Témoignage.  "vous pouvez gifler, il n’y a rien de grave". Soupçons de maltraitance dans une Maison d’Enfants

Publié le Mis à jour le Écrit par Théo Thomas et Mathilde Riou

Des salariés de la maison d'enfants à caractère social (MECS) de Thibouville (Eure), dénoncent les agissements de leur direction. Ils accusent l'équipe d'avoir agressé physiquement et verbalement des pensionnaires. La direction réplique en désignant ces mêmes salariés comme étant à l'origine des maltraitances.

Le dernier cas de maltraitance remonterait au 1er septembre 2023, date à laquelle la directrice aurait frappé deux enfants, selon les dires de plusieurs salariés. Quatre jours après les faits, les éducateurs font un signalement au 119, le numéro d’urgence pour informer des cas de maltraitance.

Selon ces salariés, les enfants âgés de 9 et 10 ans présentaient des bleus sur les joues après cette "correction". Franck, un des salariés, nous précise que cet acte a eu lieu "avec la complicité d’un chef de service, car selon les dires des enfants, un des chefs de service leur a tenu les bras pendant qu’ils se faisaient gifler".

Educateur au sein de la MECS depuis trois ans, il nous détaille un quotidien devenu invivable tant pour les professionnels que les enfants :

Elle a récemment dit à une collègue quand vous êtes à bout, vous pouvez gifler il n’y a rien de grave. -Mais c’est interdit par la loi ! Sauf qu'aucun signalement ne sera fait, on peut jouer avec la loi !

Franck, éducateur à la MECS

Des enfants enfermés à clé dans leur chambre

"Depuis octobre 2021, on a signalé à la direction que ce n’était pas possible d’enfermer les enfants, que c’était de la séquestration. On a le droit de le faire qu'en cas de prescription médicale ou sur décision d’un magistrat. Mais la direction a donné l’autorisation aux éducateurs d’enfermer l’enfant dans sa chambre quand il en avait marre. Si l’éducateur ne voulait pas le faire, c’est un chef de service qui venait lui-même fermer la porte à clé."

L'éducateur nous précise qu'à l'évocation de ces cas en réunion : "on se fait lyncher, humilier et on nous dit que s’il se passe quelque chose, nous serons tenus pour responsable." Une partie des éducateurs ressent une pression psychologique et la psychologue en charge de l'équipe éducative leur aurait répondu "si vous avez atteint vos limites, il faut démissionner, vous ne gagnerez pas en face de la direction".

"Certains éducateurs font usage de la violence en pratiquant une balayette (coup dans les jambes) pour plaquer l’enfant au sol " ajoute Franck.

Ce sont nos confrères de Libération qui ont révélé cette affaire. En poste depuis 2014, Marie France L. dirige la Maison d'enfants à caractère social (MECS) de Thibouville (Eure). Plusieurs de ses salariés l’accusent de harcèlement et maltraitance. La gendarmerie a ouvert une enquête. Depuis la révélation de cette affaire, des parents d’enfants placés ont appelé l’établissement ; inquiets de ce qu’ils ont pu lire. Certains souhaitent même, malgré la décision de justice, reprendre leur enfant.

La MECS est gérée par l’association laïque Vincent de Paul. Elle regroupe la « maison mère » de Thibouville et deux établissements secondaires à Bernay. Elle a en charge environ 70 jeunes de 6 à 21 ans, placés pour la majorité suite à une décision de justice.

Une grande partie de ces pensionnaires a déjà souffert de maltraitance, physique ou psychologique, ou de violences sexuelles. Pour les encadrer, éducateurs et administratifs sont une petite soixantaine.

Plusieurs signalements effectués

Les responsables du 119 ont signalé la situation au conseil départemental de l'Eure. C'est par ailleurs cet organisme qui est en charge de la maison d'enfants et qui a lui-même prévenu Rémi Coutin, procureur de la République d'Evreux.

Celui-ci confirme que cette situation fait "l'objet d'un suivi étroit de [sa] part".

Mon parquet a été saisi début septembre d’un signalement concernant de possibles faits de maltraitance commis par la directrice de cette structure sur des mineurs qui y sont placés, et a aussitôt demandé aux services de gendarmerie d’ouvrir une enquête.

Procureur de la République d'Evreux

France 3 Normandie

À ce jour, quatre enfants ont été entendus par les gendarmes ainsi qu'une quinzaine de professionnels.

De nombreux départs d'éducateurs

Les éducateurs se disent sous pression. À la suite de plusieurs changements controversés dans l’organisation, plusieurs éducateurs ont quitté la structure. Un turn-over déstabilisant tant pour les salariés que pour les enfants. Les nouvelles recrues doivent se plier au mode autoritaire de la directrice. "Il existe clairement deux clans au sein de l'établissement : ceux qui adhèrent associés à ceux qui acceptent par peur de perdre leur emploi et les opposants qui dénoncent ces méthodes" conclut Franck.

Nous avons tenté de joindre un membre de la direction de l'établissement. Personne ne souhaite s'exprimer sur l'affaire en cours. La directrice est absente jusqu'au 4 décembre 2023, mais son avocate nous a répondu que sa cliente conteste "l’ensemble des déclarations qui ne sont que les propos rapportés de salariés membres d’un seul service de la Maison d’Enfants de Thibouville dont le chef de service a été sanctionné pour des manquements dans l’exécution de ses missions d’encadrement et d’animation de ses équipes éducatives qui ont pu mettre en danger à la fois le personnel éducatif et le suivi des enfants."

Maitre Martel, avocate au barreau du Havre ajoute "les prétendus comportements dénoncés sont à l’opposé des valeurs portées par l’Association ainsi que par l’ensemble de ses salariés, et ce compris Madame la Directrice dont l’engagement au profit du bien-être et de l’épanouissement des enfants a toujours été essentiel et incontesté."

Dans son courrier, elle rappelle qu'il s'agit d"'une minorité du personnel qui dénonce ces pratiques brutales qui auraient été autorisées ou, à tout le moins, tolérées par la Direction, alors même que celles-ci ont été non seulement désapprouvées, mais surtout sanctionnées dès lors que Madame la Directrice a été informée de tels agissements. Il s’agissait d’ailleurs de pratiques auxquelles avaient recours certains travailleurs sociaux appartenant à ce même service, dénonçant aujourd’hui une situation de maltraitances."

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