Il était l’un des invités « coup de cœur » du festival « Les Boréales », l'écrivain islandais Bergsveinn Birgisson, fils d’un capitaine de chalutier, signe « Du temps qu’il fait », un roman qui dessine le portrait d’une communauté de pêcheurs isolés. Entretien.
Bergsveinn Birgisson : Beaucoup de tristesse. Mais je comprenais cette décision. Ce fichu virus n’est pas à prendre à la légère !
Pensez-vous que le fait d’être un Islandais aide à mieux vivre le confinement ?
BB: Je pense que c'est très personnel. De mon côté, je suis venu me confiner dans ma maison de Strandir, sur la péninsule Nord-Ouest de l’Islande. J’ai acheté un vieux pont de bois que je démantèle pour réparer la vieille grange de mon grand-père.
« Du temps qu’il fait » est un roman écrit sous forme de journal intime. Halldór consacre ses heures libres à chroniquer son quotidien fait de labeur, de chamailleries et d’élans d’amitié. Pourquoi ce choix ?
BB: C’était mon projet de vouloir montrer ce qui se passe davantage à l’intérieur du pêcheur plutôt qu’à l’extérieur. Et puis, j'’ai été moi-même un pêcheur dans un petit fjord, et il se trouve que j’avais également écrit un journal à l’époque.
Parlez-nous de votre personnage principal, le pêcheur Halldór en quête de poissons mais aussi d'amour...
BB: Avec ce personnage, sous l’aspect naïf, je voulais atteindre une profondeur existentielle. Je pêche moi-même avec des pêcheurs comme Halldór et je les considère comme les personnes les plus intelligentes et les plus profondes que j’ai rencontrées. Davantage même que des enseignants, et cela même si ces pêcheurs ne savent même pas, parfois, épeler correctement leur nom !
Halldór n’est pas un homme instruit mais il est connecté avec ses émotions. Et je me rends compte qu’à long terme, les émotions sont plus importantes que notre rationalité.
Halldór vit dans une communauté de pêcheurs constituée de quelques individus proches de la nature et dont la principale préoccupation est le temps qu’il fait. Est-ce que le message de ce livre est d’inciter les gens à revenir à l'essentiel ?
Je suis heureux d’avoir dépeint une culture sans internet et sans smartphone. Une culture où les gens se retrouvent dans la cuisine le soir et se raconte des histoires ancestrales. Cela semble le 18ème siècle pour la jeune génération, mais ce n’est pas si lointain ! Nous voyons bien qu’Internet et les smartphones ne peuvent pas remplir ce rôle de lien social. Les gens sont finalement dans une plus grande solitude avec ces technologies. Alors qu'en écoutant une histoire racontée oralement par un humain en face de soi, tout d’un coup, la solitude disparaît. C’est un message à la fois naïf et profond.
Ce livre est inspiré de votre propre exéprience de pêcheur. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette expérience ? Qu’en gardez-vous ?
BB : La pêche coule dans mes veines car ma famille compte plusieurs générations de pêcheurs et de capitaines. J’ai fait mes premières sorties en mer avec mon père à l’âge de 8 ans. Mon père, capitaine de chalutier, pêchait tout le temps et l’accompagner était la seule façon de le connaître vraiment.
J’ai commencé moi-même la pêche à l’âge de 12 ans pour un demi-salaire.
A partir de 16 ans, j’ai loué un petit bateau à un oncle et passais mes étés à pêcher dans le Nord, à Strandir. La plupart du temps, je pêchais de la morue et quand cela mordait, je pouvais remonter deux tonnes de poissons en quelques heures : c’était génial !
J’ai parfois traversé du mauvais temps, mais ce qui m’a le plus effrayé, c’est quand j’ai rencontré une baleine qui voulait jouer avec moi. Comme j’étais seul à bord, j’ai appris à pouvoir ne compter que sur moi-même. Cela a été une véritable école de la vie, dure mais bénéfique.
On peut dire que, dans la mesure où nous n'avons pas de service militaire, nous les Islandais, on apprend la discipline en pêchant !
Dans ses sermons, l’un de vos personnages, le pasteur, dénonce la société moderne et la perte ou la disparition de la culture islandaise, surtout à Reykjavik. Le regrettez-vous aussi ?
BB : le pasteur est inspiré d’un vrai pasteur qui officiait dans un fjord reculé dans lequel je pêchais. C’était lui-même un personnage fantastique ! Un jour, il s’était blessé aux doigts. Il a mis un bandage avec de l’huile dessus. Comme il ne voulait pas bénir ses paroissiens avec ce bandage tout sale et huileux, il portait des gants de cuisine. Un jour, il devait bénir le corps d'un homme décédé, et dans l’église, devant tout le monde, il a levé sa main, et on pouvait lire sur le gant : « Préparons un barbecue ! » De telles histoires authentiques, je ne pourrais pas les mettre dans un roman, personne ne les croirait...
"Du temps qu'il fait" (éditions Gaïa) de Bergsveinn Birgisson, traduit de l'Islandais par Catherine Eyjólfsson.