Dimanche 10 avril 2022, le commissaire européen en charge de la pêche a affirmé que la question des licences de pêche dans les eaux britanniques était presque résolue. En Normandie, cette déclaration suscite perplexité et incompréhension chez les pêcheurs.
C'est un sujet qui envenime les relations de part et d'autre de la Manche depuis de nombreux mois. Avec la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne, la vie des pêcheurs français, à commencer par les Normands, s'est considérablement compliquée. La "Perfide Albion" se montrant particulièrement tatillonne au sujet de l'accès à ses eaux.
Mais à en croire le commissaire européen en charge de la pêche, ce conflit pourrait bientôt être de l'histoire ancienne. "Nous avons réussi à obtenir la plupart des licences qui ont été demandées" par les propriétaires des bateaux français pour pouvoir pêcher dans les eaux britanniques, a déclaré Virginijus Sinkevicius au Financial Times. Et d'ajouter : "La commission européenne a pleinement l'intention de continuer à construire une relation fructueuse et constructive avec le Royaume-Uni."
Sur les côtes normandes, cette déclaration laisse au mieux dubitatif. "Je me demande de quoi il parle. Est-ce qu'il a fait les comptes, comme au ministère de la mer, et il a trouvé que plus de 90% des bateaux avaient des droits de pêche et donc on doit s'estimer heureux ? On ne sait pas. On attend des explications. On ne comprend pas et on se garde bien de crier au hourra", indique Dimitri Rogoff, le président du comité régional des pêches. "On a quand même encore une bonne vingtaine de bateaux, petits et grands, qui seraient bien contents de retrouver des droits de pêche."
"C'est loin d'être réglé"
Les licences de pêche accordées par les autorités britanniques et anglo-normandes s'appuient sur l'antériorité des bateaux dans leurs eaux. Les propriétaires doivent prouver l'existence d'une activité avant l'entrée en vigueur du Brexit. "On a tous les bateaux neufs qui sont arrivés récemment en flotte, à Granville ou à Port-en-Bessin, qui se trouvent pour la plupart privés de leurs accès (aux eaux britanniques)", déplore Dimitri Rogoff. Un problème qui concerne aussi bien les îles anglo-normandes que la zone des 6-12, la zone très poissonneuse située à 6-12 miles nautiques des côtes. "On a aussi des bateaux sur Granville qui ont notoirement travaillé sur Jersey pendant des années et des années et qui, en raison de l'embellie de la coquille en Manche est, ont un peu délaissé le secteur des anglo-normandes les quatre-cinq dernières années." Et qui se retrouvent aujourd'hui dépourvus de licence de pêche. Bref, pour le comité régional des pêches, "c'est loin d'être réglé".
L'optimisme du commissaire européen est d'autant moins partagé que de nombreux sujets restent en suspend, à commencer par les modalités de renouvellement des licences (qui sont valables un an). "Pour les 6-12, je pense que ça va être reconduit en l'état, peut-être avec de nouvelles contraintes. Jusqu'à présent, l'Etat français ne reconnaissait pas les contraintes que les Anglais pouvaient mettre sur leurs droits de pêche parce qu'ils ne passaient pas par la voie officielle prévue dans les accords. Mais depuis, ils se sont mis à la page, ils font les choses proprement", affirme Dimitri Rogoff.
Refaire du bilatéral
Et la partie s'annonce également compliquée chez les Anglo-Normands. "On sait qu'ils veulent exclure tous nos bateaux très lents, on sait qu'ils veulent interdire le pélagique, les bateaux qui pêchent la daurade. Il y a une pression sociétale chez eux très forte pour virer les Français. Il n'y a rien pour nous rassurer." Les très proches voisins étaient pourtant parvenus à s'entendre par le passé. "Côté anglo, on milite pour refaire du bilatéral et remonter un comité de gestion comme il y avait avant (le Brexit). C'était quelque chose qui fonctionnait bien. Mais comme ils sont en période électorale (les élections générales ont lieu le 22 juin), tout est bloqué. On va maintenant attendre le mois de septembre pour essayer de construire quelque chose."
L'accord conclu in extremis fin décembre 2020 entre le Royaume-Uni et l'Union européenne sur la pêche arrivera à échéance dans quatre ans. A partir de juin 2026, l'Union européenne devra transférer au Royaume-Uni 25 % de la valeur des produits pêchés dans les eaux britanniques par les flottes européennes. Et l'accès aux eaux britanniques fera l'objet d'une négociation, chaque année. "On n'est pas sorti de l'auberge. C'est pas quelque chose qui est fini le Brexit, c'est en évolution permanente", soupire le président du comité régional des pêches.