À la centrale de Flamanville, le chargement du combustible a démarré mercredi 8 mai 2024. La veille, l'ASN, le gendarme du nucléaire avait donné son feu vert pour la mise en service de l'EPR. Nous avons posé trois questions à Pierre Barbey, expert en radioprotection.
Le top départ était très attendu. Avec 12 ans de retard, le réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville (Manche) va pouvoir démarrer. Le chargement d'uranium a débuté mercredi 8 mai 2024 dans les cuves de l'EPR de Flamanville (Manche). Après le feu vert mardi de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), "les équipes d'EDF ont débuté le chargement des assemblages du combustible dans la cuve du réacteur le 8 mai 2024 à 14h", a annoncé le groupe mercredi dans un communiqué.
Une nouvelle étape cruciale du démarrage progressif du plus puissant réacteur nucléaire français, qu'EDF entend voir produire de l'électricité à partir de l'été.
À l'heure où le gouvernement veut construire jusqu'à 14 réacteurs en France, ce chargement est une étape majeure pour EDF et toute une filière qui veut tourner la page d'un chantier laborieux de 17 ans, émaillé de multiples problèmes et de surcoûts colossaux.
Mais après 12 ans de retard, cette mise en service inquiète les écologistes. Ces importants retards sur le calendrier ont été engendrés par de nombreux problèmes rencontrés sur le chantier, notamment des anomalies dans l'acier du couvercle de la cuve. Il y aurait également des soudures défectueuses.
Nous avons posé 3 questions à Pierre Barbey, spécialiste de la radioprotection à l’Université de Caen.
Que pensez-vous de cette mise en service aujourd'hui avec les états des installations aujourd'hui ?
Pierre Barbey : Effectivement cette installation qui a pris 12 ans de retard va démarrer alors que l'on sait pertinemment qu'il y a des résultantes encore d'anomalies qui ont été notées par l'ASN et qui ne sont pas résolus. Il y a en particulier le changement de couvercle, des soupapes…
Je suis dubitatif au vu de toutes ces anomalies qui ont été accumulées. C'est un peu inquiétant… je ne comprends pas.
En quoi ces problèmes de cuve et de soupape peuvent être dangereux ?
En ce qui concerne la cuve, il y a des anomalies dans la composition carbone des aciers. Ces anomalies ont été révélées à la suite d'audit antérieur. À partir du moment où la composition n'est pas celle attendue, il y a des risques de fragilisation de ces aciers.
Pour les soupapes, comme son nom l'indique, ce sont des systèmes qui doivent permettre de dépressuriser certains éléments. Il faudra les changer à terme.
Cette cuve à réacteur nucléaire, ce n'est quand même pas quelque chose qui fonctionne dans des conditions tout à fait usuelles. On va être en fonctionnement dit 'normal', avec une pression de l'eau de 150 bars dans la cuve et une température de l'eau de 320 degrés.
Ce sont des instruments sous des pressions considérables. Une cuve défectueuse peut provoquer des fuites qui affectent le circuit primaire, le pire scénario serait une rupture du système de refroidissement du cœur du réacteur nucléaire, qui pourrait entraîner un évènement comme ça s'est passé à Fukushima.
Piere Barbey, expert de la radioprotection
Comment expliquer la prise de position de l'ASN, pourtant garante de la sûreté nucléaire, d'autoriser le lancement de cette activité via le chargement de combustible ?
Je dirais qu'elle est dans ses responsabilités. Ça a peut-être été précipité car en 2007, l'ASN avait délivré une autorisation de création. Cette dernière a un délai de réalisation de l'équipement et des installations. On était arrivé presque au terme de ce délai. Le risque était donc de tout reprendre à zéro, cela explique donc le fait que les choses se sont peut-être précipitées.
Je pense tout de même que l'ASM fait son travail correctement, mais il ne faut pas négliger le fait que l'on soit dans un contexte politique avec la volonté du gouvernement de relancer le programme nucléaire et mettre en fonctionnement ce qui était considéré comme un prototype.
Il faudra cependant attendre encore plusieurs mois, pas avant la fin de l'année, pour que du courant soit injecté dans le réseau, s'il n'y a pas de nouveau bug. L'ASN donnera son avis progressivement à chaque essai technique. L'histoire nous dira si le choix était judicieux.