Depuis des mois, tous les services d'urgence de France tirent la sonnette d'alarme sur leur manque de moyens. Et ce, bien avant la pandémie de Covid-19. Comment les équipes font-elles face sur le terrain ? Témoignage de Thomas Delomas, chef de service des urgences à l'Hôpital Mémorial de Saint-Lô.
Il est très hasardeux de communiquer des chiffres, sachant que la situation évolue de jour en jour. Au moment où nous écrivons, une dizaine de patients étaient hospitalisés à Saint-Lô, dont deux en réanimation, mais ces données vont vite être obsolètes.
* Dans quel état d'esprit êtes-vous. Vous, qui êtes exposé, êtes-vous serein quand vous venez à l'hôpital ?
Thomas Delomas, chef de service des urgences à l'Hôpital Mémorial de Saint-Lô :
Je suis très content de venir au travail. Il y a un élan de solidarité sans précédent. Tous les généralistes, les collègues, les étudiants, tout le monde se mobilise. Même si on n'a jamais connu une crise de cette ampleur, on se prépare, on s'entraîne, ça fait parti de notre boulot d'urgentiste. On travaille énormément. On ne compte plus nos heures. On se relaie pour aller dormir un petit peu. Mais franchement je préfére faire ça car ça a du sens.
* Comment-vous organisez-vous dans ce contexte ?
L'Hôpital Mémorial de Saint-Lô est le siège du SAMU 50 et depuis trois semaines, l'activité en régulation a considérablement augmenté et a été multipliée par quatre.
Une majorité d'appels concerne le COVID. On a redimensionné notre salle de régulation. On a crée une salle de crise. On a recruté quatre médecins supplémentaires, des internes, des étudiants en médecine ainsi que des pompiers du SDIS 50.
Le samu 50 tourne à plein régime et joue parfaitement son rôle de barrière pour protéger l'hôpital
*Vos collègues de l'Est ou d'Ile de France sont débordés. Comment appréhendez-vous le pic de l'épidémie ?
On se prépare à un afflux massif de patients. On a déclenché le niveau 3 de la crise épidémique. On a déclenché le niveau 3 du plan blanc de l'établissement. On a déprogrammé toutes les activités chirurgicales non urgentes. On a libéré un maximum de lits et on a annulé les congés. On a rappelé du personnel.
Nous avons flêché plus de 60 lits pour des patients Covid. On a encore des places en réanimation. On s'est préparé très largement. Nous sommes pour l'instant relativement préservés. A Saint-Lô, on n'est pas encore dans le pic de l'épidémie. Et c'est une chance.
La seule inconnue, c'est quand va arriver le pic épidémique et quel va être son intensité, dans notre région.Nous travaillons avec nos confrères de Colmar et Paris. On s'inspire de leur retour d'expérience. On a 10 jours d'avance sur notre organisation par rapport à eux. C'est plutôt positif.
* En Normandie, l'intensité pourrait-elle être similaire à la région grand Est ?
Je ne suis pas devin. Tout ce que je peux dire c'est que l'on s'est préparé comme si on allait être touchés comme eux. C'est notre devoir.
Quels vont être les effets du confinement, s'il est respecté ? Il devrait applatir un petit peu le pic de l'épidémie. Du moins on l'espère. Quel va être l'effet de l'exode massif des citadins, venus dans notre région ? Ce sont des gens qui peuvent potentiellement déplacer le pic, si des sujets sont malades.
Paris attend le pic pour maintenant. Nous, on devrait l'avoir dans une semaine. Donc on reste très vigilant pour les jours à venir.
*Pouvez-vous nous décrire la maladie ?
L'histoire naturelle de cette maladie, c'est un syndrome grippal qui évolue pendant 7 à 10 jours et peut se dégrader brusquement. Avec l'apparition brutale de signes de détresse respiratoire. On sait que cette maladie est particulièrement préoccupante pour les personnes âgées et les sujets fragiles (maladies chroniques, problèmes cardio-vasculaire, diabète).
Sur 100 malades qui vont avoir le Covid-19 :
- 80 à 85% vont avoir des symptômes non graves voire aucun symptômes
- 15% environ vont développer des symptômes qui nécessiteront une hospitalisation avec une surveillance et de l'oxygène.
- 5% auront une forme grave et sévère, avec un passage en réanimation.
* Etes vous suffisamment équipés ?
Nous sommes très vigilants sur nos stocks de protection individuelle (masques, charlottes, surblouse). Pour l'instant, on n'en manque pas mais les stocks sont très serrés. On les utilise avec beaucoup de précaution et de rigueur.
On a fait un appel auprès des entreprises, des particuliers, des mairies et nous les remercions car nous avons pu récupérer beaucoup de masques. Mais on espère avoir de nouvelles livraisons car nous n'avons que quelques jours de stocks d'avance.
* Comment expliquez-vous qu'on manque de masques aujourd'hui ?
Peut être qu'à l'époque de Madame Bachelot, il y avait eu une commande massive de masques et l'importance du pic épidémique n'avait pas été aussi majeure donc à l'époque, on avait râlé pour dire qu'on en avait trop. Aujourd'hui, on est en tension sur ces éléments là. D'ailleurs on utilise des masques du stock Bachelot. Ils sont périmés mais on peut les utiliser quand même. Mais c'est vrai que ça pose question. Dans une crise comme celle-là, nos préoccupations et notre énergie devraient se concentrer ailleurs que sur la recherche de masques.
* Qu'avez-vous envie de dire à la population ?
Déjà, nous les remercions. Nous sommes très touchés par les messages de soutien.
Et surtout, soyez vigilants sur ces mesures barrières et ce confinement certes très contraignants mais c'est cela qui va permettre de sauver des vies.
*Pensez-vous que cette crise sanitaire va éveiller certaines consciences sur votre métier qui était en grande souffrance avant l'épidémie ?
S'il y a encore des gens qui doutent de l'intérêt de notre travail et de la bonne volonté des équipes soignantes, ça va lever des doutes. Après franchement, je ne suis pas convaincu que tous les problèmes du système de santé vont être réglés après cette épidémie mais je suis vraiment TRES fier de mes équipes et du boulot que l'on fait.
La seule valorisation peut-être que l'on pourra garder de notre travail, ce sont les vies qu'on aura réussi à sauver. C'est ça le plus important.
Qui appeler en cas de doutes sur le Covid 19 ?
Pour les patients qui n'ont pas de symptômes : numéro vert ARS 0800 130 000
Pour les patients qui ont des symptômes bénins : Appeler le médecin traitant ou à défaut le 116 117
Pour les patients qui ont des symptômes graves (détresse respiratoire) : le 15, qui traite toutes les urgences vitales (Covid 19, Infarctus, etc ..)