La photo d'un photographe syrien, pigiste à l'AFP est devenue virale sur les réseaux sociaux dans la nuit de samedi à dimanche. Ce jeune homme de 24 ans qui a fui la Syrie et Alep en 2016 a reçu un prix à Bayeux en 2017.
Le visage tuméfié et bandé d'Ameer al Halbi va t-il devenir le symbole du débat sur cette loi Sécurité Globale et ses dérives? C'est le genre de cliché qui laisse des traces dans l'histoire.
Ameer al Halbi couvrait, ce 28 novembre à Paris, la suite des manifestations quand une matraque de policier l'a roué de coups et blessé au visage.
Pouvait-on au moment de la charge ignorer son statut de journaliste ?
Le public du Prix Bayeux-Calvados qui se déroule tous les ans en Normandie, depuis une vingtaine d'années, pour mettre à l'honneur les reporters de guerre a encore en tête ce magnifique cliché d'Ameer al Halbi, photographe syrien.
Comment l'oublier ? Des hommes prenant la fuite avec des bébés dans les bras.
Il venait alors d'arriver en France, travaillait enfin dans un pays où le droit de la presse a un sens.
Trois ans plus tard, il a été blessé, ce 28 novembre à Paris, par des policiers français en pleine exercice de son métier, comme l'explique à l'AFP, la consoeur qui était à ses côtés.
"Nous étions identifiables comme photographes et tous collés à un mur. On criait "presse! presse!". Il y avait des jets de projectiles du côté des manifestants. Puis la police a mené une charge, matraque à la main. Ameer était le seul photographe qui ne portait ni casque, ni brassard. Je l'ai perdu de vue puis je l'ai retrouvé entouré de gens, le visage tout ensanglanté et enveloppé de pansements", a-t-elle affirmé.
"Il était psychologiquement très touché, il a pleuré, et a dit qu'il ne comprenait pas pourquoi c'était mal de faire des photos", a poursuivi la photographe.
"N'ayez pas peur de raconter ce qu'il se passe"
Baraa al Halabi a le même âge. Il est photographe aussi et a fui la Syrie aux côtés d'Ameer. Lui aussi a été mis à l'honneur à Bayeux dans l'exposition "photographes syriens de l'AFP".
Ce dimanche matin, il a découvert sur les réseaux sociaux le visage ensanglanté de son ami et reste stupéfait :
"Pendant la guerre en Syrie, la police n'a jamais fait de différence entre un civil et un journaliste. Beaucoup de mes amis journalistes en Syrie ont été tués ou blessés à la suite du bombardement du régime syrien.
J'ai quitté la Syrie comme mon ami Ameer, pour échapper à la guerre!"
Je ne pensais pas que la violence policière était la même dans le pays des libertés. J'ai été choqué que mon ami Ameer ait été soumis à une violence atroce simplement parce qu'il communique la vérité. Protéger les journalistes est un devoir moral partout dans le monde. Ce sont les yeux qui véhiculent ce qui se passe sur le terrain
Baraa espère qu'il y aura une suite pour que ça ne recommence pas, à Paris ou ailleurs en France.
"N'ayez pas peur de rapporter ce qui se passe", conclue t-il comme un sage conseil, alors qu'il vit aujourd'hui une vie apaisée, loin des conflits, au Havre, en Normandie.
Reporter sans Frontières dénonce ces violences policières en France, alors que l'association a déjà porté plainte pour d'autres faits similaires à Paris cette semaine.
En même temps, Reporter sans Frontière et Christophe Deloire, son président, lui aussi présent à Bayeux chaque année s'inquiète : "N'opposons pas protection des policiers et liberté de la presse !"Toute notre solidarité envers Ameer Al Halbi. Ces #ViolencesPolicieres sont inacceptables. Ameer est venu de #Syrie en #France pour s'y réfugier, comme d'ailleurs plusieurs autres journalistes syriens. Le pays des droits de l'homme n'a pas à les menacer, mais à les protéger.
— Christophe Deloire (@cdeloire) November 28, 2020
Il faut dire la réalité tout entière. Les violences policières contre les citoyens (dont les journalistes) sont intolérables, 37 policiers et gendarmes blessés (dont un lynchage) c'est aussi insupportable. Alors n'opposons pas protection des policiers et liberté de la presse.
"En 20 ans, je n'avais jamais été ciblé par la police même en Russie"
En se repliant, les policiers me visent délibérement en faisant glisser une grenade de désencerclement, qui explose à mes pieds. J’entends un bruit strident, je suis sonné, j’ai des acouphènes (qui, depuis ne se sont pas tus). Je suis, à ce moment-là loin de tout regroupement de personne. Je ne comprends pas pourquoi j’ai été visé. Je demande des explications aux policiers, en pointant mon brassard presse. Réaction du tireur : « vous n’avez rien à faire là ».
Guillaume Herbaut, autre photographe de presse indépendant spécialisé sur l'Ukraine et habitué de Bayeux témoigne lui aussi d'une violence policière commise contre lui, quelques jours plus tôt. C'est lui qui était en octobre 2020, le commisaire de l'exposition "Vadim, le regard d'un fixeur."
Ces derniers jours à Paris, lors d'une évacuation violente d'un camp de migrants, il a été victime du geste incompréhensible de policiers qui délibérément le visent avec une grenade de désencerclement, alors qu'il marche tranquillement à l'écart des lacrymogène et du gaz, son appareil photo à la main et le brassard "Presse" bien visible.
"Ça fait plus de 20 ans que je suis photojournaliste, je n’avais jamais été en France ciblé par la police lors de mon travail. La situation est inquiétante, même en Russie lors de manifestations je n’avais pas eu ce genre de problème", explique t-il.
Je voudrais apporter mon témoignage sur les violences policières à l’égard des journalistes. Hier soir à Paris, place de...
Publiée par Guillaume Herbaut sur Mardi 24 novembre 2020
Depuis, Reporter Sans Frontière a porté plainte contre le Préfet de Police de Paris.