Imaginez courir pendant une semaine sur le sable, sous un soleil de plomb... Le retraité normand Jean-Pierre Mesnage est parti pour la 11e fois sur le marathon des sables. Rencontre avec un vieil amoureux du désert.
Vue sur mer. Avec le soleil qui éclabousse la côte ce jour-là, le turquoise de la Manche a de quoi fait rêver, et même voyager. On s'imaginerait presque aux Antilles depuis ce jardin si vert qui nous accueille. Une invitation presque au farniente s'il n'y avait pas ce vent bien motivé.
Baskets aux pieds, Jean-Pierre a enfilé son bleu pour s'occuper un peu de ses cactus, qu'on retrouve un peu partout chez lui, avec différentes espèces dans son jardin ou sa véranda. "J'adore les cactus. Ils sont comme moi, il n'y a pas besoin de s'en occuper. Pas besoin d'eau, de temps en temps un petit peu. Moins on s'en occupe et mieux ils se portent. Ca ressemble bien au personnage que je suis !"
Il se dit taiseux, notre Normand. Mais en creusant un tout petit peu, en emmenant la discussion sur un terrain bien particulier, ses yeux se mettent très vite à briller.
A 73 ans, cet ancien marin-pompier pourrait profiter tranquillement de sa retraite avec sa femme. Il le fait, mais à sa façon, et avec un programme immuable ou presque : "un jour je fais ma muscu, un jour je cours, un jour je fais ma muscu, un jour je cours". Une éducation au sport qui remonte à l'enfance.
Ma mère me disait : "Tu prends un truc, tu le déplaces, même si t'as 90 ans, mais tu bouges. Tu fais quelque chose.
Jean-Pierre Mesnage
Il a toujours fait son sport. "Quand j'en fais pas , ça me manque !" Peut-on vraiment être surpris d'apprendre alors que partir courir dans le désert marocain, ce sont ses vacances ?
Nous l'avons rencontré au retour de son 11e marathon des sables.
Jean-Pierre Mesnage a commencé par des marathons plus "classiques" : Paris, New York, Cherbourg... Mais très vite, il quitte le bitume des villes pour vivre un tout autre type de défi, d'aventure.
En 1988, ce passionné de moto-cross découvre le Sahara en s'attaquant au Paris-Dakar, une course mythique qu'il n'a malheureusement pas fini.
J'ai fait le Paris-Dakar. Et là, quelques grains de sable dans mon carburateur m'ont empêché d'avancer. Mais j'ai découvert le Sahara, et je me suis dit, je vais y retourner et là ce n'est pas deux grains de sable qui vont m'arrêter.
Jean-Pierre Mesnage
4 ans plus tard, le voilà au départ du Marathon des sables. Il va tomber définitivement amoureux du lieu, "la solitude et la beauté des paysages". Début avril, il est revenu de son 11e. "Quand je me retrouve tout seul, là je suis bien. J'ai mes pensées, j'avance à mon rythme. Si je suis pas trop mal, je regarde les paysages, autrement je regarde mes pieds."
Il faut dire que le décor est aussi incroyable que le programme est difficile : 6 jours pour 6 étapes et 250 km dans le désert, en autosuffisance alimentaire. Chaque coureur porte son sac avec à l'intérieur sa nourriture lyophilisé pour la semaine. "C'est se retrouver devant seulement une gamelle, plus d'internet, la vie basique ! Les décors sont superbes, j'ai l'impression de me retrouver dans les canyons aux Etats-Unis, à un moment c'est beau... Après ma femme, je suis amoureux du désert tout simplement", nous avoue-t-il avec un grand sourire.
Le créateur de cette compétition hors-norme a voulu sortir les participants de leur quotidien. "On est projeté sur une autre planète, où on retrouve ce coté naufragé volontaire. On balaie tout ce qui n'est pas essentiel."
On a besoin juste de marcher, de dormir, de se nourrir et de répéter ce geste quotidiennement avec ses compagnons d'aventure qu'on retrouve le soir au bivouac, sous les étoiles. C'est une aventure hors du temps.
Patrick BauerFondateur du Marathon des sables
Leçons de vie
S'attaquer à un tel challenge n'est pas donné à tout le monde, et pourtant Jean-Pierre n'était même pas le doyen de l'édition 2022. Non, un homme de 80 ans le dépassait. L'organisateur décèle une "sagesse des personnes qu'ont un peu plus d'âge, c'est pas des chiens fous.", et heureusement face à ces parcours longs et parfois escarpés, tantôt caillouteux, tantôt ensablés, sous un soleil qui peut se montrer sans pitié comme lors de la précédente édition. "La chaleur... C'est monté jusqu'à 52. Il y a eu beaucoup d'abandons", note notre Manchois.
Jusqu'à l'an dernier, Jean-Pierre avait toujours été au bout de ses aventures sahariennes. Mais comme en octobre dernier, un lumbago a fini par venir à bout de ses forces, sur la 4e étape. La veille, c'est porté par deux autres concurrents, Anglais, qu'il avait réussi à passer la ligne. "On ne sait jamais ce que le corps va donner. Parmi les 11 (NDLR : marathons des sables) que j'ai fait, c'est le plus difficile. Ce vent de sable... Quand on est sur les crêtes, il y a de très beaux paysages, mais on est obligé de regarder ses pieds."
Déçu de ne pas avoir fini, frustré de voir ses compagnons arriver le soir au campement puis recevoir leur médaille de "finisher", Jean-Pierre n'a pas renoncé pour autant à revenir. Au contraire. "Y'a que les médecins qui me diront "arrête, t'es trop vieux ; mais ce jour-là, je crois que bon... (il hésite). J'espère que je pourrais continuer le plus longtemps possible, oui, le plus longtemps possible. J'ai 73 ans, la forme est encore là, autrement je vais finir en Ehpad !"
Le lumbago ? Promis, il va voir un médecin cette fois. En attendant, il est déjà reparti courir dans les landes cherbourgeoises, en pleine nature, avec cette vue sur mer qu'il chérit tant.
Et les vacances de Madame ? Ce sera en Bretagne, comme tous les ans, chez leur fils. De là à dire que Jean-Pierre en profitera pour aller fouler un peu le sable local, il n'y a qu'un pas...