Du quai à l'assiette : la pêche normande développe la vente de poisson ultra frais en circuit-court

La filière pêche locale utilisait jusqu’à maintenant très peu la vente directe. Mais la crise du Covid-19 et le confinement sont passés par là. Pour répondre à une demande croissante, les pêcheurs normands se mettent eux aussi vendre leur poisson frais en circuits courts.
 

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Cherbourg : des paniers livrés à domicile

L’armement cherbourgeois proposait déjà avant la crise des « box cherbourgeoises » : 3 kilos de poisson frais pêchés par l’un des 4 chalutiers de l’armement, livré en 24 heures à domicile partout en France… sauf à Cherbourg !  « Notre objectif était de faire découvrir le poisson normand aux consommateurs d’autres régions de France, et nous craignions de faire concurrence aux poissonneries locales », explique l’armatrice Sophie Leroy. Mais pendant le confinement, les Cherbourgeois, privés de poisson frais au même titre que les Parisiens ou les Lyonnais, ont été très frustrés.

La demande locale a fortement augmenté pendant le confinement, donc dès le 11 mai nous avons mis en place la livraison à domicile à Cherbourg

Sophie Leroy, armement cherbourgeois

Le café du Port s’est porté volontaire pour devenir point de retrait à Cherbourg-en-Cotentin, mais les habitants de la ville et des alentours peuvent également se faire livrer à domicile, avec le même mode d’emploi que pour n’importe quel client français : la commande se passe via le site godaille.com.

Et il n’y a pas que les gros bateaux qui proposent ce service, les petits s’y mettent ! « On a commencé un jeudi pendant le confinement pour trois clients, la semaine suivante on en avait 30, la semaine d’après 60 ! » raconte Etienne Fossey, qui travaille à terre pour l’armement Out-rage 2. Ce catamaran de 11 mètres a été transformé pour la pêche au casier dans le Nord Cotentin. Homards, étrilles, tourteaux…

"On pratique la pêche avec un art dormant. La totalité de ce qu'on pêche arrive vivant à bord. Après on tri. Les homards qui ne font pas la taille sont remis à l'eau". Reportage à bord de l'Ou-Trage 2 d'Amandine Pinault et Claude Leloche

Deux points de retrait ont été mis en place dans Cherbourg-en-Cotentin, et à partir de 50 euros de marchandise la livraison est possible dans un périmètre de 30 km autour de la ville. Employé autant en mer qu’à terre, Etienne Fossey prend les commandes par texto et livre de l’ultra-frais : « les petits bateaux comme nous proposent de la qualité, nous ne sommes que 2 ou 3 à bord, les marées font douze heures maximum. »

  On a capté une clientèle qui ne mangeait pas de poisson local avant la crise  

Etienne Fossey, Out-rage 2

La jeune génération adepte du circuit court

 

Sur son site godaille.com, l’armement cherbourgeois propose plusieurs box ou du poisson à la carte. « Avant la crise, on expédiait 20 colis par semaine. Depuis le déconfinement, on est passé à 60 par semaine, la moitié au national, la moitié en local. » se réjouit Sophie Leroy. Et la demande est croissante , « surtout de la part des jeunes. Ils n’ont pas peur de préparer un poisson, ils vont voir un tuto sur youtube » . C’est en effet l’un des pendants de la vente directe : le pêcheur n’est pas poissonnier et dans votre box vous ne trouverez pas de jolis filets mais un charmant Saint Pierre d’1 kilo (éviscéré, étêté tout de même) qu’il vous faudra cuisiner !

Poissonnier de formation, Etienne Fossey estime que la vente directe ne fait pas ombrage aux poissonneries locales : les deux sont complémentaires. « Si vous voulez des étrilles, moi je vous en fournis 1 kilo minimum. Maintenant si vous voulez quatre crabes, un peu de bouquet, etc, mieux vaut aller chez votre poissonnier. Le prix en vente direct est forcément moindre, mais la poissonnerie apporte une valeur ajoutée au produit ».  

