Après avoir pratiquement disparu du territoire, la consigne fait son retour dans la région, non sans difficulté. Au moment où le prix des bouteilles en verre s'envole, le mouvement tend à se structurer mais interroge sur ses bienfaits écologiques supposés.
Tombée en désuétude dans les années 1960, balayée par le "tout plastique", la consigne du verre fait son grand retour en Normandie. Le principe ? Une somme d’argent supplémentaire de quelques centimes est payée à l’achat du produit et récupérée lorsque l’emballage est rendu en point de collecte. Ce dernier repart ensuite auprès du producteur, où il est rempli à nouveau après lavage.
À l'Agon-Coutainville, dans la Manche, la brasserie "Captain James" a adopté ce fonctionnement dès ses débuts, il y a trois ans : "Ça nous semblait plus logique et plus écolo de réutiliser nos bouteilles vides que de les casser, de les refondre à 1500°c et de les mouler à nouveau" expose Pierre James, fondateur et brasseur.
La consigne en verre obligatoire d'ici deux ans
Le Manchois n'est pas le seul à en voir l'intérêt. L'État s'est, lui aussi, emparé de la question puisque la secrétaire d’État chargée de l’écologie, Bérangère Couillard, a annoncé, fin juin, la mise en place dans l'hexagone d'une consigne sur le verre d'ici à deux ans.
Cette annonce, qui s'inscrit dans l’objectif d'arrêter les emballages plastiques à usage unique d'ici 2040, soulève néanmoins de nombreuses questions localement : comment permettre un maillage du territoire en Normandie, où la consigne a presque totalement disparu ? À quelle échelle doit-elle s'appliquer et avec quels acteurs ?
Pour répondre à ces questions, la Chambre régionale de l'économie sociale et solidaire de Normandie (CRESS), en partenariat avec l'Agence de la transition écologique (ADEME) et la Région Normandie, a lancé une étude, mercredi 13 septembre 2023.
En Normandie, la consigne reste assez expérimentale. Cette étude permettra d'évaluer les besoins du territoire et les usages pour ensuite équiper les acteurs en centres de lavage pour le verre.
Chloé Saint Martin, ingénieure en économie circulaire et réemploi pour l'ADEME Normandie
Concrètement, il s'agira de "réactiver et déployer sur le territoire le lavage et la réutilisation des bouteilles en verre, bocaux et boite repas". Les résultats de cette étude sont attendus pour février 2024. Mais des opérateurs, associations et institutions expérimentent d'ores et déjà la consigne en Normandie.
Une solution écologique ?
En Alsace, une étude, commandée par la brasserie Meteor, a démontré en 2009 que le réemploi de leurs bouteilles leur permettait de réduire de 79% les émissions de gaz à effet de serre, de 77% la consommation d’énergie et de 33% la consommation d’eau.
Mais pour que le réemploi soit intéressant, il faut encore que le bilan environnemental global soit positif : la bouteille ne doit pas avoir à parcourir des centaines de kilomètres en camion avant d'être lavée.
Il est donc nécessaire de faire appel à des opérateurs locaux, actifs dans un rayon maximal (conseillé) de 250 km. Parmi eux : "Suivez la consigne !", une petite entreprise née d'un projet étudiant en 2021, et basée à Caen, dans le Calvados.
Le réemploi est une solution écologique pour réduire la pollution. L’emballage représente 40% des parts de l’émission de gaz à effet de serre dans la production de bières.
Loan Godard, cofondateur de "Suivez la consigne !"
La société entend "relancer la consigne en Normandie et multiplier le nombre de bouteilles réutilisées", explique Loan Godard, l'un des trois fondateurs. Pour cela, ce dernier estime nécessaire de "simplifier les flux auprès des entreprises" en se posant en intermédiaire entre le producteur et le consommateur.
Lorsque les caisses d'un point de collecte sont pleines, un signal est envoyé via un outil digital de traçage à "Suivez la consigne!" et l'entreprise vient récupérer les bouteilles vides. Celles-ci sont emmenées au lavage, puis redistribuées aux producteurs.
La société travaille déjà avec 20 producteurs sur 40 points de collecte. En un an, 70 000 bouteilles ont été lavées en provenance de plusieurs supermarchés Leclerc de la zone, d'un cinéma, de salles d'escalade, de brasseurs ou de l'ensemble des magasins Biocoop du Calvados.
