Affaire des assistants parlementaires FN : Nicolas Bay tente de prouver le travail de Timothée Houssin avec des revues de presse... postdatées

Le 30 septembre prochain se tiendra le procès des assistants parlementaires au Parlement européen de l'ancien parti politique Front National. L'émission Complément d'Enquête révèle que le Normand Nicolas Bay a tenté de prouver l'activité de son ancien collaborateur Timothée Houssin, actuel député RN de l'Eure, en fournissant aux enquêteurs des revues de presse réalisées plusieurs années après la fin de son mandat.

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Ce jeudi 19 septembre 2024, l’émission Complément d’Enquête va dévoiler le résultat d'un long travail mené à quatre mains avec franceinfo sur l’affaire des assistants FN au Parlement européen.

Dans les documents consultés par les journalistes figurent des revues de presse dans lesquelles l'eurodéputé Nicolas Bay, également conseiller régional de Normandie, tente de prouver les activités de son assistant Timothée Houssin - actuel député RN de l'Eure -  était en poste entre 2014 et 2015. 

Mais dans les faits, Complément d'Enquête révèle que ces revues de presse ont été éditées et préparées, au moins en partie, en 2018. Un élément que les enquêteurs n'avaient pas noté.

Nicolas Bay et Timothée Houssin font partie des 27 personnes mises en examen dans cette affaire. La justice suspecte les anciens assistants d'eurodéputés du FN (devenu le Rassemblement national) d'avoir en réalité travaillé au bénéfice du parti.

Le préjudice se chiffrerait à 6,8 millions d'euros, selon le Parlement européen. Mais les mis en cause nient farouchement.

112 pages de coupures de presse 

Timothée Houssin, âgé de 26 ans à l’époque, a été embauché par Bruxelles de juillet 2014 à mars 2015, pour un salaire mensuel de 2 300 euros.

En septembre 2018, interrogé par la juge d'instruction en charge du dossier, qui tente de disséquer l'activité de son assistant, Nicolas Bay fournit aux enquêteurs un important dossier de 112 pages contenant des copies de posts publiés sur les réseaux sociaux, des communiqués auxquels Timothée Houssin aurait contribué et différentes coupures de presse ou captures d'écran de médias régionaux et nationaux.

Une revue de presse réalisée par son collaborateur "entre septembre 2014 et février 2015", assure-t-il.

"Je conteste les faits dans leur ensemble, clame l'eurodéputé. M. Houssin était mon assistant, il a bien travaillé comme mon assistant parlementaire."

Des incohérences dans les dates prétendues des articles

En toute logique, ces captures et numérisations sont censées avoir été effectuées en mars 2015 au plus tard, quand Timothée Houssin était encore en poste.

Pourtant, certaines ont en réalité été faites quelques années plus tard. L'exemple le plus flagrant est un article du Monde portant sur les ambitions climatiques de l'Europe. L'article date bien du 24 octobre 2014.

Mais dans l'en-tête de la page, la barre de menu du site du Monde fait référence à des événements postérieurs : la COP22, qui date de novembre 2016, et le One Planet Summit, dont la première édition s'est tenue en décembre 2017.

Des événements qui, naturellement, n'apparaissaient pas dans la rubrique Planète du Monde, au moment de la publication de cet article en 2014.

Le guillemet de la discorde

Dans un autre papier, une interview signée Libération, présente dans la revue de presse et publiée le 16 janvier 2015, c'est un élément graphique qui attire l'œil des journalistes : chaque question est précédée d'un guillemet dessiné dans un carré. "Or, cet élément graphique, dessiné par l'agence Datagif, spécialisée dans la création de sites web et d'applications, n'existait pas encore début 2015", affirme franceinfo.

Pour démêler le vrai du faux, Complément d'Enquête a interrogé le directeur de Datagif, Gaëtan Duchateau. Ce dernier confirme que ces fameux guillemets rouges ont été dessinés en mars 2015, soit après la fin du contrat de Timothée Houssin.

"En juin, on a finalisé les maquettes graphiques. Et les lecteurs ont découvert ça début septembre 2015, lors de la mise en ligne [sur le site de Libération]. Donc en janvier 2015, ce guillemet n'existait absolument pas, et l'article aurait dû avoir l'ancienne maquette", explique-t-il.

Un petit détail qui prouve, de fait, que l'article de Libération n'a pas pu être sauvegardé et inséré dans la revue de presse avant septembre 2015.

