Quelle filière choisir ? Ce job est-il vraiment fait pour moi ? Le documentaire "Le sens de l’orientation" suit quelques élèves de terminale du lycée Ango de Dieppe (Seine-Maritime) à l'heure de leurs choix d'orientation, pendant une année 2020 chamboulée par l'épidémie de Covid-19.
Ca y est, depuis ce mardi 29 mars 2022 minuit, les lycéens ont validé leurs vœux d'orientation sur Parcoursup. Ils ont maintenant jusqu’au 7 avril inclus (minuit donc) pour finaliser leurs candidatures (lettre de motivation, etc...). Ensuite, il faudra attendre... les réponses des formations arriveront à partir du 2 juin.
Source d'angoisse, de déceptions, de stress... depuis sa mise en place en 2018, l'algorithme derrière la plateforme d'orientation est largement décrié.
Alors imaginez l'an dernier... l'angoisse pour la promotion 2021, victime du Covid-19, avec ses confinements, ses cours interrompus, son baccalauréat en contrôle continu... c'est elle que la réalisatrice Valérie Denesle a suivi dans son documentaire "Le sens de l'orientation".
Quelle orientation choisir ? Quel job ? Quelle place dans cette société grippée par un foutu virus ? L’emploi plus que jamais est au cœur des débats. Chahuté, en danger, remanié, mais pour certains aussi il devient un vrai refuge en cette période d’incertitudes… Et c'est là que la question d'une bonne orientation prend tout son sens. Autant se réaliser dans le job que l'on fait.
Exit les "bullshit jobs" ! Et si on s’épanouissait dans notre travail ?
« Bullshit jobs » [ˈbʊlʃɪt d͡ʒɑbz] est une expression en anglais américain signifiant « emplois à la con ». Elle désigne des tâches inutiles, superficielles et vides de sens effectuées dans le monde du travail.
Celui qui s’épanouit dans son travail jusqu’à ne plus le considérer comme tel, c’est justement l’opposé de ces bullshit jobs, ceux qu'on dit souvent "alimentaires". Mais peut-on encore vraiment le dire aujourd’hui après avoir porté haut caissières, éboueurs et autres héros de 2e ligne si essentiels dans notre société. Et les jeunes de se demander "Comment une bonne orientation peut contribuer à s’épanouir ?". Trouver du sens à son travail, c’est d'abord le sens de l’orientation.
"Le travail confère de la liberté. Parce que je travaille, je deviens autonome financièrement. Il y a un 2e aspect : il semble assez difficile aujourd’hui de se passer de travailler pour obtenir une place dans la société. Sinon on est apparenté facilement à un parasite". C’est ce qu’explique un professeur de philo à ses élèves dans cette classe du lycée Ango de Dieppe qu'a suivie pour France 3 Normandie la réalisatrice Valérie Denesle dans le documentaire "Le sens de l'orientation". Dans une séquence, le professeur de philo cite ainsi Hannah Arendt :
Ce que nous avons devant nous, c'est la perspective d'une société de travailleurs sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qu'il leur reste. On ne peut rien imaginer de pire.
La philosophe et écrivaine allemande -politologue aussi- entrevoit ainsi l’angoisse et la dépression que pourrait amener une telle société centrée sur le labeur. (Et si vous êtes fan de la pense d’Hannah Arendt, on ne peut que vous recommander de lire et surtout écouter ce contenu de nos confrères du Monde, intitulé Hannah Arendt, une éthique de la pensée).
« Moi je vais mettre sur Parcoursup : partir faire un élevage de lamas »
"Je pense que c’est très différent de travailler toute sa vie sans savoir pourquoi, que de travailler parce qu’on a choisi son travail, parce qu’on a une orientation active... Et parce qu’à la fin le résultat de son travail, c’est quelque chose qui occupe notre vie de manière positive", analyse le prof de philo devant sa classe.
