Consommer local : où est passé l’engouement né pendant le confinement

Mieux manger, consommer en circuit court, s’approvisionner à la ferme. Pendant le confinement, la classe moyenne a pris de bonnes résolutions. Mais elle retrouve en partie ses habitudes de consommation d’avant la crise sanitaire. Des sociologues analysent ces comportements alimentaires.

Pendant le confinement, les paniers de fruits et légumes s’arrachaient à la ferme des Boutières, dans le Calvados. « Il y avait une file d’attente comme je n’en ai jamais vue ! Je ne pouvais pas assurer les commandes, j’étais obligée de refuser des clients », se souvient encore étonnée Emilie Hubert, propriétaire de l’exploitation située à Clinchamps-sur-Orne. 

Pendant la crise sanitaire, des Normands ont pris goût aux produits de la ferme. Mais dès que le déconfinement a sonné, Emilie Hubert a perdu les trois quarts de ces nouveaux clients. « On s’est plié en quatre pour satisfaire tout le monde », souligne la maraîchère. Amère, elle ne parvient pas à comprendre pourquoi sa nouvelle clientèle ne lui est pas restée fidèle.
 

C’est très dur de casser les routines.

Jean-Pierre Poulain, professeur de sociologie à l'université de Toulouse

 

Retour à la normale et aux routines de consommation

Frédérick Lemarchand, professeur de sociologie à l’université de Caen, travaille sur la question du changement des modes de vie. Ce sociologue associe le déconfinement à un retour à la normale et donc à un « retour aux habitudes de consommation ».

« C’est très dur de casser les routines », souligne le sociologue Jean-Pierre Poulain, spécialiste des pratiques et cultures alimentaires. « Au supermarché, on y trouve tout et on gagne du temps », relève-t-il. Pour l’auteur du Dictionnaire des cultures alimentaires, « la force des habitudes c’est économique d’un point de vue financier, économique en temps et en charge mentale ». 

Pour Frédérick Lemarchand, certains Normands se sont mis à consommer local parce qu’ « ils n’avaient pas autre chose à disposition et qu’ils craignaient d’attraper le coronavirus dans les grandes surfaces ». C’est avant tout « le côté pratique » qui les a séduit. Il ne s’agit pas d’un engagement politique envers le territoire, selon le sociologue, aussi co-directeur du laboratoire CERReV

Les comportements ne sont pas binaires, insiste le sociologue caennais. Les Normands ne peuvent pas être uniquement locavores. Marie Théron a profité du confinement pour passer à l’action et mieux manger. Plus question de « traîner dans les grandes surfaces », elle décide de s’approvisionner auprès de petits producteurs. Depuis le déconfinement, la quadragénaire installée dans l’Eure, « essaie de faire de son mieux » pour se fournir en circuits courts. Mais elle reconnaît faire une entorse à sa règle pour acheter les produits qu’elle ne trouve pas localement, comme les tomates et la pastèque.
 

On a compensé avec nos anciens clients qui sont revenus au marché et qui passent devant notre boutique pour s'y rendre.

Eric Robert-Cotentin terroir

Retour des canaux traditionnels de distribution

« Le parking d’Auchan était plein après le déconfinement », se rappelle Eric Robert, président du magasin Cotentin terroir, à Cherbourg. Une large gamme de produits laitiers, fruits, légumes, conserves ou encore de confitures est proposée.

Les producteurs manchois qui partagent la boutique ont perdu 75 % de leurs clients gagnés au mois de mars et avril. Même si la majorité des nouveaux acheteurs du confinement est perdue, Cotentin terroir a retrouvé sa clientèle d’avant la crise. « On a compensé avec nos anciens clients qui sont revenus au marché et qui passent devant notre boutique pour s'y rendre », explique Eric Robert. 

Pour le sociologue Jean-Pierre Poulain, le déconfinement installe à nouveau les canaux traditionnels par lesquels les agriculteurs écoulent leurs productions. Les consommateurs familiers des marchés retrouvent leurs habitudes.

Vincent Besniard est le co-gérant de la Ferme des Tertres à la Chapelle Près Sées, dans l’Orne. « De nouveaux acheteurs sont passés à la ferme pendant le confinement pour éviter de fréquenter les grandes et moyennes surfaces », détaille-t-il. Mais la perte de clientèle est moins douloureuse. Les gourmands de riz au lait et de crèmes au caramel s’approvisionnent dans les commerces où sont revendus ses produits laitiers et douceurs sucrées. 
 

Manger local : un comportement de bobo ?

Le sociologue Jean-Pierre Poulain rappelle que cet engouement autour du manger local concerne une infime partie de la population : la classe moyenne. Ces consommateurs ont profité du confinement pour réfléchir et se réapproprier la cuisine et l'alimentation. Pour certaines catégories de la population, la qualité de la nourriture est restée secondaire. Le principal problème était « la bouffe tout court », martèle le sociologue.
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