Près de 120 bateaux de pêches sont entrés ce matin dans les ports du Havre et de Cherbourg pour contester les projets d'implantation d'éoliennes au large de la Normandie. Pêcheurs et associations de défense de l'environnement redoutent la destruction d'une part de la biodiversité marine.
« Préservons notre patrimoine, la mer et ses ressources ». Voilà le slogan sous lequel s'est mobilisé ce matin le collectif Citoyens des Mers qui rassemble pêcheurs normands, associations de préservation de l'environnement comme Sea Sheperd et Robin des bois ou encore l'association de défense des paysages Libre Horizon. En réponse à l'appel du collectif, une cinquantaine de bateaux de pêche, essentiellement venus de ports normands, sont ainsi entrés dans le bassin de commerce du port de Cherbourg. Plus de 70 dans celui du Havre. Tous, vent debout contre les projets d'implantation d'éoliennes au large de la Normandie.
Pour un moratoire sur les parcs éoliens
Il n'existe encore aucune éolienne offshore - installée en mer - en France. Mais le littoral normand devrait en accueillir plusieurs dans les années à venir, sur décision de l'Etat, qui compte y développer un parc éolien posé en mer sur une zone de 300 kilomètres carrés. Quatre sites ont déjà été retenus (Dieppe-Le Tréport, Fécamp, Courseulles-sur-Mer et Barfleur) et les forages sur celui de Courseulles devraient commencer en mars 2022.
A l'approche des premiers travaux, les pêcheurs s'inquiètent. Ils jugent la création du parc éolien trop précipitée, comme l'explique le directeur-adjoint de l’Organisation des pêcheurs normands Mathieu Vimard : "L’engagement qui avait été pris c’était de dire que le site de Courseulles serait un projet pilote, avant d’en envisager d'autres. Il y a déjà quatre appels d’offre lancés. On a l’impression de faire face à un rouleau compresseur." C'est pourquoi le collectif Citoyens des Mers en appelle à un moratoire, "pour prendre le temps de comprendre et de faire le point sur l’état actuel des connaissances", développe Mathieu Vimard.
"Les marsouins seront terriblement handicapés"
Parmis les préocupations du collectif se niche la question de la protection de la biodiversité. Les associations de défense de l'environnement redoutent particulièrement l'impact des projets éoliens sur la vie des mammifaires marins. "On est très inquiets pour les marsouins", regrette le président de l'association Robin des Bois Jacky Bonnemin. En effet ces cétacés, présents en grand nombre dans la Manche, sont très sensibles au bruit. Le directeur de l'association soulève ainsi le "risque de dégradation de leur appareil auditif lors du battage des pieux" pour ancrer les éoliennes dans les sédiments marins. "Ils seront terriblement handicapés pour le reste de leur vie", affirme-t-il.
Les grandes baleines ne sont pas forcément affectées par les fréquences de battage de pieux. Mais les marsouins y sont très sensibles.
Pour la santé des marsouins, les risques sont multiples. "L'implantation d'éoliennes peut effectivement créer du dérangement et leur causer des difficultés à trouver leurs proies", détaille la chercheuse en écologie marine Emeline Pettex, "il peut aussi y avoir des désordres physiologiques, des acouphènes comme quand on sort d’un concert, ou des risques de perte d'audition permanante qui peuvent entraîner la mort de certains animaux."
Mais d'après cette spécialiste des oiseaux et mammifaires marins à l'université de La Rochelle, "il existe aujourd'hui des dispositifs de plus en plus performants pour limiter le bruit à la source". Selon elle, il y a par exemple "différentes techniques" d'implantation des éoliennes. "La plus bruyante est le battage de pieux. Mais au lieu d'un gros pieu, on peut choisir d'installer des fondations de type jacket, avec quatre petits pieux. Il y a aussi des systèmes comme les rideaux de bulles qui permettent d'entourer la zone de battage pour casser les ondes.
On sait aujourd'hui qu’il y a des techniques à éviter alors on demande aux industriels de limiter leur impact.
"Il n'y aura plus de poissons"
Les pêcheurs, eux, s'inquiètent de la disparition de leurs ressources. Ils voient dans la concrétisation de projets éoliens offshore la mise en péril de leur activité. A l'instar de ceux qui draguent la coquille Saint-Jacques en Baie de Seine : "C'est une zone qu’on protège avec des horaires, des quotas, un maillage réglementaire à la coquille", affirme le patron du bateau de pêche Marjolaine Jonathan Delestre,"ils vont tout nous détruire à cause des travaux sous-marins qu’ils vont faire. Il n’y aura plus de poissons." Engagé aux côtés des pêcheurs, le directeur de l'association Robin Des Bois dénonce également les projets d'implantation d'éoliennes offshore, notamment sur le site de Courseulles, qui est actuellement une zone de pêche : "ils vont être exproriés et les coquilles Saint-Jacques vont être polluées par la peinture et les dispositifs anti-érosion."
Cependant, pour la chercheuse Emeline Pettex, une nécessaire mise en perspective s'impose. "Le problème, c'est aussi que le changement climatique est l’une des principales causes d'impact sur les populations marines", soutient-elle, "dès que la température de l’eau monte un peu, certaines espèces remontent vers le Nord. Il existe donc d’autres urgences environnementales. Il y a un point d’équilibre à trouver entre la question du climat et celle de la protection de la biodiversité".
Le projet d’appel d’offres proposé par l’État, lancé pour créer un nouveau parc éolien au large de la Normandie, s'inscrit en effet dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) parue au JO le 23 avril 2020. Elle poursuit entre autres objectifs celui de renforcer la part de l'énergie éolienne dans le mix énergétique français. L'une des causes, sans doute, de l'accélération du calendrier des travaux des futures éoliennes en mer.