"Je n'ai pas produit ces documents", confirme Timothée Houssin

De nombreux exemples similaires ponctuent cette revue de presse. La Tribune, Europe 1... les codes graphiques des médias ont changé, de l'agencement de la photographie à l'apparence des icônes de partage.

Au total, "Franceinfo et Complément d'Enquête ont recensé une dizaine d'articles avec ce genre d'incohérences. Du reste, la majorité de ce contenu est composée de numérisations d'articles imprimés, qui ne permettent pas d'être précisément datées", détaille l'article de nos confrères.

Ce n'est pas moi qui ai remis les pièces présentes au dossier au juge et je n'en ai jamais eu connaissance. Ces revues de presse ne correspondent pas, sur la forme, à mon travail. Je n'ai pas produit ces documents en l'état, ni durant mon contrat avec Nicolas Bay, ni après.

Timothée Houssin

à franceinfo

De son côté, Timothée Houssin assure avoir bien travaillé pour Nicolas Bay mais n'avoir en aucun cas produit cette revue de presse. "Ce n'est pas moi qui ai remis les pièces présentes au dossier au juge et je n'en ai jamais eu connaissance. Ces revues de presse ne correspondent pas, sur la forme, à mon travail", tranche le député RN.

"Je n'ai jamais prétendu que ces documents dataient de 2014"

Nicolas Bay explique pourtant s'être bel et bien appuyé sur des articles compilés par Timothée Houssin entre 2014 et 2015, bien qu'il les ait remis en forme depuis. L'objectif étant de permettre à la juge d'instruction "d'appréhender la nature [du] travail" de Timothée Houssin, "[s]on équipe, en 2018, a compilé ces articles de presse (de l'époque mais quelques-uns étaient manquants et ont donc été retrouvés sur le web et réimprimés). Il n'y a donc aucune fausse preuve de travail."

"Je n'ai jamais prétendu auprès de la justice ni auprès de quiconque que ces documents, dans leur forme fournie à la juge, dataient de 2014", plaide-t-il également.

Dans son échange avec la juge, daté de septembre 2018 et consulté par franceinfo, il a pourtant présenté cela comme "les revues de presse réalisées par Timothée Houssin entre septembre 2014 et février 2015", "sans préciser qu'elles avaient été modifiées ou compilées quelques mois plus tôt", détaille franceinfo.

Les enquêteurs lui auraient ensuite demandé : "Comment expliquez-vous que M. Houssin n'ait pas été en mesure de nous remettre les éléments que vous me remettez aujourd'hui ?". Ce à quoi l'eurodéputé aurait répondu : "Concernant les revues de presse, il me les remettait sur mon bureau le plus souvent au format papier. Je les ai retrouvées dans mon bureau de député à Bruxelles."

"J'ai toujours travaillé au bénéfice direct" de Nicolas Bay

Problème : malgré ces couacs, ces revues de presse constituent l'une des seules preuves potentielles de l'activité de Timothée Houssin. Dans une ordonnance rendue le 8 décembre 2023, les juges ont déclaré qu'il n'était "pas exclu que Timothée Houssin ait pu avoir une activité résiduelle pour Nicolas Bay de revue de presse et de rédaction au vu des éléments produits".

Timothée Houssin, lui, assure à France 3 Normandie aborder le procès "serein". "Les faits remontent à 10 ans et nous attendons de longue date de pouvoir nous expliquer sur la situation et d'être jugé par la justice française", explique-t-il.

Durant ces 9 mois, mon contrat, visé par le Parlement, me liait à Nicolas Bay, que je connaissais depuis 2009, et stipulait que mon lieu de travail était au siège du RN. J'ai travaillé au bénéfice direct de l'activité politique de Nicolas Bay et sous sa direction.

Timothée Houssin

à France 3 Normandie

"J'ai été salarié de députés européens durant près de six ans et salarié du Rassemblement national durant deux ans. L'accusation affirme que pendant neuf mois, de juillet 2014 à mars 2015, alors que j'étais salarié du député européen Nicolas Bay, je n’aurais pas travaillé pour lui. Durant ces neuf mois mon contrat, visé par le Parlement, me liait à Nicolas Bay, que je connaissais depuis 2009, et stipulait que mon lieu de travail était au siège du RN."

"Durant cette période j'ai toujours travaillé au bénéfice direct de l'activité politique de Nicolas Bay et sous sa direction", conclut-il.

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