Chargée d'évaluer les actions de l'Etat après l'incendie de l'usine Lubrizol le 26 septembre 2019, la commission sénatoriale rend son rappport ce jeudi 4 juin. Elle déplore des "manquements graves" dans la gestion de la crise, et des "angles morts" dans la politique de prévention.
"La commission d’enquête déplore les manquements graves qui nuisent à l’efficacité des mécanismes créés il y a près de quarante ans et renforcés depuis"
Voilà posé en préambule l'état d'esprit des conclusions de la commission d'enquête sénatoriale chargée d'évaluer les services de l'Etat dans la prise en charge sanitaire, environnementale et économique de l'incendie de l'usine Lubrizol.
Présidée par le sénateur de l'Eure Hervé Maurey, la commission s'est attachée à contrôler l'application des règles applicables aux installations classées.
L'usine Lubrizol de Rouen qui fabrique des additifs pour lubrifiants, est un site classé Seveso seuil haut, du nom de la première grande catastrophe industrielle qui eu lieu en Italie en 1976, et qui détermina par la suite les politiques industrielles de prévention des risques.
Quarante ans plus tard, et malgré les précautions et les directives européennes prises dans la prévention des accidents majeurs, l'incendie de l'usine rouennaise démontre qu'il reste beaucoup à faire. Ce qui inquiète la commision d'enquête.
La politique de prévention des risques industriels déployée depuis 40 ans en France laisse apparaître des angles morts importants et inacceptables
La commission déplore le manque de surveillance des sites industriels, avec des contrôles divisés par deux depuis 15 ans.
L’incendie de Rouen a révélé une difficulté pour l’administration d’accéder rapidement à "l’information sur la localisation et la composition des produits stockés dans un site Seveso seuil haut", pointant aussi la méconnaissance des industriels eux-mêmes de l’état de leurs stocks.
Défaut dans l'information des populations
Les populations et particulièrement les riverains de l'usine se sont sentis laissés pour compte au moment de l'incendie, sans informations précises sur ce qu'ils étaient censés faire, abandonnés à leur sort anxiogène.
Le rapport du sénat étrille "les défauts majeurs du système national d'alerte et d'information des populations" qui s'appuie encore sur un système de sirène totalement dépassé à l'heure de la communication en temps réel et des réseaux sociaux.
Une communication de crise qui a aussi montré ses limites selon le rapport, jugeant l'Etat incapable d'informer le public "de façon claire, prescriptive et pédagogique et à utiliser efficacement l’ensemble des canaux de distribution disponibles, radio, télévision, presse, réseaux sociaux" .
La commission rappelle qu'il ne faut pas chercher à rassurer à tout prix, mais plutôt informer clairement les populations, avant pendant et après une catastrophe.
Les élus jugent également inacceptables le peu d'informations dont ils ont disposé au moment de la catastrophe.
Les maires n'ont pas été informés de ce qui se passait sur leurs territoires et au dessus de leurs territoires. Ils voyaient passer une fumée noire épaisse et ils étaient interpellés par leur population. Le préfet était occupé à d'autres urgences. Il n'y a pas eu d'informations aux élus, c'est tout simplement inacceptable.
Hervé Maurey, sénateur de l'Eure, président de la commission d'enquête.
Trop d'indulgences avec les industriels
Les pouvoirs publics sont ils trop complaisants avec les industriels ?
Oui à en croire le rapport qui s'interroge sur les matières dangereuses stockées sans véritable contôle, et la légèreté des sanctions prononcées en cas de manquements aux règles de sécurité ou d'environnement.
L’entreprise Lubrizol, marquée par d’autres incidents, avait fait l’objet de plusieurs contrôles depuis 2017. Pourtant, l’arrêté de mise en demeure de l’entreprise daté du 8 novembre 2019, fait état de manquements persistants à des prescriptions formulées avant l’incendie du 26 septembre 2019
Peu de sanctions, un taux de classement sans suite plus élévé pour les infractions environnementales que pour d'autres délits décrédibilisent les politiques de prévention.
Les recommandations des pouvoirs publics ne sont pas toujours appliquées et personne ne semble vraiment s'en inquiéter.
Un reportage de C. Lecompte, avec Hervé Maurey, président de la commission sénatoriale
Manquements dans la gestion sanitaire
Mauvaise communication, méconnaissance des produits stockés et brûlés..la gestion des conséquences sanitaires de l'incendie fût dans la lignée des manquements constatés dans la prise en charge initiale de la catastrophe.
L'Agence Régionale de Santé a donc eu des difficultés à mener correctement ses missions, et notamment à défier les "fakes news" qui circulaient, ne disposant pas elle même de toutes les infos utiles.
Dépourvue d’informations essentielles quant à la nature des produits brûlés et aux effets cocktail susceptibles d’avoir été engendrés par l’incendie, l’Agence régionale de santé (ARS) n’a pu exercer sa mission dans les meilleures conditions possibles.
Une information lacunaire qui n'a fait qu'alimenter l'angoisse de la population, quant aux conséquences sur leur santé de cette immense panache de fumée dont on ignorait la vraie nature.
Les élus de la commission d'enquêtes demandent par ailleurs qu'un vaste suivi épidémiologique soit mis en place dans la population concernée par le nuage de fumée, dont il faudra mesurer la toxicité à long terme.
"Le suivi de long terme continue, hélas, de poser de de vraies difficultés. Sur le plan de la politique de santé, le manque de volonté est manifeste" - Christine Bonfanti-Dossat, rapporteure de la commission d’enquête Lubrizol #AFP ? Laura Diab , @laetitiaperon pic.twitter.com/bxacH1XJpp
— Agence France-Presse (@afpfr) June 4, 2020
On suggère la mise en place d'un registre pour un suivi des pathologies comme le cancer ou les malformations congénitales. On suggère aussi un suivi épidémiologique d'une cohorte, c'est à dire d'un échantillon représentatif des personnes les plus exposées à cette catastrophe.
Hervé Maurey, sénateur de l'Eure et président de la commission d'enquête
Lubrizol demande une réouverture plus large
Les sénateurs ont également fait part de la demande de Lubrizol de réouvrir "quasi totalement" le site de Rouen, ce qui aurait pour conséquence de "susciter encore de l''émotion". Le service communication de Lubrizol a confirmé cette demande mais insiste sur le fait qu'il ne s'agirait pas d'une réouverture totale.
Selon le rapporteur de la commission, "si elle était accordée, cette nouvelle reprise se traduirait par la réouverture de la quasi-totalité des activités, à l'exception de l'atelier antioxydants, où s'était produit, en 2013, une fuite de mercaptan, et sans stockage important". Cette reprise concernerait des secteurs qui n'ont pas été touchés par l'incendie.
Les recommandations de la commission d'enquête
Les recommandations s’articulent en six axes :1. Créer une véritable culture du risque industriel
2. Améliorer la politique de prévention des risques industriels
3. Améliorer la gestion de crise
4. Assurer une meilleure coordination entre l’État et les collectivités territoriales
5. Indemniser l’intégralité des préjudices subis par la population
6. Appliquer le principe de précaution au suivi sanitaire des populations touchées par un accident industriel