L'ARS a constaté une baisse du taux d'hospitalisation, en Normandie. Mais, ne nous réjouissons pas trop vite. Nous ne savons pas encore quand nous sortirons du confinement. Mais comment ? Là plusieurs hypothèses sont envisagées. Alors qu'en pensent les médecins de Caen à Saint-Lô ?
La question du déconfinement est prématurée en Normandie, prévient d'emblée l'ARS - l'agence régionale de santé : "On ne travaille pas du tout sur cette problématique là, en ce moment."
Les préoccupations actuelles se concentrent plutôt sur l'approvisionnement en matériel (masques et surblouses), les commandes de tests et bien sûr le suivi de la courbe du Covid-19 en Normandie, et notamment dans les Ehpad.
De leur côté, les médecins redoutent que ces signaux encourageants s'accompagnent d'un relâchement de la part des citoyens. Leur crainte ? Une deuxième vague, qui pourrait faire déborder les services et retarderait le déconfinement.
Après presque un mois passé chez soi, bien malin celui qui sait quand et comment cette crise prendra fin. Cette mission délicate a été confiée à un haut-fonctionnaire, nommé par le gouvernement. Il s'appelle Jean Castex et il étudie en ce moment tous les scénarios.
En l'absence de vaccins ou de traitements, capables d'éradiquer complètement la maladie, quelles sont, en effet, les principales hypothèses pour sortir du confinement, en limitant les risques ? Eclairage avec deux médecins urgentistes et une virologue, qui travaillent à Caen et Saint-Lô.
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le déconfinement par "région" ?
Ils ajoutent : "Que cette sortie ne soit autorisée que dans les régions dans lesquelles une décroissance nette du nombre des patients Covid-19 devant être hospitalisés et un retour des besoins de réanimation à l’état pré-épidémique sont observés".
Traduction ? Si la Normandie voit son nombre de patients hospitalisés diminuer, avec des lits de réanimation disponibles, proches de la normale, peut-on espérer ?
Détrompez-vous. Les autorités peuvent également estimer que le risque de contagion reste trop fort et dans ce cas, on reste à la maison.
Tout dépend en effet de l'immunité de groupe. Les épidémiologistes estiment que si 50% de la population est immunisée, on peut arriver à freiner la propagation de l'épidémie. Or, on est loin.
Astrid Vabret, cheffe de service de virologie au CHU de Caen:
"Les chiffres que donnent les épidémiologistes pour les régions de l'Est, n'excèdent pas à ma connaissance 15%, et nous, en Normandie, on serait peut-être autour de 3%, selon les estimations.
Les chiffres sont mouvants et le gouvernement doit prendre des décisions sur ces données fluctuantes, ce qui rend très compliqué la prise de décision. Dans une épidémie nouvelle comme celle-ci, on navigue à vue", explique la virologue.
Professeur Eric Roupie, chef du Samu 14 - Smur - centre 15, au CHU de Caen :
"Il faudra vraiment peser cette décision, à l'aune des cas référencés. Mais à mon avis, il va falloir peut-être attendre plus longtemps et considérer la possibilité d'un dépistage systématique", confie Eric Roupie, professeur à Caen.
Thomas Delomas, le chef de service des urgences de l'hôpital Mémorial de Saint-Lô,
"En toute logique, nous avons été les derniers à avoir le pic du covid-19, ça me paraîtrait cohérent que l'on soit les derniers à déconfiner"
N'imaginez donc pas rendre visite à votre grand-mère en Bretagne, ni prendre un bain de soleil, en Italie début mai. L'académie nationale de médecine prévient : "Les personnes résidant dans une région en sortie de confinement ne devront pas être autorisées à se rendre dans une région encore en situation de confinement."
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Le déconfinement ciblé ?
Dans ce scénario, seuls les malades, les personnes âgées et les sujets sensibles (diabète, surpoids, hypertension, avec des antécédents respiratoires et cardiaques) resteraient confinés pour éviter la contamination.
Celles qui auraient déjà contracté la maladie, et seraient donc immunisées, pourraient être autorisées à sortir, tout comme la population considérée comme "moins fragile".
Mais ce n'est pas sans risque. Le virus peut également atteindre gravement des jeunes, comme nous le répète Thomas Delomas "J'ai encore vu aujourd'hui trois patients de moins de 35 ans, qui ne présentaient aucun antécédent particulier. On a dû les hospitaliser. Ce n'était pas en réanimation. Mais leur état nécessitait une prise en charge, avec de l'oxygène parfois".
A ce sujet, des messages de condoléances commencent à fleurir sur la toile des réseaux sociaux, depuis quelques jours, prouvant que le virus tue. Et pas que des seniors. Le réalisateur de la série à succès "le Bureau des légendes" rendait ainsi hommage à son preneur de son, emporté par le Covid 19, à 54 ans.
Marc Engels ingenieur du son sur LBDL, aimé de tous, qui a enregistré, de l’Ukraine au Maroc, la voix de tous nos acteurs, s’est éteint en réanimation. 54 ans. Ce virus est une saloperie et notre douleur est infinie. Restez chez vous. pic.twitter.com/aZ3ft7h5lf
— Eric Rochant (@erochant) April 9, 2020
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Le stop and go ?
