Depuis son apparition en Normandie, il y a une vingtaine d’années, le crabe asiatique ne cesse de s’imposer, jusqu’à envahir nos côtes. Aujourd’hui, il représente un danger sans solution pour l’économie et l’écologie.   
 

À 70 ans et en 60 ans de pêche à pied, Daniel Lefebvre n’a jamais été aussi pessimiste. Il continue de chasser le crabe vert sur la plage de la Veulette-sur-mer avec un panier quasi vide. Il soulève chaque caillou en espérant y trouver notre crabe local mais, au fur et à mesure des levées, son optimisme, lui, redescend. La plupart du temps, c’est un autre petit chasseur qu’il découvre : le crabe asiatique. Parfois, il en trouve une dizaine sous une grosse roche.
Un crustacé poilu, à la carapace foncée qui s’est très bien habitué aux eaux de la Manche et du nord. On le retrouve aujourd’hui du Cotentin au Danemark et non plus seulement du sud-est de la Chine à la Russie. Originaire du Japon et de la Chine, il envahit aujourd’hui plusieurs côtes françaises dont celles de Normandie.

50 000 œufs par un, une véritable invasion

 
Une invasion commencée, dans la région, vers 1999. Date à laquelle, il a été repéré pour la première fois dans la région, au port du Havre. Il y serait arrivé, par accident, transporté dans les réservoirs d’eaux des bateaux. Depuis, il ne cesse de se multiplier. Fécondes très jeunes, les femelles pondent, en effet,  jusqu’à 50 000 œufs par an.

Trancheur de doigt, chasseur de crabe local, mangeur d’huîtres


Ne vous fiez pas à sa petite taille et protégez vos doigts ! Le petit animal, de 3 à 4 cm à l’âge adulte, est féroce avec l’homme. Ses pinces sont acérées et elles n’hésitent pas à couper les doigts qu’elles rencontrent. D’ordinaire, Daniel Lefebvre, a toujours tenu le crabe local à ma main nue. Désormais, face au crabe asiatique, il a pris l’habitude de mettre des gants.     
 

« Ces crabes sont très agressifs. Ils peuvent vous trancher le bout du doigt. »

Daniel Lefebvre, secrétaire adjoint de l’Association des Pêcheurs à Pied du Pays de Caux



L’agressivité est aussi bien envers l’homme qu’envers d’autres crustacés. Le nouveau venu est féroce, omnivore et vorace. Pour commencer, il chasse activement le crabe vert, notre crabe local qui se fait maintenant de plus en plus rare. Ces deux rivaux entre en compétition pour la nourriture et pour l’espace. Le crabe étranger étant beaucoup plus  sauvage. D’ailleurs, ce crabe va se nourrir en abondance de crabes autochtones.
 

« Le crabe asiatique va provoquer un déclin de la population de crabes autochtones puisqu’il se nourrit des larves de crabes verts et des juvéniles. »

Céline ROLLET, Directrice et chargée de recherche en écologie littorale et marine au GEMEL (Groupe d’Étude des Milieux Estuariens et Littoraux)

 


En moyenne, on trouve désormais 1 crabe local pour 10 crabes étrangers. C’est une catastrophe pour les pêcheurs amateurs venant capturer le crabe vert. Comme le veut la tradition, cette capture leur sert normalement d’appât pour les crevettes et le bouquet. Quand il ne fait pas office d’appât, le crabe vert est cuisiné, souvent en soupe, et servi sur les tables des restaurants.
Ensuite, le crabe chinois est friand de nos crustacés les plus prisés. Si lui ne fait pas partie des plats préparés en Normandie, en revanche, il s’attaque aux mets de nos assiettes. Très gourmand, il dévore surtout les huîtres et les moules. Il peut manger jusqu’à 5 moules par jour.
 

« Il y a une dizaine d’années, il y avait encore plusieurs moulières, ici. Elles ont disparu en même temps que l’arrivée du crabe sanguin. Apparemment, il y a un lien de cause à effet. »

Daniel Lefebvre, secrétaire adjoint de l’Association des Pêcheurs à Pied du Pays de Caux  




L’indésirable est ainsi en train de bouleverser l’écosystème car il s’impose au détriment de certaines espèces locales déjà présentes.
 

« C’est un danger parce que, comme toute espèce invasive, elle va modifier l’écosystème et perturber les espèces autochtones présentes. »

Céline ROLLET, Directrice et chargée de recherche en écologie littorale et marine au GEMEL (Groupe d’Étude des Milieux Estuariens et Littoraux)

 

Plus de 100 crabes asiatiques par m2


Le GEMEL est le Groupe d’Étude des Milieux Estuariens et Littoraux, situé à Saint-Valery-sur-Somme, dans les Hauts-de-France. Il étudie le sujet depuis des années. Actuellement focalisé sur le port de Boulogne-sur-mer, il a auparavant analysé les côtes normandes. En surveillant notamment les zones de Quend-Plage-lesPins, Ault, Le Tréport et Veulettes-sur-mer. Cela, dans le cadre du Réseau d’Observation du Littoral Normand et Picard. Ainsi, il a d’abord comptabilisé 100 crabes asiatiques par m2, dans le Cotentin, en 2012. Puis, en 2016, à Veulettes-sur-mer, le groupe a dénombré 30 crabes asiatiques par m2 contre 3 crabes verts par m2. Aujourd’hui, on en compte parfois jusqu’à 150 par m2.

Des dommages écologiques et économiques


Selon les observations, dans le secteur où la population de crabes asiatiques est en augmentation, le nombre de crustacées dont elle se nourrit est, lui, en diminution.  Si les conséquences économiques de cette nouvelle population semblent inévitables, elles n’ont pas encore été évaluées. En revanche, les pêcheurs amateurs de Veulettes-sur-mer se plaignent déjà. Ils sont réellement inquiets pour la ressource. Ils ont de plus en plus de mal à remplir leurs paniers et filets. D’autant que de son côté, le crabe chinois semble impossible à arrêter.    

Aucune solution contre cette espèce invasive ?  


Pour le moment, il n’y a, a priori, pas de solution pour enrayer la propagation de l’Hemigrapsus sanguineus et son impact. D’une part, le crabe sanguin n’est pas pêché par les Normands. D’autre part, ses propres prédateurs peinent à l’attraper. À l’abri sous son caillou, il est protégé des goélands et autres rapaces. Le GEMEL le décrit d’ailleurs comme une espèce invasive compliquée à déloger.
 

« Malheureusement, c’est très difficile d’agir sur ces espèces invasives. Une fois qu’elles sont installées, naturalisées, qu’elles se reproduisent, il n’y a pas grand choses à faire. Ce qu’on va conseiller nous, c’est de nettoyer le plus possible le bas des pieux de leurs bouchots.»

Céline ROLLET, Directrice et chargée de recherche en écologie littorale et marine au GEMEL (Groupe d’Étude des Milieux Estuariens et Littoraux)


C’est, pour le moment, la préconisation donnée aux gestionnaires de l’environnement et aux pêcheurs : bien nettoyer les bouchots afin d’éviter la présence, puis multiplication des intrus qui se retrouvent essentiellement dans les bouchots, littoraux et les estuaires. Il est également recommandé aux mysticulteurs de surveiller attentivement leurs élevages.  
 
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