Après le naufrage du "contrat du siècle", les deux ex-partenaires, Australie et France, se renvoient la balle. Plusieurs parlementaires, dont la sénatrice de l'Orne Nathalie Goulet, réclament une commission d'enquête.
On peut être chef de la diplomatie et ne pas prendre de gants. "Il y a eu mensonge, il y a eu duplicité, il y a eu rupture majeure de confiance, il y a eu mépris. Donc ça ne va pas entre nous, ça ne va pas du tout, ça veut dire qu'il y a crise", s'est emporté samedi soir chez nos confrères de France 2 Jean-Yves Le Drian, le ministre français des affaires étrangères. Dans le viseur de la sulfateuse du Breton, l'Australie n'est pas la seule cible. Grande-Bretagne et Etats-Unis, alliés de la France au sein de l'OTAN, en prennent aussi pour leur grade. Arrivé sur le sol américain pour l'assemblée générale des Nations-Unies, Jean-Yves Le Drian persiste et signe, fustigeant une décision "brutale", un "défaut de concertation" et une "rupture de confiance entre alliés".
Si la Grande-Bretagne et les Etats-Unis tentent d'apaiser la colère de leur partenaire français - "Notre amour de la France est inébranlable", a récemment déclaré le Britannique Boris Johnson -l'Australie, elle, reste droite dans ses bottes. "Je ne regrette pas la décision de faire passer l'intérêt national de l'Australie en premier. Je ne le regretterai jamais", a déclaré le Premier ministre Scott Morrison au lendemain de la sortie tonitruante de Jean-Yves Le Drian. "Je pense qu'ils (ndrl : les Français) auraient eu toutes les raisons de savoir que nous avions de profondes et graves réserves quant au fait que les capacités du sous-marin de classe Attack ne répondaient pas à nos intérêts stratégiques et nous avions clairement indiqué que nous prendrions une décision basée sur notre intérêt stratégique national".
Le pays des kangourous fait faux bond ?
Contrairement à ce qu'affirment les autorités françaises, le pays des kangourous n'a pas fait faux bond à son partenaire du jour au lendemain. Les nuages s'amoncelaient déjà depuis plusieur mois sur le "contrat du siècle" (12 sous-marins pour 56 milliards d'euros). En février, la présentation par Naval Group du design des sumersibles avait quelque peu fait tiquer le client. Lequel s'en était ému, quelques semaines plus tard, directement auprès d'Emmanuel Macron, estimant les propositions "trop coûteuses". Scott Morrison avait donné à l'industriel français "jusqu'à septembre" pour revoir sa copie.
Un coup dans le dos, vraiment ? Le rupture du contrat du siècle était en fait dans l'air depuis des mois. #Cherbourg #Australie https://t.co/sWhmd94aej
— France 3 Normandie (@F3bnormandie) September 16, 2021
Ce lundi 20 septembre, le vice-premier ministre australien a, à son tour, sermonné le prestataire éconduit. "L'Australie n'a pas besoin de prouver son attachement, son amitié et sa volonté de veiller à la liberté et à l'égalité de la France", a déclaré Barnaby Joyce, "Des dizaines de milliers d'Australiens sont morts sur le sol français ou sont morts pour protéger le territoire français (...) lors de la Première Guerre mondiale et de la Deuxième".
Les Européens sortent de leur silence
La naufrage du "contrat du siècle" n'est pas qu'une affaire de gros sous. Les enjeux sont aussi stratégiques. La rupture du contrat s'inscrit dans le cadre d'un pacte de sécurité conclu avec l'Australie et le Royaume-Uni pour contrer Pékin, surnommé AUKUS. Et l'annonce tombe plutôt mal alors que l'ONU tient son assemblée générale à New-York cette semaine et que Joe Biden a annoncé son intention de tirer un trait sur les années Trump en matière de politique internationale (America first). Comme le rapportent nos confrères du Monde, la France tentent ces derniers jours de convaincre ses partenaires européens qu'il s'agit d' "une question stratégique pour l’UE et pas d’un simple sujet commercial pour un Etat membre".
Il aura fallu attendre ce lundi 20 septembre pour que plusieurs responsables du "vieux" continent prennent publiquement position pour la France. Dans un entretien accordé à la chaîne américaine CNN, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a jugé "inacceptable" la manière dont Paris a été "traitée". Charles Michel, le président du Conseil européen, a également dénoncé un "manque de loyauté" des Etats-Unis et plaidé pour un renforcement de la "capacité d'action" de l'UE sur la scène internationale. En fin de journée, c'est le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell qui a relayé "la solidarité" des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne : "Ce n’est pas une affaire bilatérale mais cela affecte l’UE dans sa totalité". Un soutien symbolique, à défaut, pour le moment, d'être concret.
Une "humiliation mondiale" selon la sénatrice de l'Orne Nathalie Goulet
Si le gouvernement français bénéficie du soutien de ses partenaires européens, l'affaire suscite beaucoup moins de concorde sur le territoire national. Et plusieurs voix s'élèvent dans la classe politique pour demander des comptes, à quelques mois d'échéances électorales majeures. Dès la semaine dernière, le président du groupe LR à l'Assemblée nationale Damien Abad et la députée du Rassemblement national Marine Le Pen, candidate à la présidentielle de 2022, ont réclamé la création d'une commission d'enquête parlementaire. Un appel lancé également par la sénatrice de l'Orne Nathalie Goulet, qui parle, chez nos confrères de France Info d'une "humiliation mondiale" subie par la France et estime qu' "une rupture pareille d'un contrat aussi important n'est pas arrivée en une nuit".
Si la création d'une commission d'enquête parlementaire n'est pas encore actée, les députés s'emparent déjà du sujet. Pierre-Éric Pommellet, le PDG de Naval Group, sera auditionné le 28 septembre par les commissions de la Défense et celle des Affaires économiques à l'Assemblée nationale.