Près de Vernon (Eure) des habitants de la commune nouvelle de Vexin-sur-Epte se mobilisent pour tenter d'empêcher la création, tout près de leurs habitations, d'une grande carrière d'argile pour la fabrication de tuiles.
La commune nouvelle s'étend au nord de Vernon, sur le plateau du Vexin, entre les vallées de la Seine et l'Epte. Depuis 2016, Vexin-sur-Epte regroupe 14 communes déléguées dont le village de Cahaignes.
Parmi les 344 habitants de Cahaignes, Philippe est l'un de ceux qui, depuis début juin 2022, sont passés à l'action pour alerter les concitoyens et les autorités.
Pendant que Philippe confectionne et pose des banderoles dans les rues du village, d'autres, réunis en collectif, ont lancé une pétition.
La raison de cette mobilisation est le projet, porté par le groupe TERREAL, de reconversion d'un terrain agricole en une immense carrière d'argile à ciel ouvert.
"Je n'ai rien contre le propriétaire, rien contre les carrières, mais c'est le lieu, l'endroit, la dimension de ce projet que l'on combat. Parce que c'est une colère dans ce village."
Chantale Le Gall, maire déléguée de Cahaignes
Tout un village en colère
Si le projet, parmi d'autres, avait été évoqué lors de conseils municipaux, c'est lorsque la préfecture de l'Eure a ouvert une enquête publique qu'élus et habitants ont découvert son ampleur. C'est ce qu'a expliqué à notre journaliste Bérangère Dunglas la maire déléguée de Cahaignes et conseillère départementale, Chantale Le Gall. "Ça a été vraiment l'horreur ! ", se souvient l'élue locale, "Pour moi, en tant que maire déléguée, je suis solidaire de mes habitants. Je suis absolument contre ce projet (...) Les gens qui ont acheté ici c'est pour un cadre de vie, ils ont choisi ce lieu pour être tranquilles (…) Et franchement, et à l'unisson de mes habitants, je ne veux pas de cette carrière : c'est un village contre un propriétaire !"
Bruit, poussières et défilé de camions
Selon la maire de Cahaignes, il y a eu, en amont, un manque de communication du groupe TERREAL, le porteur du projet. Alors que cette carrière n'apporterait rien au village "que du négatif" (ni compensation, ni emplois), l'élue indique que le choix de l'emplacement retenu pose problème.
A moins de 100 mètres des maisons (voire 165 mètres selon les dernières propositions de TERREAL) un complexe d'extraction de 60.000 tonnes d'argile par an doit s'étendre sur près de 30 hectares et sur une profondeur de 29 mètres, et ce pour une cinquantaine d'années d'exploitation (30 ans renouvelables 20 ans).
On comprend mieux, à la lecture de ces chiffres, la colère des habitants qui, en plus de la dépréciation de leur biens immobiliers, craignent de subir d'importantes et quotidiennes nuisances telles que le bruit et les vibrations de l'extraction, le dégagement de poussière et l'incessant passage, dans les rues étroites du village, de camions de 30 tonnes…
Des terres convoitées pour des tuiles très demandées
Présent dans le monde entier, le groupe TERREAL est notamment spécialisé dans la fabrication de briques et de tuiles. En Normandie, à Bavent (au nord de Caen), le groupe exploite une usine qui produit 70.000 tonnes de tuiles par an.
Des tuiles, qui, après un ralentissement de la production pendant la crise sanitaire du COVID, sont aujourd'hui très demandées sur le marché des matériaux de construction, voire en rupture de stock comme le déplorent les couvreurs des régions touchées en juin 2022 par les violents orages qui ont détruit des centaines de toitures dans le sud-ouest de la France.
TERREAL, en prévision de l'épuisement de ses actuelles carrières d'argile (comme aux Mureaux dans les Yvelines) a prospecté d'autres gisements possibles, présentant, comme à Cahaignes, une terre idéale pour la fabrication de tuiles.
A Cahaignes, l''enquête publique ouverte pour "installations classées pour la protection de l'environnement" doit s'achever début juillet 2022. Avant cette date, le groupe TERREAL, qui prône des valeurs et des engagements dans les domaines du respect, de la préservation des ressources et de la biodiversité, mais aussi ceux de la "contribution au développement économique, social et culturel des territoires", a participé, dans le cadre du "dialogue avec nos parties prenantes" à une réunion avec les habitants de la commune nouvelle de Vexin-sur-Epte.
Mais selon nos confrères du quotidien régional Paris-Normandie, présents à cette réunion du 23 juin 2022, le groupe a eu du mal à convaincre les opposants, en dépit de quelques changements dans le dossier initial.
"Convaincre le préfet"
Le terrain concerné par le projet de carrière est une propriété privée, et de ce fait, les maires ne peuvent pas s'y opposer : ils ne peuvent qu'émettre "un avis consultatif".
Après les conclusions du commissaire enquêteur, ce sera au préfet de l'Eure de prendre une décision. D'où la mobilisation des élus, conscients de l'inquiétude de l'ensemble des habitants. "L'idée c'est justement de bien écouter ce que la population a à dire et de pouvoir fournir un avis argumenté au préfet pour éclairer sa décision. L'objectif c'est de convaincre le préfet que le projet est impactant et, qu'en l'état, il est inacceptable pour les habitants", indique Thomas Durand, le maire de Vexin-sur-Epte.
C'est à fin de l'été 2022 que l'on saura si ce projet de carrière à ciel ouvert est autorisé, déplacé plus loin, ou abandonné.