Vers une interdiction du plomb en Europe ? Les artisans du vitrail craignent de voir disparaître leur métier

La Suède a demandé l'interdiction du plomb au sein de l'Union européenne. Le sujet est à l'étude et fait l'objet d'une consultation publique. Les professionnels du vitrail sont très inquiets : ce matériau est indispensable à leur travail.

Quand il raconte sa rencontre avec le vitrail, Serge Nouailhat parle d'une "histoire providentielle dans ma vie". Ce métier, qu'il pratique depuis maintenant une trentaine d'années, il le décrit comme "un carrefour déterminant" entre travail manuel et création. "On reçoit de la matière du réel autant qu'on va lui en donner par son inspiration. Ça se nourrit l'un l'autre", explique le "peintre verrier" dans son atelier à Mortain, dans la Manche.

Les vitraux de Serge peuvent être admirés dans le monde entier, de la Normandie jusqu'en Sibérie. L'artisan travaille le verre essentiellement pour des créations, des créations qui, depuis le moyen-âge, s'appuient sur un autre matériau : le plomb. "C'est une matière qui est à la fois très souple et assez résistante dans le temps (un vitrail n'aurait besoin d'être restauré que tous les 100-150 ans selon les professionnels), qui peut se couper avec un couteau et qui peut s'adapter aux différentes épaisseurs de verre. Ça fait partie de la création artistique de choisir sa largeur de plomb. En fonction de la largeur, on va avoir des effets graphiques très différents."

Une liste à faire frémir

Et pourtant, le plomb n'a pas bonne presse et tend peu à peu à disparaître de notre quotidien, des jouets d'enfants à l'essence en passant par les bijoux. Les effets nocifs de ce métal lourd sur la santé en l'environnement sont connus depuis de nombreuses années. Encéphalopathies, neuropathies, troubles digestifs, troubles rénaux, troubles de la reproduction et du développement chez l'enfant, la liste des maux engendrés par une inhalation ou une ingestion de plomb a de quoi faire frémir et se résume en un mot, le saturnisme, une intoxication au plomb qui touchait encore 4700 enfants il y a une douzaine d'années. Vingt ans plus tôt, ils étaient 85 000. Cette diminution conséquente du nombre de cas a résulté notamment des différentes mesures visant à diminuer l'exposition au plomb. Certains voudraient aller encore plus loin.

C'est le cas de la Suède qui, en 2018, a demandé l'inscription du plomb à l'annexe 14 du règlement REACH, le règlement européen qui définit la production et l'utilisation des produits chimiques dans l'industrie de l'Union européenne. L'annexe 14 liste les produits dont l'utilisation est soumise à une autorisation. Pour les produits concernés, l'interdiction devient la règle. Une perspective impossible pour les artisans du vitrail. "Si c'est interdit, je ne peux plus faire de vitraux", lance, catégorique, Serge Nouailhat, "En création, c'est fini. En restauration, ça veut dire que tout le patrimoine français, qui représente 60% des vitraux du monde, est à l'abandon.

Plus de vitraux dans 500 ans ?

Jean Mône, le président de la chambre syndicale du vitrail ne le dit pas autrement : "Le vitrail, c'est notre histoire. Et continuer à créer des vitraux, c'est créer le patrimoine de demain. Si aujourd'hui on ne peut plus créer de vitraux, dans 500 ans il n'y en aura plus." Alors depuis 2018, l'organisation professionnelle tente d'alerter les institutions sur ce dossier et s'organise (en s'associant par exemple avec la fédération du verre et du cristal) pour mieux défendre sa cause. "Le monde du vitrail, c'est un petit monde. C'est à peu près 1200 ateliers avec en moyenne deux personnes et demie par atelier. Chez nous, un très gros atelier, c'est une vingtaine de personnes. Ce n'est pas une manufacture de 500 personnes.

Un petit monde et des quantités de plomb utilisées qui le seraient tout autant. "Nous, on est un peu un dommage collatéral des batteries de voiture puisque l'objet, de ce qu'on comprend, c'est la suppression des batteries au plomb en Europe", indique Jean Mône, " (le vitrail) ça représente 100 tonnes de plomb à l'année en France. Ce n'est pas grand chose, une goutte d'eau dans un océan."

Des protections mais pas d'alternative

La nocivité du plomb, les artisans ne la contestent pas mais lui opposent les bonnes pratiques de la profession. "Les praticiens sont soumis à des règles dans les ateliers (équipements de protection) et des contrôles", rappelle Serge Nouailhat. "Dans le monde du vitrail, alors qu'on a un contact direct avec ce matériau, il n'y a pas eu un arrêt de travail d'un salarié du vitrail depuis que je suis président de la chambre syndicale", assure Jean Mône, "On a aujourd'hui toutes les protections, tous les protocoles pour prévenir des dangers du plomb."

Toutes les protections, selon ces professionnels, mais aucune alternative. "On n'a pas encore trouvé de substitut qui convienne pour remplacer le plomb", assure le président de la chambre syndicale du vitrail. "Il y a des recherches qui sont faites actuellement sur un matériau à base de 98% d'étain. Le problème, c'est que l'étain est beaucoup plus rigide à travailler. Et il est neuf fois plus cher aujourd'hui voire dix fois plus que le plomb. On cherche mais on n'a pas trouvé". Comme le rapportent nos collègues de France 3 Grand Est, le Centre Européen de Recherches et de Formation aux Arts Verrier (CERFAV) à Vannes-le-Châtel, en Meurthe-et-Moselle, travaille sur des solutions alternatives. Mais ces recherches nécessiteraient encore plusieurs années avant d'aboutir. A Mortain, Serge Nouailhat rappelle que de nouvelles peintures pour verre sans plomb ont vu le jour pour remplacer les grisailles. "C'est satisfaisant", note le peintre verrier avant d'ajouter : "Mais on verra si dans 1000 ans elles sont toujours fixées sur le verre. Celles qui ont été utilisées sur nos cathédrales, elles sont toujours là."

Appel à la mobilisation générale

Ce point de vue, le secteur du vitrail peut encore le défendre. Depuis février dernier, l'ECHA, l'agence européenne des produits chimiques, a lancé une consultation publique. "Il faut supprimer le plomb dans beaucoup d'endroits", admet Jean Mône, "Mais il faut voir aussi quels métiers ne peuvent pas s'en passer." Tout l'enjeu pour cet artisanat, c'est d'intégrer une liste d'exceptions. "L'Europe, c'est une grosse machine qui va interdire le plomb dans tous les domaines sauf ceux qui auront montré qu'il n'y a pas de substitut et que le bénéfice pour l'Europe est supérieur en maintenant le plomb plutôt qu'en l'enlevant". Comme pour le vitrail, plaide le président de la chambre syndicale. "Il faut donc se mobiliser."

L'organisation professionnelle met donc divers outils à disposition de ses adhérents pour qu'ils puissent participer. "Dans ces institutions, ce n'est jamais simple, ce sont des termes très techniques et si vous n'êtes pas accompagnés, c'est compliqué de répondre, même si vous en avez la volonté." Et tente, également, de mobiliser au-delà de sa base. "Chaque citoyen peut répondre, c'est une consultation publique", rappelle Jean Mône, "Il faut qu'on soit nombreux à répondre, que vous soyez maître-verrier, maître d'œuvre mais aussi maire d'une commune. Chaque ville de France a au moins une église avec des vitraux.La consultation publique lancée par l'ECHA doit s'achever ce lundi 2 mai.

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