Les pêcheurs confient n'avoir "jamais vu ça". Cette année, la campagne de pêche a débuté le 13 novembre, avec deux semaines d'avance sur la date habituelle. Et elle tient toutes ses promesses. L'abondance de la coquille récompense les efforts fournis par la profession afin de protéger ce gisement.
L'Indépendant est un petit chalutier de 13 m, armé pour la coquille dès la fin de l'été. Mais comme la plupart des bateaux de Port-en-Bessin, il joue une bonne partie de son année en quelques semaines, à la veille des fêtes. Le gisement de la Baie de Seine est son gagne-pain. Et cette année, la campagne de pêche dépasse toutes les espérances.
"Moi, ça ne fait que cinq ans que je suis dans la pêche, mais franchement, je n'avais jamais vu ça", confie un marin à bord de l'Indépendant. Le bateau a pris la mer en début de journée, peu après l'ouverture des portes. Mais la pêche n'est autorisée qu'entre 13h et 15h, dans une zone bien précise. "Cet endroit était en jachère depuis deux ans", souligne Jérémie Mathieu-Lacomba, le patron du bateau. Et cela se sent : en quelques traits, les dragues remontent assez de coquilles pour la journée. Chaque navire titulaire d'une licence de pêche est en effet soumis à un strict quota calculé en fonction de la taille du bateau et du nombre d'hommes d'équipage. L'Indépendant doit s'en tenir à 1,8 t par jour.
L'or blanc de la baie de Seine protégé comme un trésor
Le débat est posé chaque été quand s'ouvre la pêche au large avec l'arrivée en masse de bateaux belges et britanniques. Contrairement aux navires normands, ils ne sont pas tenus de limiter leurs prises. Et en quelques jours la ressource est "pillée". La cohorte anglo-saxonne s'en va alors pêcher ailleurs "C'est une question de culture", nous expliquait un bon connaisseur du monde de la pêche cet été. "Les Britanniques ont une vision plus libérale de la pêche. Ils travaillent un peu en meute, comme des chasseurs. Ils ne sont pas attachés à une zone. Ils pêchent la coquille tant qu'il y en a, puis ils vont ailleurs". Après quelques semaines de pêche intensive, la coquille se fait rare : "on gratte le caillou" déplorait un pêcheur de Port-en-Bessin...
Le gisement de la Baie de Seine, de par la proximité de la côte, n'est accessible qu'aux seuls bateaux français. Depuis plus de vingt ans, ce sont les pêcheurs eux-mêmes qui s'imposent des règles de gestion. Le comité régional des pêches s'appuie sur les données scientifiques fournies notamment par Ifremer afin de connaître l'état de la ressource. Il détermine ensuite l'effort de pêche qu'il est possible de fournir sans compromettre la reproduction et les campagnes futures. Les pêcheurs ont fini par trouver leur compte dans ces règles pourtant contraignantes. "Le gisement a toujours été bon. Il faut aussi laisser la coquille se reproduire. C'est bien quand on laisse une zone se reposer deux ou trois ans. Après on s'y retrouve", souligne le patron de l'Indépendant.
Cette année, la réserve de coquilles est estimée à plus de 50 000 tonnes. C'est ce qui a permis d'anticiper de deux semaines l'ouverture de la pêche en Baie de Seine. Mais les quotas restent stricts. Personne n'a intérêt à ce que la coquille innonde le marché : cela entraînerait un effondrement des cours. "Les pêcheurs sont là aussi pour gérer un capital. Cela ne sert à rien de dilapider la ressource, de tout pêcher en une année si cela ne correspond pas aux besoins du marché" explique Arnaud Manner, le directeur de Normandie-Fraîcheur-Mer.
Le comité des pêches tente donc de faire respecter ces règles. La pêche n'est ouverte que dans certaines zones de la baie de Seine. La flotille est ainsi regroupée (un peu plus de deux cents licences ont été atribuées), ce qui rend la surveillance plus aisée. Et depuis quelques jours, les Affaires Maritimes effectuent des survols réguliers. Il s'agit de vérifier que tous les bateaux présents sont bien titulaires d'une licence, et que personne ne pêche en dehors des heures légales. Les contrôles sont inopinés. Et les survols devraient s'intensifier à l'approche des fêtes, quand le prix de la coquille atteint des sommets.
Reportage de Suzana Nevenkic et Eric Aubron
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