Le département se donne les moyens d'éviter des drames humains au sein des foyers. A la demande de la procureur de la République, la lutte contre violences intrafamiliales est devenue une priorité.
Depuis le début de l'année 2021, 58 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint violent. Et chaque semaine, de nouveaux drames s'ajoutent aux précédents laissant à penser que ce macabre décompte ne s'arrêtera jamais.
Une nouvelle unité de gendarmes dans l'Eure
En 2021, aucun féminicide n'a été recensé dans l'Eure. Mais l'année dernière a été marquée par un drame dans la commune de Vernon. Le 31 août 2020, une femme de 48 ans a été défenestrée par son conjoint du 7ème étage d'un immeuble du quartier des Boutardes. Alors que les forces de l'ordre ordonnent à l'homme d'ouvrir la porte de l'appartement, il projette alors sa femme par la fenêtre, elle ne survivra pas.
Selon les proches de la victime, les coups pleuvaient depuis 20 ans au sein du couple. Alors comment éviter qu'une nouvelle tragédie se reproduise ?
Dans le département de l'Eure, une nouvelle unité dédiée de gendarme a vu le jour le 1er mars dernier. Cinq agents ont été formés spécialement pour enquêter et intervenir sur les violences conjugales et intrafamiliales. "D'abord nous aidons nos collègues, pour orienter correctement les dossiers ou pour les accompagner lors des auditions, souligne l'adjudant-chef Claire Caens, nous sommes spécialement là pour les problématiques de violences au sein du foyer ou envers les personnes vulnérables."
La procureur de la République d'Evreux, Dominique Puechmaille, estime que 800 faits de violences conjugales se sont déroulés sur son département l'année dernier, mais très peu ont été suivis d'effets judiciaires. La magistrate n'entend pas rester les bras croisés face à cette situation : "ce que j'essaie de mettre en place c'est un système de communication entre les différents intervenants". A sa demande, les policiers et gendarmes envoient désormais chaque jour toutes les plaintes, mains courantes et signalement relatifs aux violences intrafamiliales via une messagerie électronique. "Le but c'est d'essayer de repérer les situations, de ne pas en manquer, mais surtout de permettre aux victimes de se libérer et si elles le souhaitent de partir du domicile dans de bonnes conditions" explique Dominique Puechmaille.
Dans ce contexte, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, souhaite également augmenter le nombre de dispositifs dissuasifs. Dans l'Eure, douze téléphones grave danger ont été distribués. En appuyant sur une seule touche, la téléassistance est prévenue d'une situation de violences. Aussi, trois bracelets anti-rapprochements ont été posés sur des hommes dangereux dans le département. "S'il contrevient en pénétrant dans cette zone, la victime est prévenue et mise en sécurité et les forces de sécurité interpellent l’auteur. Cette violation de l’interdiction est ensuite transmise au magistrat", précise le ministère de la justice.
"Quand j'ai commencé à parler, il a voulu me tuer"
Marie Murski a été victime pendant 14 ans de violences conjugales. Cette euroise a raconté son calvaire dans un livre : "Cris dans un jardin". Aujourd'hui, elle publie un nouvel ouvrage : "Mila de Nulle part". Marie Muski tente d'expliquer comment une femme peut totalement tomber sous l'emprise d'un homme.
Le moment le plus difficile selon elle : quitter le domicile puis porter plainte. "C'est la gendarmerie qui nous a séparé puisqu'il a voulu me tuer à ce moment, décrit l'ancienne victime, la période la plus période la plus dangereuse c'est quand l'homme comprend que sa compagne, a porté plainte, qu'elle a commencé à parler". Comme beaucoup d'autres femmes, Marie Muski a longtemps hésité avant de parler. Elle raconte : "quand il se rend compte que 'sa chose' va partir, le seul moyen qu'il a de la retenir, c'est de la tuer."
"Pourquoi elle n'est pas partie plus tôt ?"
Voici une question que l'on peut parfois entendre de la part de ceux qui ignorent tout de l'emprise qu'un homme peut avoir sur sa compagne. Partir peut prendre du temps, des années, voire des dizaines d'années. "La sortie de la violence, ce n'est pas quelque chose qui arrive du jour au lendemain parce que d'un seul coup on prend conscience de notre situation, explique Blandine Fornier, déléguée départementale de l'Eure aux droits des femmes, c'est beaucoup plus complexe que cela, ça nécessite un long parcours, accompagné dans le meilleur des cas, pour avoir une sortie définitive des violences et parfois ça dure très longtemps".
Dans quelques mois, une nouvelle cellule verra le jour dans le département de l'Eure. Elle réunira tous les acteurs : associations, justice, travailleurs sociaux et gendarmes pour qu'aucun indice ne passe à travers les mailles du filet judiciaire et pour que demain plus aucune femme ne soit victime de son compagnon.