Samedi 17 juillet, plusieurs milliers de personnes ont manifesté dans toute la France contre le pass sanitaire et la vaccination. Pour le sociologue Frédéric Lemarchand, professeur à l'université de Caen, ce mouvement est d'abord politique et traduit une défiance à l'égard du pouvoir.
Entre 1000 et 2000 personnes dans les rues de Caen, plus d'un millier à Rouen et près de 500 manifestants à Cherbourg. Ce samedi 17 juillet, la contestion du pass sanitaire et de la vaccination obligatoire a rassemblé du monde en Normandie. Comme partout en France. Plus de 110 000 manifestants auraient défilé dans les rues contre les mesures sanitaires du gouvernement.
Au lendemain de cette journée de mobilisation et de contestation, nous avons demandé l'clairage du sociologue Frédric Lemarchand. Ce professeur de l'université de Caen et directeur du Centre de recherche risques et vulnérabilités travaille notamment sur les risques écologiques, environnementaux, technologiques et pyschosociaux. Il a publié plusieurs articles sur la Covid-19 depuis le déclenchement de l'épidémie. Pour lui, les manifestations de ce samedi 17 juillet relèvent plus d'un mouvement de fond au sein d'une partie de la population française que d'une simple journée de mobilisation.
Chez les opposants au pass sanitaire, on retrouve plusieurs arguments : de la méfiance à l'égard du vaccin à la défenses des libertés individuelles. Comment expliquez-vous ce mouvement ?
C'est un mouvement qui prend racine dans un mouvement plus ancien, celui des gilets jaunes. Ce n'est pas qu'un mouvement sanitaire ou en tout cas purement lié à la santé. Il a à voir avec la question du politique. En fait, c'est un mouvement de protestation, à la fois contre la politique d'un gouvernement, qui pose problème depuis un certain nombre d'années, et aussi, je pense, contre la figure de l'Etat à travers la question de l'ingérence dans le corps humain.
On pourrait dire que le vaccin c'est un peu un extrait d'Etat qu'on va symboliquement inoculer dans le corps et c'est une question très symbolique. Car tout ce qui entre dans le corps, soit par injection, soit par l'alimentation, est une question à très haute valeur symbolique. Cette sensibilité ou hypersensibilité de la société civile à l'égard de la vaccination de masse obligatoire est un sujet qui renvoie à une question qui est d'abord anthropologique. Elle est ensuite politique et ensuite sanitaire.
Le vaccin est-il plus clivant que le masque ?
C'est assez compliqué. Dans cette affaire, depuis le début de la crise, on peut dire que le pouvoir a essayé différentes solutions. Il a douté de l'efficacité du masque puis l'a rendu obligatoire. Tous ces errements dans la politique de gestion de l'épidémie, depuis le début, ont abouti aussi à une situation de flottement, d'incertitude et, je pense, de perte de confiance de la société civile à l'égard de la décision publique. Dans cette affaire, il me semble que le masque, effectivement, est un sujet clivant parce qu'il voile le visage, parce qu'il fait évidemment un peu obstacle aux libertés fondamentales.
Mais le vaccin c'est quelque chose de beaucoup plus important. Et surtout, autour du vaccin, on a un certain nombre d'arguments qui circulent dans la sphère internet autour des effets supposés sur les enfants, sur les adultes. Et ces effets, qui font l'objet de rumeurs, de fake news, sont amplifiés par ce réseau numérique et pose aujourd'hui un problème au pouvoir.
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— franceinfo plus (@franceinfoplus) July 17, 2021
Les Français réticents vis-à-vis de la vaccination restent nombreux, y compris parmi les soignants.
Selon eux, le recul sur le vaccin, son procédé et ses éventuels effets indésirables n'est pas suffisant.
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Comment apaiser la situation ? Comment le pouvoir peut réagir pour sortir de ce clivage ?
A moyen terme ou très court terme, c'est très difficile parce que quand la confiance est perdue il faut la regagner. Je pense qu'on a à faire à une crise qui questionne fondamentalement nos institutions politiques. La mise en démocratie de la question sanitaire des crises - d'ailleurs ça va devenir nécessaire avec les crises écologiques à venir - est une question très très importante.
Je ne crois pas qu'aujourd'hui le gouvernement en place ait fondamentalement changé la donne depuis qu'il est au pouvoir. Les réformes qu'il aurait pu mener sont encore à réaliser, c'est à dire des réformes de fond. On a une vision très verticale de la crise en France. D'autres pays ont d'autres modèles qui me semblent plus efficace. Je pense donc que c'est le fondement de nos institutions qu'il faut revoir. Ça ne se fera pas en deux heures ni en deux jours.
L'interview en vidéo et en intergalité :