"Les cyberharceleurs, ce sont les copains du collège"

Le Dr Patrick Genvresse, pédopsychiatre et directeur médical de la Maison des adolescents à Caen répond à nos questions sur le cyberharcèlement. Quand débute le harcèlement scolaire ? Qu'est-ce que le cyberharcèlement ? Qui sont les harceleurs, les victimes ? Interview :


Combien de jeunes sont concernés par le cyberharcèlement ?

Patrick Genvresse : Selon plusieurs études, on estime qu’il y a entre 10% et 15% de cyberharcelés. Mais il faut savoir que les deux harcèlements se combinent. Le cyberharcèlement est toujours le fait de jeunes de l'environnement proche. Souvent, on peut identifier notre cyberharceleur.

On est loin du mythe du cyberharceleur inconnu…

Ce n’est pas tout à fait un mythe : des rencontres malencontreuses peuvent arriver sur les réseaux sociaux… Mais c’est loin de faire la majorité du cyberharcèlement. Les cyberharceleurs, ce sont nos copains ou copines du collège, du lycée ou de notre environnement de quartier.

Les filles sont-elles plus concernées que les garçons ?

C’est une impression subjective, mais j’ai le sentiment que les filles sont un peu plus ennuyées sur les réseaux sociaux. Presque toujours pour des raisons sexuelles : des rumeurs propagées sur le Net, des photos imprudemment envoyées ou postées qui sont détournées ou retouchées de telle sorte qu’elles les mettent dans des situations compromettantes... C’est tantôt du harcèlement où elles sont déqualifiées dans leur bonne conduite, mais aussi du harcèlement qui confine au chantage.
 
Entre le harcèlement classique et le cyberharcèlement, sommes-nous passé à quelque chose de beaucoup plus violent ?

Oui. Pour se représenter les choses, il faut penser que le harcèlement "à l’ancienne" (tel qu’on le connaissait dans la cour d’école) est décuplé par 10 ou par 100 du fait du cyberharcèlement, tant par sa crudité et sa violence que dans son intensité. Ce qui caractérise le cyberharcèlement, c’est la possibilité de sa permanence et de son impunité a priori. Le cyberharceleur est protégé derrière son écran. Il est privé du regard de l’autre et donc ça déchaîne ses plus bas instincts.

Y a-t-il des profils de harcelés potentiels ?

Un profil semble commun aux harceleurs et aux harcelés : une certaine vulnérabilité. Il y a toujours une meséstime de soi à l’origine du harcèlement. On ne harcèle que pour se valoriser. En déqualifiant l’autre, on a l’impression d’être un peu plus que lui. Au fond de cette vulnérabilité, il y a toujours un sentiment fragile de l’estime de soi.

Souvent c’est le silence que l’on trouve comme défense quand on est harcelé...

Oui, on peut aisément s'enfermer dans le silence par la honte, très fréquemment rencontrée chez les jeunes au détour d’un cyberharcèlement. "Je ne pouvais en parler à personne tant j’avais honte de ce qu’on pouvait dire sur moi, ce donton me soupçonnait ou on m’accusait", semblent dire les jeunes cyberharcelés.
  

"Anticiper l’usage des écrans et du numérique de nos jeunes"


Comment se rendre compte qu’un enfant ou un ado est cyberharcelé ?

 Les parents doivent être attentifs à des ruptures d'humeur. Notamment, des jeunes deviennent taciturnes, iritables, ont tendance à s’isoler. Mais ce sont des signes non spécifiques. La principale information à donner aux parents, c’est l’extrême banalité du cyberharcèlement. Informer les parents de l’existence de cette forme de harcèlement, ça permet d’en parler aux enfants et de prévenir les méfaits du numérique.

Quels conseils donneriez-vous à des victimes de cyberharcèlement ?

C’est difficile d’en parler tellement on est emprisé dans le harcèlement qu’on subit. Mais, si on a la moindre occasion, il faut d’abord en parler. Ensuite : modifier ses mots de passe, fermer ses comptes réseaux sociaux provisoirement, changer son numéro de téléphone… On peut aussi faire des copies de tout le harcèlement qu’on subit. En parler à ses parents pour qu’ils puissent alerter l'institution scolaire et lesdits parents quand les harceleurs sont identifiables. Quand toutes ces mesures ne suffisent pas, ne pas hésiter à aller porter plainte avec les éléments de preuve.

Quelles sont les bonnes pratiques à adopter sur les réseaux sociaux ?

Notre fonction d’adulte en référence est pouvoir toujours anticiper l’ouverture progressive de nos enfants vers les mondes numériques. Mon collègue Serge Tisseron a produit la règle des 3-6-9-12 pour apprendre à bien grandir avec le numérique ; pas d’écrans avant 3 ans, pas de jeux vidéos avant 6 ans, l’usage d’Internet accompagné par un parent jusqu’à 9 ans et, entre 9 et 12 ans, l’Internet doit être ouvert à l’usage seul mais extrêmement régulé. A condition que les parents s’intéressent un peu à l’activité de leurs jeunes sur les réseaux sociaux.

Par exemple, actuellement, il est assez fréquent qu’un jeune soit doté d’un smartphone à son entrée au collège. Avant l’obtention, les parents doivent anticiper les règles d’utilisation. Si, , dans une famille, vous décidez qu’on ne doit pas avoir son téléphone le soir et la nuit dans sa chambre : tout le monde le pose sur la console avant d’aller se coucher. Il faut assujettir l’obtention du smartphone à cette règle bien avant que le jeune ait le téléphone. A partir du moment où le jeune a son smartphone, il n’y a plus tellement de règles possibles. Il faut toujours anticiper l’usage des écrans et du numérique de nos jeunes.  
 

A l'occasion du 30e anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, le directeur médical de la Maison des Adolescents du Calvados animait une conférence "Du harcèlement au cyberharcèlement · De la moquerie artisanale à sa production industrielle" à l'université de Caen.
L'actualité "Société" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Normandie
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité