'équitation et s'apprête à en faire son métier. Elle ne s'est jamais violemment opposée à sa maman qui ne voulait pas lui donner de téléphone portable avant la fin de sa troisième. Angèle préfère le grand air au tête à tête avec un écran. Mais pour son année de seconde, elle entre à l'internat. Un mois après la rentrée, elle fait une mauvaise rencontre sur Internet. Le prince charmant virtuel se transforme en horrible vieux bonhomme harceleur qui la viole sur le parking de son village, un week-end. Cinq ans après les faits, Angèle et sa maman tentent de tourner la page et attendaient beaucoup du procès pour mettre un point final à leur cauchemar. 

Interview

1/ Est-ce que c'est la faute d'Internet et des réseaux sociaux ? 

"C'est d'abord la faute d'un adulte qui s'est comporté comme un prédateur avec des femmes jusqu'à une adolescente de 15 ans qui n'avait jamais eu de rapport sexuel", explique la mère de la victime. "A mon époque c'étaient les boîtes de nuit qui faisaient peur aux parents. Là aussi, on nous disait de ne pas y aller avant la majorité mais on a tous, un jour ou l'autre, bravé l'interdit. Ma fille est tombée avant tout sur la mauvaise personne. Je me répète en boucle qu'il a suffi d'une fois pour elle. Je lui ai toujours dit de ne jamais monter dans la voiture d'un inconnu et pourtant, elle l'a fait ce jour-là. "

2/ C'est bien la difficulté, ce n'était pas totalement un inconnu pour elle. Elle était inscrite sur un site de rencontres à la mode comme il en existe toujours (Badoo, Tinder, Meetic, etc.) et l'a rencontré sur ce site : Vous saviez qu'elle avait créé un profil ? 

"Non, elle s'était bien réservé de me le dire" "C'était, à ce moment-là, une adolescente discrète et beaucoup dans sa chambre, comme toutes les adolescentes. Elle a fait ça sous l'influence de jeunes filles plus grandes rencontrées dans sa formation professionnelle, qui lui disaient fais ça tu vas voir, c'est drôle. Elle n'avait pas les armes pour faire la différence entre un site de rencontre et une application de messagerie-discussion. Elle aurait pu, de toutes façons, y être trompée de la même manière."

Elle avait un téléphone depuis quelques mois seulement. A la maison, il n'y avait pas d'ordinateur, pas de portable avant le lycée. C'était une règle qui ne posait pas de problème. Elle a eu un téléphone à la fin de la troisième comme prévu et ça correspondait à son départ de la maison pour l'internat et sa formation. Avec le recul, j'aurais dû lui donner peut-être avant pour discuter des risques avec elle. L'interdiction, ça n'a rien de bon finalement. C'est la prévention qui compte.

La maman d'Angèle, victime du violeur sur internet

Angèle s'ennuyait le soir et s'émancipait aussi. tout était nouveau autour d'elle, alors pourquoi pas ça. "C'est une période-clé, je le sais, je travaille moi-même avec des ados toute la journée" explique sa maman, "et je me torture tout le temps avec l'idée que c'est décidément les cordonniers toujours les plus mal chaussés."
"Mais il faut rappeler aussi aux jeunes adultes de 18-20 ans qu'ils ont une responsabilité envers les adolescents qu'ils fréquentent. Ceux qui l'entouraient auraient pu l'avertir, lui donner les limites à ne pas franchir. La protection des plus jeunes, c'est la responsabilité de tous."

 

3/ Il s'est passé 4 mois entre le viol qu'a subi Angèle et le moment où le lycée vous avertit qu'il y a un problème grave avec votre fille : dans ce laps de temps, elle n'a rien dit, rien montré ?

"Elle avait tellement peur de me décevoir. C'est pour ça, aussi, qu'elle est montée dans la voiture de cet individu qui avait montré une fausse image de lui (un beau jeune homme sur sa photo de profil) pour obtenir d'elle en échange des photos intimes compromettantes. Il l'a violée en la menaçant de tout me montrer."

Il faut rassurer tout le temps ses enfants, en fait, et toujours leur dire qu'on ne les jugera jamais quoi qu'il se passe, qu'ils peuvent tout nous dire. Je n'ai rien vu pendant quatre mois, juste qu'elle grossissait mais je me suis dit que c'était à cause de l'internat.

La maman

4/ Qu'est ce qui sera le plus difficile à oublier pour vous ?

"Il y a une chose qui n'a jamais été évoquée tout au long du dossier. Mais quand j'ai récupéré ma fille au lycée et qu'on a décidé d'aller porter plainte, j'ai du m'adresser à trois gendarmeries avant d'être entendue. Et le gendarme qui a commençé à prendre ma déposition a tenté de me décourager, comme si c'était ma fille qui était coupable. On m'a demandé si j'étais consciente que j'allais peut-être envoyer un innocent en prison. C'est le comble !

On m'a fait douter de ma fille. Je leur en veux terriblement pour ça. Ils ont sous-entendu que ma fille n'assumait pas la relation sexuelle qu'elle avait eu et qu'elle avait inventé ça. Quand ma fille m'a dit dans la voiture alors que je ne savais plus si je devais la croire : "mais maman, tu sais, j'aimerais tellement que ce soit un mensonge. J'ai tout de suite compris qu'il fallait que je reste solide à ses côtés et solidaire.

On m'a même dit que ce n'était pas urgent de faire des examens, mais moi je voulais qu'elle soit tout de suite vue par un médecin. J'avais tellement peur du Sida.

Depuis, elle a passé toute son adolescente à aller chez le psychiatre, le mercredi. Les plus belles années de sa vie lui ont été volées. Elle ne sera plus jamais insouciante. On a détruit ma vie aussi, je dors très mal avec les mêmes questions qui tournent en boucle mais je suis forte pour elle. J'attends du procès qu'il mette un point final à ce que cet individu nous a fait.

Le procès s'est tenu en public, je n'ai pas voulu de huis clos, pour que ça serve à d'autres parents. 

ndlr : *le prénom a été changé pour préserver l'anonymat de la jeune fille victime et de sa maman

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