Le CIO envisage de rendre le e-sport médaillable aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 2028. Cela ne concernerait que ceux qui sont une réplication complète dans un monde virtuel d'un sport traditionnel, mais l'idée a surpris beaucoup de monde en Normandie, une des terres du vélo en France.
"Ouh là là, pour une fois, je peux être champion olympique." Du haut de ses 72 ans, Daniel Mangeas, le célèbre commentateur du Tour de Normandie cycliste s'amuse en apprenant la nouvelle par notre appel. Oui, ce n'est pas une blague. Le e-cyclisme ou cyclisme virtuel pourrait faire son apparition aux JO. L'annonce a été faite le 1er juin par le directeur des sports du Comité international olympique (CIO), Kit McConnell à nos confrères de franceinfo.
Pour les non-initiés, sachez qu'il s'agit d'un vélo connecté à internet, où le participant voit son évolution en direct sur l'écran de son téléphone ou de sa télévision, en même temps qu'il pédale. Que ce soit dans son garage, son salon, ou dehors.
"Je ne suis pas de la jeune génération, j'aime bien la vraie performance", souligne Daniel Mangeas. "Le cyclisme est un sport d'exploits et de traditions, je vois mal comment cette idée de virtuel peut créer une adhésion du public... D'ailleurs, j'ai discuté avec beaucoup de professionnels qui m'ont dit que ça les avait fait suer d'être sur un home-trainer pendant le 1er confinement." Suer sans plaisir, ce que confirme Anthony Delaplace, coureur manchois de l'équipe française Arkéa-Samsic. "Ce n'est pas trop mon truc, même si ça peut être un bon outil de travail pour l'entraînement." A 31 ans, il avoue d'ailleurs que "les jeux vidéos ne sont pas trop [s]on truc".
J'ai grimpé des cols comme le Ventoux en vrai et avec mon vélo connecté, rien à voir. Tous les paramètres ne sont pas repris, par exemple le vent ou le frottement de la route...
Alors, nous avons contacté un cycliste habitué du web pour un regard peut-être différent : un Normand à bicyclette. On peut le retrouver sur Facebook, Instagram, Garmin ou encore Strava. Jérémy Pouteau est un fan de vélo et accumule près de 10.000 km par an, dont 15 % en virtuel environ. "Ca n'a rien de comparable. J'ai grimpé des cols comme le Ventoux en vrai et avec mon vélo connecté, rien à voir. Tous les paramètres ne sont pas repris, par exemple le vent ou le frottement de la route..." Au final, ces différences changent la vitesse moyenne de 2 km/h selon ses calculs.
Même l'effort ressenti ne serait pas le même. "J'étais dans mon garage, sans aucun moyen d'aération, et pourtant je n'ai pas souffert sur Zwift. Si il avait fallu faire 100 km de plus, j'aurais pu."
Le dopage virtuel
Des compétitions existent déjà, avec des parcours reprenant parfois les vrais tracés des classiques, comme le Tour des Flandres ou le Tour de France l'an dernier. Professionnels et amateurs peuvent s'y cotoyer. "Le professionnel fera toujours la différence", affirme le commentateur sportif, "même si un bon amateur peut tirer son épingle du jeu."
Mais attention, des petits malins ont vite compris comment aller plus vite. "Ce n'est pas forcément le vrai potentiel des personnes", témoigne Anthony Delaplace. "Certains trafiquent leur poids et leur puissance." Il faudrait alors penser à contrôler tous les participants ? "C'est obligé si il y a une vraie médaille au bout, parce que je vous garantis que à 80 ou 60 kg, la résistance n'est pas du tout la même", renchérit Anthony Pouteau.
Et l'ambiance ?
Si le Tour de France a un tel succès populaire, c'est aussi parce que les spectateurs aiment pouvoir approcher les stars du peloton au plus près, dans les cols ou sur les arrivées par exemple. "En virtuel, le public ne peut pas transcender les coureurs", souligne Daniel Mangeas. Le cycliste professionnel confirme. "J'ai fait une course sur Zwift, et je n'ai pas ressenti cette adrénaline au moment d'approcher la ligne d'arrivée. On ne peut pas se surpasser de la même façon."
Mettre ça aux JO, il y a quelque chose de très commercial.
"C'est bon pour l'exhibition, le e-cyclisme." D'ailleurs cette imitation d'une vraie course n'a rien de nouveau pour l'encyclopédie du vélo, Daniel Mangeas. "En 1952 déjà, le Normand Pierre Michel, originaire de la Pointe du Hoc, avait participé à un Tour de France en home-trainer. Mais c'était plus pour faire de l'animation sur les étapes. Là, mettre ça aux JO, il y a quelque chose de très commercial. En plus, on perd les superbes paysages.
Et à suivre devant sa télévision ? "Je préfererais plutôt qu'ils mettent du cyclo-cross ou du gravel" (NDLR : épreuve d'endurance longue distance avec la difficulté technique d'un marathon VTT). Un choix plus spectaculaire sans aucun doute, mais peut-être moins accrocheur pour la jeune génération et d'éventuels marchés publicitaires....
C'est un peu l'avenir, mais ça n'a pas sa place aux JO. Les jeux olympiques, c'est le sport, le vrai.
Ni le cycliste professionnel, ni l'amateur, ne semblent enthousiastes par cette potentielle nouvelle discipline olympique. "C'est un peu l'avenir, mais ça n'a pas sa place aux JO. Les jeux olympiques, c'est le sport, le vrai", affirme Anthony Delaplace. Son homologue plus habitué au virtuel est sur le même discours. "Je suis surpris par cette idée. Pour moi, les JO c'est le graal du sportif. Sinon, on va finir avec des tournois de foot sur FIFA."
Los Angeles n'est que dans sept ans, mais le peloton semble pour l'instant bien décidé à rester sur le vélo, le vrai. La question se posera de la même façon pour les autres e-sports pressentis pour devenir olympique, comme l'aviron. On n'en est pas pour l'instant aux populaires jeux de combat ou de stratégie, comme League of Legends ou Fortnite.