L'entreprise Vilmorin-Mikado commercialise "une solution naturelle" pour lutter contre le nématode, un ver qui mange les carottes et qui ruine les cultivateurs. Cette méthode évite l'emploi de produits chimiques, mais elle oblige à sortir de la monoculture intensive. Révolution en vue.
Parfois, le progrès consiste à savoir utiliser des armes que fournit la nature. C'est un peu le principe du piège que le semencier franco-japonnais Vilmorin-Mikado se propose de tendre au nématode. Ce petit ver microscopique n'existe que par et pour la carotte. Il s'en nourrit au point de provoquer de nombreux dégâts dans les cultures, en bloquant notamment la croissance du légume-racine.
Un remède miracle ?
"Il aura tout de même fallu vingt ans de recherches", souligne Laure Barrot, sélectionneuse Carotte chez Vilmorin-Mikado. "On a utilisé le principe de la culture-piège". Les chercheurs ont d'abord soigneusement observé la vie de ce petit ver. "Les oeufs sont disséminés dans le sol. La carotte, lorsqu'elle pousse, émet un exhudat, une substance chimique qui reveille les oeufs et qui provoque leur éclosion. Les larves migrent vers les racines et les pénètrent".
Depuis quelques années, Vilmorin-Mikado teste un remède qui semble aussi naturel que miraculeux. "Nous avons identifié une carotte sauvage résistante au nématode. Elle a été croisée avec une carotte de consommation." Cette nouvelle variété baptisée Terapur a le pouvoir de nettoyer le sol. "Cette carotte attire les vers, mais elle ne les nourrit pas. Ils meurent peu à peu, explique Laure Barrot. Il y a plusieurs vagues d'éclosion d'oeufs. On estime qu'au bout de trois mois, la parcelle est nettoyée".
Pendant plusieurs décennies, les professionnels ont eu recours à la chimie pour tuer la bête. Or, le dicholoropropène est un insecticide classé depuis 2009 parmi les produits cancérigènes que l'Union Européenne interdit. La France a pourtant longtemps continué à l'autoriser. Mais 2018 a marqué la fin des dérogations, entraînant la colère de la profession.
Enthousiasme modéré chez les producteurs
Le désespoir était tel que certains semblent avoir pris le risque de continuer à l'utiliser. L'année dernière, le parquet de Coutances a annoncé le démantèlement d'un trafic de cet insecticide cancérigene. "L'enquête révèle à ce stade que, depuis 2018, près de 80 tonnes de produits interdits étaient importées illégalement d'Espagne et étaient utilisées et répandues sur plusieurs hectares dans le secteur de Créances", déclarait en novembre dernier le procureur de la république.
"Tous les producteurs sont à la recherche de solutions, ce sont des outils qu'on va utiliser", déclare Mathieu Joret, le président du syndicat des producteurs de carottes de Créances. Avant de rapidement tempérer l'enthousiasme que pourrait susciter cette solution naturelle. "Est-ce l'outil de demain qui va redonner à Créances son potentiel de production de carottes ? Je ne pense pas."
Pour qu'elle soit pleinement efficace, la méthode mise au point par Vilmorin-Mikado implique en effet d'en finir avec la monoculture telle qu'elle est aujourd'hui pratiquée dans le bassin de Créances. "Terapur nettoie une parcelle au printemps. La carotte est ensuite broyée au début de l'été. Les producteurs peuvent ensuite planter du poireau ou de l'orge d'hiver, mais la carotte ne se cultivera que l'année suivante, explique Laure Barrot. Dès qu'on va replanter une carotte non résistante, le nématode va recommencer à se multiplier". Il faudra donc de nouveau nettoyer la parcelle et instaurer une rotation des cultures afin d'éviter la prolifération.
"Le sable n'est pas un support qui permet à toutes les cultures de se développer ou de répondre aux cahiers des charges fixés par les distributeurs pour la commercialisation", plaide Mathieu Joret qui est installé à Saint-Germain sur Ay.
Le président du syndicat invoque également la distorsion de concurrence avec d'autres pays. "On va demander à un producteur de carottes de semer tous les cinq ans alors que des producteurs étrangers, en désinfectant les sols, pourront fournir tous les deux ans, voire tous les ans."
Les chercheurs préconisent le retour à la rotation des cultures telle qu'elle était pratiquée autrefois...
Si le produit développé par Vilmorin-Mikado semble prometteur, il ne constitue "qu'une partie de la solution", estime encore Mathieu Joret. "Il y a d'autres problèmes qui persistent comme les maladies fongiques et l'enherbement. Aujourd'hui, le désherbage est une problématique importante. Avec la suppression des matières actives (ndlr : phytosanitaire), on a besoin de beaucoup plus de main d'oeuvre pour enlever les mauvaises herbes. Or, se mettre à quatre pattes en plein été, il n'y a pas beaucoup de monde pour faire ça."
"Le problème quand on ne fait pas de rotation de culture, c'est qu'on favorise justement le développement de maladies et de champignons, souligne Laure Barrot. La rotation permet aussi une gestion durable". Pendant des siècles, jusqu'à l'apparition des produits chimiques, le système de l'assolement fut le principal moyen utilisé pour lutter contre le développement des parasites et des maladies dans les cultures.
Vilmorin Mikado a lancé la commercialisation de Terapur au mois de janvier dans le bassin de Créances. S'il ne s'agit pas d'un remède miracle, mais plutôt d'un "outil", il semble susciter plus que de l'intérêt : "On n'a pas eu assez de graines pour répondre à la demande".