A 28 ans, Nathan Paulin compte de nombreux records à son actif en highline, des traversées sur un fil à plusieurs dizaines de mètres dans les airs. Ce mardi 24 mai, il a rallié l'abbaye du Mont-Saint-Michel à plus de 100 mètres de hauteurs en partant du barrage du Couesnon. Un parcours périlleux de 2200 mètres.
La première tentative a été la bonne. Après ce qu'on peut qualifier d'un faut départ (une chute au bout de quelques mètres), Nathan Paulin est rapidement "remonté en selle" pour effectuer de bout en bout cette traversée de 2200 mètres de long entre la grue installée près du barrage du Couesnon et l'abbaye du Mont-Saint-Michel. Le tout à 114 mètres de hauteur. Dans les ultimes secondes, la foule a retenu son souffle quand le funambule s'est couché sur la sangle, à quelques mètres de l'arrivée. "Une fois que je suis parti, je ne voulais pas m'arrêter et à la fin quand j'ai mis le pied sur la marque qui symbolisait la fin, je me suis jeté sur la sangle et c'est pour ça je pense que vous avez cru que j'étais tombé", s'amusait le héros du jour.
Sur son visage, un large sourire qui dissimulait la fatigue et les épreuves traversées. "La fin a été hyper difficile, c'était raide, je me suis fait surprendre", confiait Nathan Paulin, "Chaque passage de maillon sur la sangle, tous les 100 mètres, j'avais vraiment du mal. Et puis physiquement, ça tire, au niveau des chevilles, des jambes. Ce n'est pas pour rien que c'est un record. Au niveau limites physiques, ça commence à devenir difficile de tenir sur ces longueurs. Et puis il y une crispation générale. J'avais vraiment la nuque pas mal verrouillée. J'essayais de détendre tout ça mais sur la fin, je n'en étais plus capable et je commençais à trembler."
"Ça m'a pris deux heures et je n'étais pas seul"
Comme il nous l'expliquait quelques heures avant son départ dans les airs (voir plus bas dans l'article), ce nouveau record a été une aventure à la fois solitaire et collective. Suspendu à 114 mètres de hauteur, "j'ai eu l'occasion de penser à tout le monde, à ma famille, à tous les gens qui ont contribué à ce projet (...) C'était génial que tout le monde puisse marcher à côté. Ça m'a pris deux heures et je n'étais pas seul."
Nathan Paulin s'était donné trois jours pour réaliser cet exploit. Et il compte bien en profiter. "La suite du programme, c'est de continuer à profiter de cette belle ligne, d'essayer de passer le plus de temps dessus, de profiter du paysage et de produire de belles images aussi. C'est un projet énorme, il ne s'arrête pas là." Des images, certaines ont déjà fait le tour de la planète. "Au Japon, en Corée, ils sont déjà devant leur télé pour admirer tout ça", se réjouissait Luc Sénécal, le patron des Tricots Saint-James, l'un des partenaires de Nathan Paulin. "J'ai du mal à prétendre mettre en valeur le Mont-Saint-Michel parce qu'il n'a pas besoin de moi pour être mis en valeur", ajoutait le funambule de 28 ans, "C'est plutôt moi qui profite de ce lieu et je suis heureux d'y être. On a vraiment de la chance d'avoir ce type de monument en France."
D'autres défis à venir
Après la Normandie, Nathan Paulin a les yeux de nouveau tournés vers la capitale; "La suite, le prochain projet que je voudrais faire, c'est la traversée Tour Eiffel - Tour Montparnasse. Ca fait un moment que j'en parle. Un projet à cette échelle montre que c'est possible."
"Je suis né dans un milieu montagnard. Une fois, je devais avoir 12 ou 13 ans, on était sur un sommet et, sur un passage délicat, il y avait vraiment du vide. Je n'ai pas réussi à passer. Je me suis mis à pleurer. Je me disais : tu ne seras jamais un montagnard. T'es nul de ne pas arriver à faire ça." En 2020, Nathan Paulin confiait à nos confrères de l'émission 7 à 8 ce cuisant souvenir d'enfance. Une anecdote étonnante de la part d'un jeune homme qui depuis six ans enchaîne les records, suspendu dans le vide, à plusieurs dizaines de mètres de la terre ferme.
