Si elle génère de nombreux emplois, c'est l'une des industries les plus polluantes au monde. La mode, et plus particulièrement la fast fashion, suscite bien des controverses. Zoom sur des initiatives normandes qui tentent de limiter l'impact environnemental d'un secteur largement décrié.
En moyenne, les Français ont acheté, en 2022, 40 vêtements, 4 paires de chaussures et 5 pièces de linge de maison. Ces produits textiles sont essentiellement fabriqués en Asie, dans des conditions sociales souvent délétères.
Au micro de France 3 Normandie, dans la rue du Gros-Horloge, à Rouen, les passants l'avouent : pour la plupart, ils ne regardent pas les étiquettes !
Découvrez le dossier préparé par E. Partouche, E. Pierson et D. Meunier :
Selon l’Ademe, chaque année, plus de 100 milliards de vêtements sont ainsi vendus à travers le monde - une production doublée entre 2000 et 2014. Le 7 mars dernier, les députés ont adopté la mise en place d’un système bonus-malus relatif à l'impact environnemental des articles textiles. Un moyen pour l'Assemblée nationale de réguler la mode et notamment la fast fashion, en responsabilisant les entreprises du secteur.
En Normandie, certaines d'entre elles n'ont cependant pas attendu l'adoption de cette proposition de loi !
Du chanvre et du lin, pour une mode locale et durable
Exemple, d'abord, avec des rubans, issus du lin cultivé dans notre région et dans les Hauts-de-France. La fibre est d'abord peignée puis mélangée à plusieurs reprises. La mèche obtenue est ensuite mise en bobine puis transformée en fil.
L'usine que nous visitons [la French Filature, propriété de la coopérative NatUp, à Saint-Martin-du-Tilleul, dans l'Eure] s'est spécialisée dans la filature au mouillé, une technique d'étirage de la fibre qui permet d'obtenir un ruban fin et régulier. "Nos bobines passent dans un bain d'eau et ensuite, c'est étiré. Ce qui donne le fil le plus fin que l'on puisse avoir, à la fois sur le lin et sur le chanvre", nous explique-t-on.
Ce savoir-faire, exporté en Chine où le coût du travail est moins cher, avait disparu de France… Depuis deux ans, la relocalisation dans l’Eure a créé une trentaine d’emplois. Auparavant salariée dans les cosmétiques, Céline a été séduite : "On remet au goût du jour des machines que je ne connaissais pas, le lin, le chanvre, comme nos ancêtres. Il y a énormément de fierté."
Objectif : investir le prêt-à-porter
Le lin et le chanvre ont besoin de très peu d'eau, encore moins de produits phytosanitaires. Ils sont ainsi reconnus pour leur faible impact environnemental - comparé au coton, par exemple.
Objectif de la French Filature, grâce à ce fil produit dans l'Eure puis tissé ensuite dans le Nord : proposer une offre 100% française à l'industrie textile, plus chère, mais aussi plus durable, aux créateurs de luxe mais aussi aux marques grand public.
Car pour réduire les coûts de structure et donc le prix, il faut produire à grande échelle : "Essayer de réduire les coûts, on travaille dessus tous les jours. Il faut réinventer les modèles, il y a beaucoup de robotisations en cours. On va continuer ce développement", assure Karim Behlouli, directeur général de NatUp Fibres.
Quand on s'achète un produit qui vient d'ailleurs, on ne contribue pas à notre modèle social. Est-ce que c'est acceptable ou pas, ce n'est pas à moi d'en juger, mais c'est à chaque Français de se poser la question : est-ce que l'acte d'achat permet la protection sociale que je veux pour moi ou mes enfants ?
Karim Behlouli, directeur général de NatUp Fibresà France 3 Normandie
Repenser notre consommation pour protéger notre modèle social, mais aussi lutter contre le gaspillage. Lorsque les vêtements et chaussures usagés, souvent issus de la fast fashion et donc de piètre qualité, atteignent une benne dédiée à leur collecte, ils sont transportés dans un centre où ils sont triés à la main.
La valorisation du vêtement : un enjeu de taille
L'un de ces centres agréés se trouve au Houlme, près Rouen. Selon l'état des pièces collectées, il y a différentes façons de les valoriser : s'ils sont réutilisables, ils deviennent des habits de seconde main (59% d'entre eux) et peuvent investir les étals de vos friperies favorites. Sinon, ils sont recyclés et transformés pour une autre utilisation (31%).
Enfin, ils peuvent être transformés en combustibles - donc en source d'énergie - pour certaines activités industrielles par exemple, ou tout simplement incinérés (10%).
Mais aujourd’hui, à 95%, les vêtements réutilisables ne sont pas, justement, revendus en France. Ils sont exportés, notamment en Afrique. Là-bas, inadaptés au climat local et victimes d'une baisse continue de leur qualité, ils finissent très souvent dans des décharges à ciel ouvert, où ils polluent.
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Le recyclage, une manne financière ?
Seul 1 vêtement sur 3 est ainsi, aujourd'hui, déposé dans l'une des 47 000 bennes de collecte disponibles en France.
Sophie Cornou est responsable valorisation des textiles et des chaussures chez Refashion, l'éco-organisme de la filière textile. Elle déplore le fait que beaucoup choisissent de jeter les textiles usagés, alors que les possibilités de recyclage sont multiples : "C'est un point clé. Le citoyen doit déposer ses vêtements, même usés, dans les points de collecte !"
"On peut faire de l'effilochage, donc récupérer les fibres du vêtement, refaire du fil et refabriquer un vêtement. On peut aussi récupérer les fibres et créer un produit d'isolation : un isolant acoustique ou thermique pour l'habitat, à intégrer dans les sols, les combles et les murs...", ajoute-t-elle.
La règle de base, c'est de ne pas jeter ses vêtements ou chaussures usagés dans la poubelle des ordures ménagères. Elle va directement vers l'incinération, et l'incinération a un impact environnemental très fort.
Sophie Cornouà France 3 Normandie
Problème : le recyclage des vêtements est parfois compliqué par une foule de petits détails : "la diversité des textiles, des vêtements et des chaussures qui existent, en termes de dimension, de matière - très souvent, un vêtement est composé de plusieurs matières comme le polyester, le coton, l'acrylique... et enfin, les points durs : boutons, fermetures éclair, coutures. Tout ça rend la démarche complexe", souligne Sophie Cornou.
Concluant que le seul moyen d'y parvenir, c'est d'augmenter le volume récupéré dans les bennes, qui fera par effet rebond baisser les coûts de production. Vous savez désormais où vous rendre, la prochaine fois que vous voudrez vous débarrasser de vos vêtements !