La CFDT agro-alimentaire de la Manche a organisé ce jeudi 16 février une opération escargot entre Carentan et Saint-Lô, contre la réforme des retraites. Pour nombre de ces salariés, travailler deux ans de plus est inenvisageable compte tenu des conditions de travail.
Il leur aura fallu pas moins d'une heure et demie pour effectuer la trentaine de kilomètres qui séparent Carentan et Saint-Lô. Un véritable train de sénateur pour protester contre un texte en débat à l'Assemblée nationale. Ce jeudi 16 février, cinquième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites, une bonne trentaine de véhicules avaient répondu à l'appel de la CFDT de l'agro-alimentaire de la Manche. Dans les voitures, des salariés d' Elle-et-Vire, Les Maîtres laitiers du Cotentin, Mont Blanc, Agrial ou Isigny-Sainte-Mère. "On a fait tous les efforts dans la période de la covid et la seule récompense qu’on nous donne aujourd'hui, c’est travailler au minimum deux ans de plus", déplore Laurent René, secrétaire départemental du syndicat, "Il faut absolument combattre cette réforme de façon à ce que les salariés puissent partir à 62 ans. Et 62 ans, c'est déjà loin."
"Même pas la peine d'y penser"
Le convoi s'est mis très lentement en branle vers 10 h 30 au départ de Carentan, dans un concert de klaxons. Derrière l'ambiance détendue et les sourires sur les visages, une vraie détermination, comme celle de Laurence, 49 ans, qui épluche et contrôle des salades dans l'entreprise Florette. La retraite à 64 ans ? "Oh mon Dieu, ce n’est même pas la peine d’y compter !", lance-t-elle du tac-au-tac dans un cri du cœur. "Les horaires, le froid, l’humidité, 4 heures du matin, non non non, ce n’est pas possible. C’est niet, je me mettrai en maladie !"
Au volant de sa camionnette, Sébastien, 54 ans, ne dit pas autre chose. Si la réforme défendue par le gouvernement passe, ce technicien de maintenance chez Elle-et-Vire, devra encore travailler une dizaine d'années. "Je ne veux pas travailler deux ans de plus. Je suis ruiné (physiquement). Ça fait 33 ans que je fais de la maintenance, ça fait 33 ans que je supporte des charges lourdes, je ne peux pas y aller plus. Je n'irai pas, je n'irai pas. J’ai déjà des problèmes de santé."
"Quand le corps ne peut plus, on ne peut plus"
Denis a commencé sa carrière comme ambulancier avant de changer de voie. Voilà maintenant 22 ans qu'il travaille dans l'agro-alimentaire. La réforme, il ne la voit pas d'un bon œil. "Du tout !", lâche-t-il, le sourire triste. Chez Agrial, près de Lessay, "on épluche des légumes, on travaille en 2x8, de 4h à 13h et l’autre équipe fait 13h-21h. Ce sont des conditions de travail très, très pénibles. On travaille dans l’humidité et dans le froid."
Dans quelques semaines, Denis aura 61 ans. "Les anciens ou les seniors, si je puis dire, sont de plus en plus fatigués. Il n’y a plus de motivation, il n’y a plus l’envie. Et il y a la fatigue qui s’instaure. Au fil du temps, au fur et à mesure, on s’aperçoit que les gens, c'est arrêt sur arrêt, ce sont les tendinites, les gens ont mal partout, sur tous les membres supérieurs : les hanches, les épaules, les coudes, les poignets. C’est plus possible. Quand le corps ne peut plus, on ne peut plus. Je ne me vois pas faire deux ans de plus."
"On les a exténués par les conditions de travail"
La pénibilité et la fatigue qui en découlent sont sur toutes les lèvres. "Sur une semaine de travail, on peut faire les trois postes, c'est-à-dire que le lundi-mardi, on peut travailler le matin, le mercredi, je peux être en repos, le jeudi, je peux être d’après-midi et je peux finir par être de nuit. Derrière, c’est très compliqué", raconte Julien Destielle, salarié et délégué CFDT chez les Maîtres laitiers du Cotentin. "La majeure partie des gens qui sont aujourd'hui sur les postes de travail, à 58 ans, ils sont rincés, on les a exténués par les conditions de travail, que cela soit dans les abattoirs ou sur les lignes de production. Aujourd’hui, on ne peut pas concevoir qu’un salarié continue de faire les 3x8 jusqu’à 64 ans", assure son camarade de la CFDT, Laurent René, salarié chez Mont Blanc.
Sur la route départementale reliant Carentan à Saint-Lô, Robert regarde passer le convoi escorté par les gendarmes à moto. Le moteur de son tracteur, stationné sur le bas-côté de la route, tourne encore. L'agriculteur dit comprendre la colère des manifestants. Mais pour lui qui vient de fêter ses 60 ans, la retraite, ce ne sera pas pour tout de suite. "Pour avoir une retraite de misère ? Autant qu’on continue tout le temps qu’on peut. Nous, à 60 ans, c’est des clopinettes qu’on a. La pénibilité, nous aussi, on l'a, tous les jours. Mais de toute façon, on n'en tient pas compte. On a le droit de travailler sept sur sept et puis voilà. Mais bon, c’est comme ça. On ne va pas se plaindre."