Dans les années 80, la culture rockabilly estampille une jeunesse qui cherche son identité. À travers le regard du photographe Gil Rigoulet, les réalisateurs Valérie Deschênes et Marc Toulin retournent sur les traces d'une ville qui, près de 40 ans après, reste marquée par la culture Rockabilly.
En 1982, Gil Rigoulet, photographe à Evreux, croise le regard d’une bande de jeunes qui l’intrigue. Bananes gominées, blouson teddy, creepers aux pieds, voitures fifties, musiques importées d'Amérique, la culture rockabilly estampille une jeunesse qui cherche son identité.
Le photographe décide de les suivre dans leur quotidien, l'aventure dure quatre mois …37 ans plus tard, Gil Rigoulet ressort de ses classeurs les négatifs noir et blanc, recherche les garçons de la bande … rien n’a été renié. Les souvenirs remontent et permettent de revisiter un pan de l’histoire d’une ville et de ses influences. Quelles traces a laissé la présence américaine lorsqu’Evreux était base aérienne de l’OTAN jusqu’en 1967 ?
Petite fille, j’habitais près de la cité Lafayette, quartier américain de Saint-Michel, à Evreux. Mon père était journaliste à Paris-Normandie, je l’accompagnais au théâtre ou au concert dont il devait faire la critique pour le journal ...mes deux premiers souvenirs sont Shakespeare et Johnny ! A 18 ans, j’ai quitté la ville, puis j’ai oublié mon quartier, la maison d’enfance vendue après la mort prématurée de mes parents. L’histoire ébroïcienne s’arrêtait là. Jusqu’à maintenant.
"Rockabilly" est un mot-valise mêlant au mot "rock" le mot "hillbilly" associé au style country (venant de la musique rurale traditionnelle américaine). Un genre musical joué pour être dansé. Souvent appelée ainsi dans les années 40 et 50, il est également associé au stéréotype qui était fait du public de ce style musical.
Gil Rigoulet, avec qui j’étais élève et amie au Lycée d’Evreux, remet en lumière un travail étonnant qu’il avait fait en 1982 pour La Dépêche, quotidien local, sur le mouvement rockabilly au cœur de la ville. Devenu photographe reconnu, il ressort de l'oubli ses images de l’époque. Des revues d'art et des galeries s'y intéressent en France, en Angleterre, aux USA, en ce qu’elles offrent, au delà d’un beau regard de photographe, un témoignage rare.
Lorsque Gil me montre les photos de ces rockers qu’il a suivis plusieurs mois au travail, dans l’intimité de leur chambre, dans leur quartier ou en bande dans la rue, je replonge dans les souvenirs de mon adolescence. Si je reconnais les lieux, je découvre sur ces photos l’audace et la fougue d’une jeunesse différente de la mienne. Même si je n’étais pas partie, les aurais-je rencontrés, côtoyés ?
Gil m'offre un chaînon manquant de l'histoire de ma ville.
Dans ces lieux familiers, il a saisi les visages d’un univers méconnu, des visages qui appellent à la rencontre. Aujourd’hui, il rêve d'une suite, partir à la recherche de ces garçons, les photographier aujourd’hui, accentuer la conscience du temps écoulé par un changement de support : à l’image noir et blanc argentique, il veut substituer le polaroïd couleur.
L’idée du film est née. Le sujet me touche par ses résonances personnelles comme par les séquences possibles qu’il offre ! Retrouver avec lui les rockers de ses photos, les interroger sur leur passé, leur histoire, leurs influences, découvrir ce qu’ils sont devenus, questionner leur passion particulière, depuis la manière dont elle les a construits hier, jusqu’à la place qu’ils lui accordent aujourd’hui encore …
Outre les séquences de retrouvailles des rockers des photos, je me plongerai dans l’histoire d’un phénomène autant musical que sociétal, à travers des rencontres avec ceux qui l’ont vécu : musiciens, tatoueurs, collectionneurs, journalistes, tous passionnés par l’univers rockab.
Je m’intéresserai aussi à leurs successeurs, aux nouvelles générations, en Normandie ou non loin, où éclosent des groupes aux noms accrocheurs : Hot Slaps, Hillibillies, Spunyboys …
Pourquoi de jeunes générations sont-elles séduites à leur tour par la culture rockabilly, ne jurant que par les années 50/60 depuis la décoration de leur chambre, leur collection de vinyles, leur look vestimentaire, leurs tatouages … jusqu’à leur traque des concerts, des soirées, des festivals rétros ? Ecouter leur itinéraire, comprendre leur choix, sonder le fantasme américain, idéalisé ?
Arpenter ce qui reste des quartiers américains désertés avant leur destruction prévue par un projet immobilier qui en effacera la mémoire, reconstruire l’histoire d’une ville sous influence américaine, autant par les innovations ménagères que par ses musiques affolant une jeunesse en quête d’identité …
Quel en est l’écho aujourd’hui ? Quelles traces a gardées cette ville provinciale de cette frénésie qui mêla la grande histoire, les continents et leurs cultures, les mouvances musicales et l’envie d’en découdre ?
Il est troublant qu’un film nous mène vers nos racines, je désire d’autant plus connaître une époque qui m’a échappée, l’histoire de ces rockers de ma génération. Nous aurions pu être dans la même classe, fréquenter les mêmes cafés, les mêmes cinémas, les mêmes boîtes de nuit … Je suis partie, eux sont restés. Comment vit-on dans le même lieu, avec les mêmes rêves ? Pour ceux qui sont restés profondément rockers, comment ont-ils gardé la foi ? J’ai envie d’en savoir davantage, de me laisser emmener dans leur univers, avec leur langage, leurs morceaux mythiques, leur affects … Un documentaire qui leur donnera la parole alors qu’on leur a souvent demandé de se taire, une belle manière de revisiter l’ancrage historique de la naissance du rock en Normandie, d’écouter ce qui bat toujours ici ou là, de mêler quelques traces personnelles à celles de Gil, pour en mieux partager l’histoire !
Valérie Deschênes
"Rockabilly for ever", un documentaire à (re)voir lundi 21 juin à 23h50 sur France 3 Normandie
Et en replay ici dès le lendemain de la diffusion.
Rockabilly for ever
Réalisation : Valérie Deschênes et Marc Toulin
Production : Almérie Films
Coproduction : France Televisions
Lundi 2 décembre 2019 dans "La France en vrai" sur France 3 Normandie vers 23h