Le port du masque obligatoire dans les lieux publics clos pourrait être salutaire pour plusieurs entreprises de textiles normandes qui accumulent les stocks de masques depuis plusieurs mois. Agrées par l'ARS pour fabriquer dès avril, elles ont vu la demande s'effondrer avec le déconfinement.
A partir du lundi 20 ou du mardi 21 juillet, chaque Français devra porter un masque dès lors qu'il se trouvera dans un lieu public clos. Ce que cela désigne demeure flou, mais il y a fort à parier que dans les magasins, les restaurants ou encore les bibliothèques, il faille se couvrir le nez et la bouche pour atténuer la propagation du virus. Du côté des fabricants normands de masques, on espère que la contrainte imposée par l'Etat permettra d'écouler les stocks importants qui s'entassent dans les ateliers de confection.
"Nous avons des centaines de milliers de masques en surstock !" se désole Barbara Juvin, des Ateliers Grandis. Habituée à confectionner des vêtements haut de gamme, l'entreprise a été agrée début avril par l'ARS Normandie pour fabriquer des masques réutilisables. "On a été incité à produire beaucoup, la demande était très forte durant le confinement. On a acheté de la matière première pour réaliser jusqu'à 700 000 masques. Aujourd'hui, c'est un euphémisme de dire qu'il nous en reste sur les bras".
Un arrêt brutal de la demande
Quatre sociétés de la région avaient reçu le feu vert de l'agence régionale sanitaire début avril pour fournir des masques réutilisables homologués : Les Ateliers Grandis, les Tricots Saint-James, Liste Rouge et Romain Brifault. Dans l'atelier de confection de ce dernier, on a opté dès le départ pour la prudence. "On n'a pas fabriqué démesurément, on s'est attaché à livrer en temps et en heure les sociétés qui nous ont fait confiance, explique Florence Brifault. On s'est démené pour fournir pendant la pénurie. C'est vrai que ça nous a fait drôle quand la demande s'est arrêtée nette le 11 mai."
Entre temps, d'autres sociétés normandes ont été autorisées à produire des masques lavables et réutilisables. Désormais, elles sont 17 à figurer sur la liste des fabricants approuvés. Aymeric Jungo, revendeur de la marque italienne Freem, fut l'un des premiers à fournir des masques dans le Calvados. "L'Italie avait 15 jours d'avance sur l'épidémie et donc sur la production de masques. Toutes les pharmacies de Caen sont venues m'en acheter". Mais problème : les ventes se sont arrêtées du jour au lendemain. "L'explication est simple, l'Etat a décidé de déconfiner le 11 mai parce qu'il avait reçu les masques fabriqués en Chine quelques jours auparavant".
C'est comme si, du jour au lendemain, un boulanger prisé se retrouvait sans client, et voyait passer tout le monde dans la rue avec une baguette"
Le 8 mai, Aymeric Jungo vend 25 000 masques. Trois jours plus tard, le weekend passé, plus aucun. "C'est comme si, du jour au lendemain, un boulanger prisé se retrouvait sans client, et voyait passer tout le monde dans la rue avec une baguette". Aujourd'hui, il lui reste 50 000 masques en stocks, l'équivalent de 100 000 euros de trésorerie.
Jean-Luc Maniguet, PDG de Liste Rouge à Condé en Normandie et président de Normandie Habillement demeure circonspect face aux décisions gouvernementales. "L'Etat a pas mal poussé pour qu’on fabrique des masques, pour qu’on trouve des solutions, pour finalement acheter à l'étranger en grande quantité dès qu'il a pu".
Vers une loi interdisant le commerce des masques jetables ?
Selon lui, la décision du gouvernement d'obliger le port du masque ne changera pas la donne pour les fabricants de masques réutilisables. Un sentiment partagé par la quasi-totalité des entrepreneurs. La faute notamment au masques jetables venus d'Asie. "De la même manière qu'il y a un projet de loi pour interdire les couverts jetable, nous militons pour l’interdiction des masques jetables pour les entreprises qui n'ont pas de restrictions d'hygiène strictes. On ne nous fait plus de commandes parce que les grandes entreprises utilisent à foison le matériel jetable", plaide Barbara Juvin des Ateliers Grandis.
Autre dirigeant manchois, Jean-Luc Hyver renchérit. "Il vaut mieux acheter un masque réutilisable qu'un jetable. D'une, c'est plus écologique, et de deux, ça fait tourner les entreprises en France et pas à l'autre bout du monde. De plus, quand on fait le calcul, on s'aperçoit que c'est plus économique : 70 cents pour un masque jetable contre environ 15 centimes par utilisation pour un masque lavable", explique le patron de la Tricoterie du Val de Saire, qui a été convié par l'Elysée à assister au défilé du 14 juillet.
Si certaines entreprises normandes ont choisi la prudence en ne produisant pas plus que leurs commandes, d'autres se retrouvent donc en difficulté, avec de nombreux stocks loin d'être écoulés. La situation est difficile à digérer pour des sociétés qui ont bien souvent oeuvré en premier lieu par solidarité, les dons précédant la vente. Avec cette nouvelle norme de protection imposé par l'Etat à partir de la semaine prochaine, elles espèrent désormais un retour d'ascenseur, qu'elles estiment bien légitime.