Le pêcheur valorisé et mieux rémunéré

S’il accepte de cuisiner donc, le client est gagnant au niveau du prix. Mais les clichés ont les écailles dures. « Il y a encore cette idée reçue que le poisson est plus cher en vente directe qu’en grande surface ! » déplore Sophie Leroy. 

Et si le client y gagne, le pêcheur lui aussi est gagnant. C’est d’ailleurs le sens du mot « godaille » : c’est la partie de la pêche laissée par le patron pêcheur à ses marins. L’armement cherbourgeois a choisi de reverser le fruit des ventes des box directement aux marins pêcheurs. Après la crise du Covid-19 et l’arrêt de l’activité pendant plusieurs semaines, cet avantage financier est bienvenu pour les pêcheurs.

Avec le fruit de la vente directe, nous voulons valoriser le métier de marin pêcheur, dangereux et difficile.  

Sophie Leroy, armement cherbourgeois

L’équipage du caseyeur Out-rage 2 mise aussi sur la valorisation des produits normands et du métier de pêcheur. « Il y a certes un gain d’argent avec la vente directe, mais ce n’est pas le but premier. Nous voulons aussi recréer du lien entre les pêcheurs et les particuliers. Surtout à Cherbourg, ce lien s’est perdu. Les gens savent qu’il existe des pêcheurs mais ils ne nous connaissent pas. »

Si tous les produits sont exportés, le jour où ça ira mal pour nous, personne ne sera là pour nous défendre !

Etienne Fossey, armement Out-rage 2

Du lien sur le littoral : une tendance durable ?

La crise sanitaire va-t-elle modifier durablement les comportements des consommateurs ? Bien malin qui peut répondre aujourd’hui à cette question. Chez Pleine Mer, on espère. L’association milite pour une pêche durable et responsable et veut « recréer du lien sur le littoral ». Thibault Josse, chargé de mission auprès de l’association, explique que le Covid-19 a certes « boosté » la vente directe, mais qu’"il reste un gros travail de sensibilisation à mener afin de fidéliser cette nouvelle clientèle, surtout jeune, et faire comprendre la démarche du circuit court."

Le circuit court permet au consommateur de payer le prix juste et d’offrir de la stabilité économique au pêcheur, qui n’est plus dépendant des prix de la criée. 

Thibault Josse, chargé de mission Pleine Mer

Thibault Josse explique qu’en Normandie, « une tradition de vente directe était bien ancrée avec des étals sur les quais, mais elle n’existait plus du tout à Cherbourg par exemple. Le vente directe souffre encore d’une mauvaise image, basée sur des systèmes opaques : mais ce n’est pas vrai ! »

A l’heure actuelle, la création de circuits courts n’est pas encore une tendance, mais une coexistence d’initiatives individuelles. Pierre à l’édifice apportée par l’association : une cartographie des points de vente directe partout en France sur son site.

La dirigeante de l’armement cherbourgeois se rend à l’évidence : « ce travail de fond pour inciter les gens à manger local et valoriser nos produits, nous allons devoir le faire nous-même, car les campagnes des organisations en place sont focalisées sur les grandes surfaces et les poissonneries. »

Un travail de longue haleine que Philippe Calone a entamé. Ce pêcheur de Ouistreham écoule une partie de ses produits dans des « casiers de la mer ». Inspiré du système des AMAP, le site Poiscaille propose des paniers de poissons coquillages et crustacés en fonction la pêche du jour, livrés partout en France à ses abonnés. La provenance et la fraîcheur sont garantis. La rémunération juste pour le pêcheur aussi.

Ce système, le pêcheur calvadosien veut le mettre en place à l’échelle locale. « Ces circuits permettent aux pêcheurs de pêcher moins, de travailler mieux et d’être mieux rémunérés. »  Les bases d’une pêche durable. Alors quand il ne pêche pas, Philippe Calone prend son bâton de pèlerin et tente de convaincre ses confrères. Mais comme le souligne le chargé de mission de Pleine Mer, Thibault Josse « pour monter une coopérative et mettre en place ces paniers, il faut un budget. » Or cette ligne-là n’a pas été encore été mise à l’ordre du jour du monde d’après.

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