Et c'est une réalité encore plus marquée avec la crise sanitaire : l'orientation post-bac se retrouve aujourd'hui au confluent de toutes les angoisses. Angoisse des parents de voir leurs enfants prendre une voie "bouchée ", angoisse des jeunes qui ne savent plus s’ils peuvent encore rêver ou s’ils doivent aller simplement là où on leur propose une "place ", angoisse enfin d’une société qui s’inquiète du déclassement de ses enfants et redoute les explosions d’une jeunesse sans perspectives. Dans une séquence d'improvision en cours de théatre au lycée Ango, une lycéenne n'hésite pas à déclarer, "Moi je vais mettre sur Parcoursup : partir faire un élevage de lamas", comme une solution à un manque de visibilité sur l'avenir.
Jeunes ruraux et jeunes urbains, pas les mêmes chances ?
Comment les lycéens de terminale d'une petite ville comme Dieppe, à l'écart des métropoles, choisissent-ils leur avenir, comment s'orientent-ils ? La problématique se retrouve au coeur du documentaire de Valérie Denesle.
La lycéenne Julia partage son ressenti, témoigne de ce malaise quand elle observe le monde du travail. "On voit des gens qui travaillent à contrecœur, qui sont malades à cause de ca, qui font des dépressions nerveuses... On le voit dans leurs yeux, on voit le dégoût. On voit que tout le monde fait ça par rapport à l’argent. Qu’il n’y a pas de rêve, pas d’ambition."
L’humain est fait pour avoir des ambitions, pour voir plus haut [...] On nous parle d’orientation de manière compliquée. C’est parce que les gens ont du mal à se projeter dans un monde qui est aussi dur... C'est aride !
"Et ça fait mal au cœur, ça donne pas envie." Pour la jeune femme, notre système est sclérosé. "Tout est tourné autour de l’argent, autour de manipulations, dit-elle. Ce n’est pas sain. Moi ça m’écœure."
"Elle ne sait pas trop ce qu'elle veut faire, ça nous stresse, ça nous inquiète", avouent des parents à propos d'une autre jeune fille.
Si la question de l'égalité des chances est toujours posée, depuis Bourdieu, en fonction de l'origine sociale, elle est rarement posée en fonction de l'origine territoriale. Pourtant, l’orientation est fortement corrélée à l'origine géographique des élèves. C'est ce qu'on pouvait lire dans Le Figaro Etudiant en 2013, dans un article qui soulignait qu' "à niveau scolaire et social égal, les jeunes ruraux feront moins d’études que les urbains".
En effet, selon la région où il habite, un lycéen n’aura pas les mêmes possibilités d’orientation et de formation. La fracture entre les jeunes de la France périphérique (où vit 60% de la population, dans les zones rurales, les villes petites et moyennes) et ceux des grandes métropoles est frappante lorsqu’il s’agit de leur avenir.
Parce qu’ils sont loin des grands centres urbains ; parce qu'il leur faut partir pour étudier et que l'éloignement a un coût prohibitif pour beaucoup ; parce que des mécanismes d’autocensure les brident ; parce qu’ils manquent d’informations et de réseaux. Un isolement qui balaie la promesse d’égalité des chances gravée au coeur du contrat républicain et menace de saboter la cohésion sociale.
«Vivre en #ville VS à la #campagne» un impact sur les #etudes & l' #orientation ?
— Hello Charly (@Charly_hello) April 18, 2019
Les jeunes en parlent "sur #ParcourSup les prépas que j'ai demandé je les ai toutes demandés avec internat parce que je savais que je pourrais pas faire les allers retours" ?https://t.co/yx5qVlHeYQ pic.twitter.com/CswMD9BD42
Des chiffres édifiants attestent de cette profonde inégalité territoriale : alors que les aires urbaines de plus de 500 000 habitants comptent 26,9 % de diplômés du supérieur, ils ne sont que 9,5 % pour celles de 20 000 à 100 000 habitants.
DOCUMENTAIRE : "Le sens de l'orientation"
Jeudi 7 avril 2022 à 23h05 dans la case "La France en Vrai".
Et en replay ici dès le 8 avril.
Un documentaire de Valérie Denesle
Coproduction AGAT Films & Cie et France Télévisions
Avec le soutien au développement et à la production de la région Normandie, de Normandie Images et du CNC
Durée : 52’