Alors que faire ? La virologue, Astrid Vabret regarde avec intérêt la stratégie du stop and go, c'est-à-dire alterner les périodes de confinement et de retour à la normale.
" Si les épidémiologistes ont raison et que nous sommes à 3% de personnes infectées dans la région, c'est rien. Vous avez vu le bazar que c'est pour 3% !
D'un côté, il ne faut pas être confronté à une épidémie massive mais de l'autre il faut bien faire l'immunité de groupe. Sinon c'est reculer le problème, alors qu'il faut au contraire l'étaler. Et puis, on doit avancer aussi.
L'idée d'un stop and go tous les quinze jours me paraît intelligente, car c'est assez souple. Reste à savoir si c'est applicable, car la population doit être très disciplinée.
Son confrère, Eric Roupie précise : "Il faudra aussi que les autorités soient aussi réactives, en actionnant le "go", au moment où il faut."
A ce sujet, la virologue Astrid Vabret mise aussi sur l'arrivée de l'été :
"La période estivale va peut-être nous aider, car c'est une période peu propice aux virus respiratoires. Cela ne fera pas tout, c'est sûr, mais ça peut être une aide."
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Le dépistage systématique ?
Ces tests permettraient de savoir :
- qui est porteur du virus et doit rester isolé
- qui n'a pas été infecté et reste potentiellement à risque
- qui a été immunisé et peut sortir
Mais, pour être efficace, ce dépistage à grande échelle devra être réalisé régulièrement pour les non-porteurs, à l'aide d'un prélévement sanguin. Cela suppose une sacrée logistique. Et surtout, La France aura-t-elle les moyens de fournir autant de tests sérologiques ?
"Nous sommes 67 millions de Français, prévient François Blanchecotte dans l'Obs, "Toute la France ne devra pas se jeter dessus. Ces tests devront dans un premier temps être réservés aux régions les plus touchées et à certaines catégories de la population, comme les personnes qui travaillent au contact des autres (transporteurs, commerçants). Pour éviter toute pénurie, ces tests pourraient-être encadrés et contrôlés par les préfectures.
Il ne faut pas faire n'importe quoi avec les moyens que nous avons. Le dépistage se fera sans doute différement en fonction des régions, indique Eric Roupie.
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Le traçage numérique ?
C'est une option sur laquelle travaille déjà le gouvernement. Le secrétaire d'Etat au Numérique Cédric O a décidé de développer une application mobile, baptisée "StopCovid", pour limiter la diffusion du virus en identifiant des chaînes de transmission.
"L’idée serait de prévenir les personnes qui ont été en contact avec un malade testé positif afin de pouvoir se faire tester soi-même, et si besoin d’être pris en charge très tôt, ou bien de se confiner", explique-t-il.
Reste à savoir si les français seront volontaires pour se faire "tracer". La CNIL* va bien sûr être consultée et veillera "à ce que dispositif de suivi non généralisé, temporaire, proportionné, soit assorti de fortes garanties."
*Commission nationale de l'Informatique et des Libertés
Jean Castex, le monsieur "déconfinement" du gouvernement devra aussi jongler entre la raison, la "santé", et les enjeux économiques et sociaux. Mais quelles que soient les décisions prises ensuite par le gouvernement, le même sentiment prédomine de Caen à Saint-Lô :
"On va devoir s'habituer à vivre avec le coronavirus. Je pense qu'on en a encore pour des mois voire des années", selon le chef des urgences de Saint-Lô, Thomas Delomas.
"Il faut bien comprendre que toute cette stratégie d'endiguement, les mesures barrières et le confinement, nous permet de donner du temps au temps pour trouver un traitement et un vaccin", résume le professeur Eric Roupie, au chu de Caen.
"Développer un vaccin, oui c'est bien, mais qui se vaccine ? La France est le premier pays à se méfier des vaccins. Les comportements auront-ils changé après le coronavirus ? J'ose espérer, mais je n'en suis pas sûre. On a une énorme faculté à oublier." déplore Astrid Vabret, Médecin en virologie au chu de Caen.
Etre patient semble bien être plus que jamais le meilleur remède pour ne pas être malade. Rémi Mauger
Les chiffres de l'ARS à retenir, ce vendredi 10 avril
741 personnes sont hospitalisées en Normandie.Parmi elles, 210 sont en réanimation.
512 personnes sont retournées à domicile
188 personnes sont décédées à l’hôpital depuis le début de l’épidémie. (âge médian de 81 ans).
Sur les 380 EHPAD de la région :
- 105 ont déclaré au moins 1 cas (résident ou personnel). Parmi eux : 39 ont des cas groupés témoignant de la circulation active du virus
- 79 décès ont été enregistrés, en EHPAD et à l’hôpital.
Du 24 février à aujourd’hui, 2 515 personnes ont été testées positives au COVID-19 en Normandie sur un total de 14 990 prélèvements réalisés, soit 16,8 % de positivité.