Crises et avenir de l'agriculture: "Il est temps de prendre la société à témoin"

Face aux crises récurrentes qui agitent l'agriculture française et interrogent son avenir, "il faut prendre la société à témoin", estime Maxime Marie, géographe au CNRS, spécialiste de l'aménagement du Territoire à l'Université de Caen-Normandie.

Le chercheur questionne aussi le rôle des politiques qui ont laissé se détricoter les mécanismes de régulation depuis le début des années 90.


Qu'a-t-on raté en France, première puissance agricole de l'Union européenne, pour que l'agriculture enchaîne les crises?


La situation actuelle date des années 1990 et du début de la dérégulation et du démantèlement des outils de marché - jusqu'à la sortie des quotas laitiers en 2015. Certes, celle-ci s'est appliquée partout en Europe mais on n'est pas parti avec le même type de structures partout: en France les exploitations sont plus nombreuses et plus petites, 50 à 60 ha en moyenne - mais la moyenne ça ne signifie pas grand chose. En plus, le système de quotas ne s'appliquait pas de la même façon selon les pays: la France avait choisi la départementalisation afin de maintenir la production partout, à des fins d'aménagement du territoire.



C'est surprenant d'entendre aujourd'hui les anciens ministres de l'Agriculture se dédouaner de la situation actuelle... Certes, l'élargissement de l'UE à 28 Etats a modifié les équilibres et les pays les plus libéraux y ont gagné du poids, sans qu'aucune alternative ne soit présentée. Mais le problème, lorsqu'on ouvre le marché pour vendre, est qu'il faut aussi être prêt à acheter. Ainsi, les échanges sont très forts au sein de l'Union européenne et elle-même est le premier importateur mondial de produits agro-alimentaires.

La situation actuelle date des années 1990 et du début de la dérégulation et du démantèlement des outils de marché - jusqu'à la sortie des quotas laitiers en 2015.




La réponse depuis les années 60 a été chaque fois d'augmenter la production: est-ce la bonne piste?


On a fait croire aux agriculteurs, notamment en élevage, que l'économie d'échelle permettrait de maintenir leurs revenus grâce à une augmentation perpétuelle de la production. Ils ont été encouragés à investir et à s'endetter: certains jeunes d'une vingtaine d'années en Normandie sont endettés de plus de 600.000 euros... Simultanément, l'Etat a délégué une partie de ses missions au secteur privé en misant sur l'offre. Résultat, les producteurs sont de plus en plus soumis aux aléas du marché, sans protection. Même les céréaliers jusqu'alors relativement épargnés souffrent aujourd'hui de la volatilité des prix mondiaux. Quant au syndicalisme agricole majoritaire, la FSNEA, au fil des crises, il a choisi de pousser les agriculteurs à augmenter les volumes et à viser l'exportation avec l'idée que le salut viendrait de l'export... On a vendu aux agriculteurs ce rêve de conquête pour écraser la concurrence. On dit aujourd'hui qu'une exploitation laitière est rentable à partir de 1,2 million de litres de lait produit (par an) mais la vraie question est qu'un lait standard est payé au prix du bas de gamme.

La FSNEA, au fil des crises, a choisi de pousser les agriculteurs à augmenter les volumes et à viser l'exportation avec l'idée que le salut viendrait de l'export.

Ne vaudrait-il pas mieux produire un lait de qualité mieux valorisé ?


Ceux qui valorisent leur production, en AOC par exemple ne manifestent pas! Bien sûr tout le monde ne peut pas se mettre à produire en bio ou en AOC. Mais il est vrai aussi que l'importance des investissements consentis rend toute conversion trop risquée.

Ceux qui valorisent leur production, en AOC par exemple ne manifestent pas!

Est-ce la fin d'un modèle français? La réduction du nombre d'exploitations pour en augmenter la taille est-elle inéluctable?


Il faut prendre la société à témoin. C'est un débat sur l'alimentation et les chaînes d'approvisionnement qui doit avoir lieu avec le consommateur, bien content de ne consacrer que 10% de son budget à l'alimentation en s'offrant un peu de bio ou d'AOC de temps à autre... Le risque est de concentrer et de spécialiser les productions, ce qui nous ramène à l'aménagement du territoire : la présence des agriculteurs et la diversité des systèmes de production permettent aussi d'entretenir les paysages. Veut-on conserver cette typicité des terroirs? En outre l'extrême spécialisation des territoires a son revers comme on voit en Bretagne: quand une production comme le porc tousse, c'est tout le tissu économique et social régional qui frémit. La profession agricole a trop longtemps considéré qu'elle était la seule à pouvoir gérer l'agriculture - en cogestion avec les politiques -. Il est temps de demander aux Français ce qu'ils veulent vraiment.

La profession agricole a trop longtemps considéré qu'elle était la seule à pouvoir gérer l'agriculture - en cogestion avec les politiques -. Il est temps de demander aux Français ce qu'ils veulent vraiment.

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