Avant l'allocution d'Emmanuel Macron ce mercredi 31 mars à 20 heures, les enseignants de Normandie sont partagés entre colère et inquiétude. Pour lutter contre la progression de l’épidémie de coronavirus, le Président pourrait bousculer une nouvelle fois le quotidien des écoles.
"Mes cours sont prêts pour le distanciel en tout cas." Les mots, pris au vol d’une conversation entre professeurs par l’oreille attentive d’une collégienne de Caen, viennent témoigner des besoins d’anticipation qui se sont emparés de certains d’entre-eux. Ces derniers se préparent à ce que certains nomment le "pire des cas" tandis que d’autres l’appellent de leur voeux : la fermetures des écoles. C’est le choix que pourrait faire Emmanuel Macron lors de l’allocution à l’issue du Conseil de défense prévue ce mercredi soir.
Le retour au distanciel est envisageable depuis un moment maintenant. Donc, dès la rentrée il y a eu un travail d’organisation de l’Espace Numérique de Travail pour échanger des ressources avec les élèves, mettre en ligne les cours, mettre en place les outils nécessaires pour réaliser de la visio. Dans tous les cas, on est prêt pour participer à l’effort collectif.
Que va choisir Emmanuel Macron ? Avancer les vacances de trois semaines pour tous les petits normands ou seulement dans les départements déjà confinés ? Si les enseignants des collèges et lycées s'attendent à un travail en distanciel depuis quelques jours, ils sont une nouvelle fois suspendus à ses lèvres alors que la situation épidémique se tend dans les 5 départements normands.
"Il y a eu des consignes générales dans les établissements scolaires pour vérifier auprès des élèves qu’ils avaient bien leurs codes pour faire du distanciel, mais rien de plus. Pas de messages du ministère, ni de l’inspection académique", regrette Jérôme Adell, professeur et secrétaire départemental du syndicat enseignant de la FSU14.
Manque d’anticipation, quid du brevet et du bac
Comme toute la société, on attend la parole présidentielle. Un homme seul décide. Il y a bien des tribunes de médecins, d’épidémiologiste, mais in fine c’est lui qui prend les décisions. La situation n’a pas vraiment évolué alors qu’on est au troisième confinement.
Comme nombre de collègues, Jérôme Adell ne comprend pas l’absence d’une "ligne directrice claire". "On passe d’un ministère qui argue qu’il faut absolument garder les écoles ouvertes pour éviter le décrochage à cette volonté de fermeture. Cette incertitude créée beaucoup d’angoisses chez les parents, les élèves et les professeurs."
Outre les fermetures de classe qui se multiplient en raison des cas positifs, les inquiétudes se cristallisent également autour des épreuves du bac et du brevet. "C’est là qu’on voit qu’une fermeture n’a pas été réellement envisagée. Oui, les épreuves de spécialités doivent passer en contrôle continu, mais il reste la question du brevet des collèges, de l’épreuve anticipée de français en première, de celle de philosophie ou encore du grand oral qui est d’ailleurs une innovation du bac Blanquer."
"Comment préparer les élèves à ces échéances avec un enseignement potentiellement en distanciel ? En plus, le suivi des cours est différent selon les établissements et les avancées des programmes inégales. Ce serait aberrant même dans la situation actuelle de passer les examens sans les aménager", poursuit-il.
Décrochages et inégalités
Ils sont plusieurs à rappeler que les "conditions de travail sont très dégradées depuis la Toussaint" et ce malgré les différents protocoles. "Depuis septembre, le ministère profite du moindre détail dans le protocole pour parler d’aménagement pour faire croire qu’on est de retour dans la normalité, mais c’est totalement fictif. Les inégalités entre élèves ne font que se creuser", appuie Jérôme Adell.
En effet, le premier confinement a révélé l’existence d’un décrochage scolaire plus important. "Je ne pense pas qu’il y a une bonne décision. Ce qui est certain c’est que la fermeture des écoles, c’est le retour au distanciel et a un enseignement encore plus altéré. Il ne remplace pas la pédagogie en classe", expose Laure, professeur d’histoire-géographie à Avranches. "Les élèves ont besoin d’échanges et d’un accompagnement humain. Déjà qu’en classe c’est parfois difficile d’oser poser des questions, ça l’est encore plus via un écran."
Et en cas de difficultés, les professeurs ont plus de mal à repérer ceux qui pêchent et à leur venir en aide. Les plus chanceux peuvent compter sur l’aide de leurs parents, mais encore une fois, les situations demeurent très inégales. A tout cela s’ajoute des "l’aléa des conditions matérielles qui touche autant les professeurs que les élèves", continue-t-elle. Tous n’ont pas accès à internet chez eux, ni à un ordinateur.
Pour Laure, l’inquiétude ne s’arrête pas là. "On parle souvent des fermetures de classes liées au covid, mais elles sont ponctuelles. A la rentrée, elles pourraient être définitives et nombreuses par manque de moyens. Des fermetures, c’est plus d’élèves par classes, c’est forcément plus difficile à gérer. Une situation d’autant plus incompréhensible en cette période d’épidémie où les décrochages scolaires mènent vers une hétérogénéité alarmante de la transmission de l’enseignement."