Quelques jours à peine après le controversé Black Friday, un magasin Primark va ouvrir dans le centre commercial Saint-Sever, à Rouen. Le géant irlandais proposent des vêtements et accessoires à très bas prix, à l'image d'autres enseignes de fast-fashion. Une stratégie marketing de plus en plus décriée.
On pourrait vêtir le monde entier jusqu'en 2100 rien qu'avec les vêtements produits jusqu'ici. C'est - l'effarant - constat dressé par l'association Les Amis de la Terre. La structure précise que 150 milliards de vêtements sont produits chaque année. Nombre d'entre eux viennent du Bangladesh, où les 4 millions de travailleurs du secteur textiles sont payés en moyenne 105 euros par mois, soit quatre fois moins que le salaire minimum vital.
Découvrez notre sujet sur l'ouverture du nouveau Primark, avec les interviews de Stéphane Gaucher, directeur du Primark de Saint-Sever, et Laura Thieblemont, militante aux Amis de la Terre :
Un bilan environnemental conséquent
Dans ce contexte, l'inflation n'est pas un prétexte pour se fournir dans des magasins de fast fashion, estime Laura Thieblemont, membre de la section rouennaise de l'association et vice-présidente des Amis de la Terre au niveau national. "C'est un sujet délicat. Ce n'est pas la catégorie supérieure qui va chez Primark. Mais on ne doit pas perdre de vue que plus d'un vêtement sur deux provenant de ce magasin n'est pas porté", relève la militante. "Les besoins doivent être questionnés."
On est dans la mise en avant de la surproduction, qui engage une surconsommation. C'est au-delà de désespérant.
Laura Thieblemontà France 3 Normandie
Quelques jours après le Black Friday, où plusieurs associations de défense de l'environnement ont organisé une action commune pour dénoncer la surconsommation, l'ouverture d'un Primark dans une ville déjà riche en commerces de prêt-à-porter sonne comme une provocation pour Laura Thieblemont.
"L'industrie textile représente un niveau énorme d'émissions de CO2, et ce dans toute la chaîne de fabrication, de la culture des matières premières - avec des dégâts localement liés aux teintures et des ravages sur la biodiversité - à la fabrication. Du début de la graine de coton plantée jusqu'aux vêtements jetés, qui finissent sur des plages en Afrique."
"Sans compter les transports pour exporter les vêtements en Europe, les multitransports en Europe avec 2 à 3 retours sur un vêtement à 3 euros, pour changer la taille ou la couleur... Tout cela vient augmenter le bilan carbone final", assure Laura Thieblemont, qui rappelle les pratiques "condamnables" des entreprises du secteur, comme l'exploitation d'une main d'œuvre sous-payée. "On est dans une nouvelle forme d'esclavage."
La nécessité de revoir sa manière de consommer
Pour Les Amis de la Terre, tout doit être réappris, du "respect de l'objet" - "on est dans un rapport aux biens matériels qui devient catastrophique", plaide Laura Thieblemont - aux décisions du consommateur. "La question de l'accès aux vêtements et à la consommation est un sujet épineux. Mais c'est loin de pouvoir nous arrêter. On arrivera peu à combattre ces stimuli dans le cerveau tant que les gens ressentiront du plaisir à se procurer un nouvel objet. Nous vivons dans une société gouvernée par la publicité et le paraître. Mais on peut par la législation."
Malgré la COP 28 et les accords de Paris, on voit bien que dans la réalité, la législation est à la traîne. Les politiques pensent à court terme, par rapport à leur mandature et leur réélection.
Laura Thieblemont
Dans le viseur des associations environnementales, de nombreuses marques qui commercialisent des vêtements à très bas prix. Pas chers, et souvent peu qualitatifs, ces vêtements et accessoires se retrouvent bien souvent jetés... Des marques grand public et des sites web d’e-commerce comme Primark, justement, mais pas que.
Zoom sur les plus décriées.
Primark
Depuis l'ouverture de la première franchise en France, en 2013 à Marseille, Primark a fait du chemin. Aujourd'hui, l'entreprise est implantée dans 15 pays et dispose d'une vingtaine de magasins sur le territoire. En France, elle embauche quelque 6 000 employés.
Pourtant, cette figure de l'ultra fast fashion suscite nombre de controverses. Selon Zero Waste France, les vêtements vendus par Primark seraient composés de 43% de fibres synthétiques, "nocives pour l’environnement dès la fabrication du tissu jusqu’à la fin de vie du produit, en passant par les lavages qui libèrent des millions de microplastiques".
L'entreprise a par ailleurs déjà été visée par des accusations d'atteinte aux droits humains, du Bangladesh, où sont produits les vêtements, aux franchises françaises, "régulièrement condamnés par les tribunaux français pour non-respect des droits des employés."
Zara
En moins de 50 ans, la marque espagnole du groupe Inditex a conquis le monde entier. Jusqu'à se hisser à la première place du marché mondial du textile. En limitant les intermédiaires entre la fabrication et la mise en vente, Inditex réduit les coûts et augmente sa marge. Mais à quel prix ?
En 2013, à la suite de l'alerte d'une ONG locale, le leader de l'habillement est visé par des accusations de travail d'enfants dans ses usines de Buenos Aires, en Argentine. Deux ans plus tôt, c'était à Americana, au Brésil. Deux affaires pour deux démentis, le groupe assurant n'avoir aucun lien avec les usines concernées...
Quelques années plus tard, en 2016, une enquête de la BBC révèle que des réfugiés syriens, dont des enfants, travaillent en toute illégalité à la confection de vêtements pour plusieurs marques, dont Zara, sur le territoire turc.
Shein
D'après le Wall Street Journal, la marque de prêt-à-porter chinoise fondée en 2008 pourrait faire une introduction fracassante en Bourse aux Etats-Unis en 2024, avec une valorisation estimée à 66 milliards de dollars.
Sur les réseaux sociaux, Shein use d'un marketing agressif. Lorsqu'une boutique éphémère ouvre, c'est la ruée vers l'or. Le géant chinois s'est fait une place dans les dressings du monde entier. Il propose des pièces pour tous les goûts et pour - très - petits budgets. Inspirées de grands créateurs, les collections changent constamment (8 000 nouvelles pièces chaque jour, produites en quantité limitée), incitant à renouveler sa garde-robe au gré de ses envies. Certaines grandes marques ou petits créateurs crient au plagiat de leurs modèles.
Mais en début d'année, la marque est accusée d'exploiter les Ouïghours, une minorité musulmane enfermée dans des camps de rééducation dans la région du Xinjiang, en Chine. Une accusation démentie par Shein.
Mais aussi...
Pimkie, Kiabi, C&A, H&M, Mango, Asos, Topshop, Urban Outfitters, Wish, AliExpress, FashionNova, Temu, Naumy, Boohoo, Pretty Little Things, United Colors of Benetton, Nike, Adidas et même Chanel, Dior, Prada et Louis Vuitton... Difficile de savoir où donner de la tête.
Pour consommer différemment, plusieurs pistes. Le consommateur peut s'orienter vers des vêtements labellisés Fair Wear Foundation (FWF), qui certifie un mode de production et des salaires répondant à certains barèmes. Il est aussi possible de télécharger une application comme Clear Fashion ou Good On You, les Yuka des marques de mode éthique, ou encore d'opter pour des vêtements de petits créateurs.
Pour lutter contre la surconsommation de vêtements, le réemploi est aussi une solution, en chinant directement dans les friperies, par exemple. Un moyen de soulager son portefeuille tout en réduisant son empreinte énergétique.