Tous les contenants ne sont néanmoins pas éligibles au réemploi. Dans la Biocoop de Vire, seulement quinze produits provenant de huit producteurs locaux font aujourd'hui l'objet d'une consigne. "C'est du cas par cas sur des produits hyper locaux. La consigne fonctionne sur la base du volontariat, sans gratification économique. Elle reste donc marginale, mais progresse", explique Angel Tener, vendeur pour la chaîne de magasin, connue pour sa politique ambitieuse en matière de réemploi.
Louer des laveuses auprès des cidreries
Une fois les bouteilles en verres récupérées, il faut encore les laver. "Suivez la consigne!" ne dispose pas encore de laveuse industrielle, "un équipement très coûteux". Elle loue donc, en attendant que le secteur se structure, les laveuses des cidreries normandes. Ces dernières n'ont jamais abandonné la consigne en plus de 70 ans d'exercice.
"Chaque semaine, 25% de mes bouteilles reviennent des hôtels, des cafés et restaurants pour être lavées et réutilisées. Quelques particuliers le font aussi, surtout des personnes âgées. Sur un million de bouteilles, ce n'est pas rien", expose François Calandot, de la cidrerie de La Brique, à Saint-Joseph, dans la Manche.
Il ne faut pas se leurrer : laver n'est pas indolore pour l'environnement. On parle tout de même d'eau chauffée au fuel à 80°c, et pour répondre aux exigences des tests bactériens, nous utilisons de la soude.
François Calandot, responsable de la cidrerie de la Brique, à Saint-Joseph (Manche)
Si le système de lavage n'est pas complètement indolore sur l'environnement, il s'avère toutefois plus intéressant qu'une refonte du verre, dans des fours chauffés à plus de 1 500°c.
Plus encore, cette mutualisation est porteuse de sens à l'échelle locale. Grâce à "Suivez la consigne !", la brasserie "Captain James", à l'Agon Coutainville, a pu laver ses bouteilles de bière dans la laveuse de la cidrerie de La Brique.
"On lavait nos bouteilles à la main au début, par sensibilité écologique, mais je ne conseille cela à personne. Aujourd'hui, cette mutualisation nous permet de nous dédouaner de cette tâche", expose Pierre James, le fondateur.
La Brasserie dispose de quatre à cinq créneaux de lavage par an, et espère augmenter son rythme de rotation : "la seule difficulté, c'est le stockage de bouteilles vides et sales", ajoute le brasseur.
Voir cette publication sur Instagram
La brasserie s'astreint également à quelques contraintes : sa distribution est locale - puisque sa bouteille n'est pas standardisée et donc, n'est pas utilisable par d'autres brasseurs en France - et son étiquette doit utiliser une colle qui part aisément au lavage. Pas une évidence en période de pénurie.
Un intérêt économique
Au-delà de l'aspect écologique, les motivations des industriels de l'alimentation pour se lancer dans la consigne ont aussi évolué. La production de verre nécessite l’utilisation de fours très gourmands en énergie et les fonderies, basées en Europe de l'Est, ont accusé l'effet de la guerre en Ukraine. Résultat : les prix du verre se sont envolés. "Avant, les bouteilles de 33 cl coûtaient 12 centimes. Aujourd'hui, c'est le double, voire le triple !", observe François Calandot, à la cidrerie de La Brique.
La brasserie Captain James a, elle aussi, vu le prix de ses bouteilles "made in France" augmenter de 70% en 2022 pour atteindre 1€70 l'unité. "On demande aux particuliers et aux distributeurs de bien vouloir nous les rapporter. Et les gens jouent le jeu, nous avons un taux de retour qui avoisine les 60%."
À "La case", un caviste basé près de Caen, le retour avoisine, lui, à peine les 25%. "Je travaille avec des brasseurs belges, chez eux la consigne est la norme et elle est facturée", explique François Planchenault, le gérant. "Mais ici, si je ne piquais pas les gens avec du financier en encaissant la consigne, ils ne retourneraient pas les bouteilles."
Reste encore à définir le juste prix de la consigne. Si Biocoop compte sur la bonne volonté de ses clients, le magasin Leclerc de Granville a opté pour des bons d'achat plus incitatifs.
Un pré-rapport de Jacques Vernier, publié le 11 septembre 2019 dans le cadre de la loi antigaspillage, soulignait pour sa part que "tous les observateurs s’accordent à considérer qu’un montant inférieur à 0,10 € n’aboutit qu’à de faibles retours". Dans les pays européens voisins, cette dernière monte même à 20 ou 30 centimes.
Selon les acteurs normands rencontrés, la perspective de passer à une consigne du verre à grande échelle d'ici à 2026 semble illusoire, à moins de politiques incitatives d'ampleur et d'une standardisation des contenants.