C'est dans le garage de ses parents que le jeune Nathan, adolescent, a fait ses premiers pas de highliner, arpentant une sangle, au départ à quelques centimètres seulement du sol, "un peu plus fine qu'un ticket de métro" (2,5 cm). L'entraînement aidant, la confiance progressant, Nathan Paulin va peu à peu élever ses ambitions. En 2016, à Aiglun dans les Alpes-Maritimes, il parcourt plus d'un kilomètre à 600 mètres dans les airs. Son premier record du monde. L'année suivante, il pousse le curseur beaucoup plus loin au Cirque de Navacelles dans le Gard : une promenade de 1662 mètres à 300 mètres de hauteur. Le funambule s'épanouit également en milieu urbain. Il a rallié le Trocadéro en partant de la Tour Eiffel pour le Téléthon et se verrait bien renouveler l'expérience entre la dame de fer et la tour Montparnasse.
Mais en ce mois de mai 2022, le Savoyard a posé ses valises en Normandie pour un nouveau défi. A la clé, un autre record à son palmarès de funambule de l'extrême. Mais là n'est pas l'essentiel souligne l'intéressé. "L'idée principale ce n'était pas de faire un record. C'était d'aller au Mont-Saint-Michel avec une highline. Et c'était complètement absurde. Normalement, la highline ça se pratique sur des lieux en hauteur, avec de la verticalité. Au début, on s'est dit que ça ne servait à rien, que ça ne se ferait pas". Dans la baie du Mont-Saint-Michel, seule la tête de l'archange domine. "En poussant un peu plus loin les choses, en faisant des calculs, on s'est dit : peut-être que ça passe. On est allés toquer aux portes du Mont-Saint-Michel et on a été super bien accueillis."
Seul mais bien entouré
Il faudra un an et demi pour que le projet voie le jour. "C'est mon projet le plus énorme depuis le début", assure Nathan Paulin, "que ce soit sur le plan technique, sur le plan financier et sur le plan des autorisations." Une grue de 160 tonnes a été mobilisée pour l'occasion. Elle constitue le premier point d'ancrage de la sangle de 2 centimètres de large que le highliner va arpenter jusqu'à la Merveille. Un point de départ culminant à 114 mètres de hauteur pour un périple de 2200 mètres. "Ce qui me plaît c'est le nombre de gens impliqués pour que ça se fasse. C'est vraiment une équipe. Je suis tout seul là-haut parce qu'avant, il y a 40 personnes qui ont travaillé d'arrache-pied pour que ça fasse."
Nathan Paulin s'est donné trois jours pour tenter de réaliser cet exploit. Ce mardi, le funambule a passé l'après-midi à contrôler tous les détails techniques. "Une fois tout ça passé, je vais faire un petit câlin à mon fils, puis je monterai dans la grue. Je me mettrai dans ma bulle une fois là-haut." Une bulle presque synonyme de libération. "Une fois que je me dis : j'y vais, c'est que tout est calé et dans ma tête, c'est là qu'il ne se passe plus grand chose finalement", lâche Nathan dans un éclat de rire, "A ce moment-là, il faut changer de mode de fonctionnement, se mettre en mode lâcher prise. C'est le corps qui prend le pas. Bien sûr, il y a une partie mentale. Il va falloir que je me convaincs sans cesse que je peux aller au bout. Pour ça, je m'ancre dans des pensées positives, je pense à ma famille, à tout ce qui me fait avancer. C'est une expérience très intense."
Si la performance est solitaire, Nathan Paulin la conçoit comme une expérience collective, en amont lors de la préparation mais également lors de la réalisation. Cette bulle, admet le funambule, est finalement "un petit peu ouverte", perméable au monde qui l'entoure. "Je suis quand même attentif à tout ce qu'il y a autour, je vais entendre les réactions des gens en-dessous, je vais essayer de capter le plus de choses possibles. C'est ça qui m'intéresse. Je veux aller au bout mais je veux aussi profiter de la traversée. C'est le chemin qui me plaît."