Les librairies s'apprêtent à rouvrir le 11 mai après huit semaines de confinement. Mais il y aura bien un "avant" et un "après". Ils imaginent poursuivre le drive, et invitent les éditeurs à réduire ou redéployer leur offre pour éviter l'effet "embouteillage".
Ce jeudi 7 ami, par audio-conférence, Laurent Layet, le gérant de la librairie "Brouillon de culture" informe son équipe des mesures qui s'appliqueront dès lundi : adaptation des horaires, comptage à l'entrée les jours d'affluence pour ne pas dépasser 22 clients, poursuite du drive, consignes d'espacement, port du masque, gel hydroalcoolique à l'entrée, etc...Rien ne sera comme avant dans les librairies. "Je vais réorganiser l'espace de vente et les déplacements", explique également Pierre Lenganey, de la librairie "Le Passage" à Alençon. "Les comportements d'achat vont changer aussi. Il faudra monter en puissance sur les réseaux sociaux, proposer du service, poursuivre le drive."
Travailler autrement, une obligation pour toute la filière
"Ce qui est sûr c'est qu'il faut réduire le nombre de titres, insiste Pierre Lenganey, par ailleurs membre du conseil d'administration de Normandie Livre & Lecture. Il est absolument nécessaire que les éditeurs repensent leur programme de publication pour éviter l'embouteillage et que l'on puisse absorber les nouveautés et défendre intelligemment les titres."
Du côté des éditeurs, ce sera la course au présentoir car eux aussi, doivent se refaire une trésorerie. Les éditeurs régionaux alertent sur leur situation : privés des salons qui leur assurent chaque année une visibilité, et moins solides financièrement que les grandes maisons d'édition, ils espèrent compter sur le soutien des lecteurs. "J'avais six gros salons au printemps, explique Emmanuelle Chevalier, fondatrice des éditions Le Vistemboir, leur annulation a été un gros manque à gagner !"
Faire face à la crise sur le long terme
Depuis qu'il a repris la librairie "Le passage" à Alençon en 2017, Pierre Langaney a enchaîné les périodes difficiles : les manifestations des gilets jaunes, les quinze mois de travaux dans le centre-ville, et enfin le confinement. "Il y a eu des jours douloureux les trois premières semaines, confie Pierre Lenganey. Heureusement, début avril, les discussions que j'ai pu avoir avec les banques et les fournisseurs ont commencé à porter leurs fruits. Et puis, j'ai obtenu un prêt garanti par l'Etat. Et les collectivités locales ont joué le jeu en repassant des commandes."
Mais, le libraire reste prudent : "il faudra vraiment faire attention aux coûts dans les mois à venir. Je ne remplacerai pas dans l'immédiat deux départs à la retraite. On ne sait pas à quelle vitesse les clients vont revenir."
Les problèmes de trésorerie, toutes les libraires, notamment les 90 librairies indépendantes de la région, y ont été confrontées. "L'annulation du festival Des planches et des vaches à Hérouville Saint-clair a été un vrai coup dur, explique Laurent Layet, gérant du "Brouillon de culture. On avait fait venir 2 tonnes de BD à nos frais, c'est du temps et beaucoup d'argent !"
Comment dès lors s'en sortir ? "On a dû négocier avec les gros distributeurs le report des échéances, mettrent en place du chômage partiel et demander des prêts à taux zéro", explique Laurent Layet, par ailleurs Président de librairies en Normandie et membre du conseil d'administration du Syndicat de la librairie française. "Mais ces prêts, il faudra bien commencer à les rembourser l'an prochain, puis sur 4 ou 5 ans !"
Pour assurer une reprise solide dans le temps, les libraires ont demandé à la Région un fonds de soutien d'urgence pour financer les charges fixes, l'exonération de certaines taxes, l'utilisation intégrale des budgets des centres de documentation dans les lycées, ou encore le renforcement du montant de la carte "Atout Normandie" et d'en ouvrir l'usage à tous les livres.