Ce samedi 17 décembre marque la fin d'une époque à Flers de l'Orne, le Why Not Club change de propriétaires et organise sa dernière nuit de folie. La discothèque-cabaret ouverte en 2009 aura accueilli plusieurs générations de noctambules en près de deux décennies.
Des milliers de fêtards du Bocage flérien, et même au-delà, s'y sont massés pour danser, boire et draguer, des heures durant, les nuits de week-ends pendant des années. A Flers-de-l'Orne, le Why Not Club est une institution depuis près de 15 ans. La dernière discothèque du coin. Au moment de l'ouverture, en 2009, il y avait encore des boîtes de nuit à Saint-Paul, Domfront, La Ferté-Macé. Aujourd'hui, il n'en reste qu'une seule à 40 km à la ronde : celle imaginée par Gérard Samoyau et Yann Siloret.
Pourtant, au départ, le projet relevait du sacré défi pour les co-gérants. Transposer en nightclub le concept d'un petit bar gay ouvert quelques années plus tôt à 400 m de là. "Un bar avec une devanture rouge et des banquettes zébrées, c'était culotté à l'époque", se souvient Yann Siloret. Mini-cabaret, l'endroit rassemble déjà les générations, des ados aux quinquas. Mais très vite, Yann et Gégé s'y sentent à l'étroit, et voient plus grand.
4 crédits à la consommation pour financer la discothèque
"Notre objectif a toujours été cette boîte de nuit, en plein centre de Flers, confesse "Gégé". On y a été salariés pendant dix ans, moi en tant que DJ, Yann en tant que barman". Trois ans après l'ouverture du Why Not Café, les compères inaugurent le Why Not Club. Une boîte aux couleurs de l'arc-en-ciel, dans l'Orne, c'est pas banal.
C'était un gros pari ! On croyait vraiment en notre projet mais les banques ne voulaient pas nous suivre. Alors, à un moment, j'ai triché. J'ai contracté quatre crédits revolving, Cetelem, Cofidis, Finaref... Au total, 45 000 € pour nous offrir notre rêve. Si la boîte ne marchait pas, on était endetté jusqu'à la fin de nos jours.
Yann Siloret, co-gérant du Why Not Club
Ouvert en 1981, l'établissement avait changé dix fois de propriétaires avant leur reprise des lieux. Il vivotait péniblement depuis une vingtaine d'années, dans l'ombre du Khéops, grosse structure de campagne, à 10 km de Flers. "La durée maximale d'un propriétaire, c'était 7 ans. On a tenu le double", se félicite Gérard. La recette de leur réussite : la sincérité, indéniablement.
"Notre façon d'être a plu aux gens", analyse Yann. On fait la bise à tout le monde, on s'enlace, on a toujours le sourire. Au "Why", comme certains l'appelait affectueusement, les habitués venaient autant pour les patrons et les employés, que pour profiter et s'amuser. De toutes façons, ils savaient que les deux allaient de paires. "Nos portiers ne sont pas des videurs, on les considère comme des agents d'accueil, pour que les gens se sentent en sécurité. On a organisé plus de 2 000 soirées, on peut compter sur une main celles qui se sont mal passées".
Des platines à l'abattoir
A l'heure où le Why Not Club et toute son équipe tirent leur révérence, le flot de messages de remerciement est incessant. "On est submergé. On ne s'attendait pas à ça. On se rend compte qu'on a été source de rencontres, de mariages, de naissances... de divorces aussi parfois. Nous tenions un lieu de fêtes, qui servait aussi à certains pour oublier le quotidien, une sorte de sas de décompression, notamment depuis le Covid".
Durant cette période, de près de deux ans, terriblement compliquée pour le monde de la nuit, Yann et Gérard ne se sont pas plaints. Ils se sont retroussés les manches. Deux mois après la fermeture forcée, ils partaient travailler à l'usine, à découper des poulets. "On ne pouvait pas rester sans rien faire à accumuler des dettes. Et puis, ça nous a fait du bien, on a fréquenté des gens qui ne nous connaissaient pas".
"On voulait passer la main, mais quand le moment fatidique arrive, c'est horrible !"
Issus d'un milieu ouvrier, les gérants connaissent le prix de l'argent. Ils n'imaginaient pas partir endettés ou laisser leur bébé mal en point. "On vend un établissement qui fonctionne toujours bien après 14 ans, et mieux que lorsqu'on l'a repris, s'enorgueillit Yann, heureux d'avoir trouvé repreneur cinq ans après la mise en vente de l'établissement, mais aussi triste de la fin de l'aventure. "On est pris par l'émotion. On voulait passer la main, mais quand le moment fatidique arrive, c’est horrible ! Ce samedi, pour la dernière, ça va être intense et triste".
Les tauliers du Why Not s'inquiètent aussi pour l'avenir de communauté LGBTQIA+ en milieu rural. "Les lieux d'accueil du milieu gay sont en train de disparaître dans les campagnes. Il y a de moins en moins d'endroits comme les nôtres. Aussi bien repaire que repère, la discothèque flérienne a permis à beaucoup de s'assumer, et de se déclarer. "Nous étions un club ouvert à tout le monde, on accueillait toute les générations, toutes les catégories sociales se mélangeaient". Et c'était pareil au sein des équipes de la discothèque, du serveur à peine majeur à la chargée de vestiaire sexagénaire. Un melting pot de bonne humeur communicative.
La discothèque rouvrira courant janvier
En jetant un coup d'œil dans le rétroviseur, Gérard Samoyau et Yann Siloret sont émus et fiers. Ils ont fait venir de grands DJ, organisé des soirées délurées, la plupart du temps déguisées, dans des décorums ultra-créatifs. Les guests improbables se sont succédés, de Djibril Cissé à Jean-Luc Lahaye, en passant par Francky Vincent. Surtout, Régine est venu adouber le nightclub flérien. "C'était la consécration. Elle a eu 23 discothèques dans le monde entier, et elle a toujours été attentionnée avec nous, nous glissant des conseils dès qu'elle le pouvait."
A l'amorce de cet ultime week-end, les préparatifs ne sont toutefois "pas aussi joyeux" que d'habitude. Yann et Gégé ont bien conscience que l'après sera difficile. Mais arrêter, ou plutôt couper, était une nécessité. "On aimerait bien ouvrir un bar de nuit, ou une paillotte, confient-ils, rester dans le domaine, mais plus se coucher à 9h du matin". En Normandie, en France ou à l'étranger ? Ils ne s'interdisent rien.
Seule certitude, ils ne resteront pas longtemps inactifs. Quant à la discothèque flérienne, elle rouvrira courant janvier, avec un nouveau concept et un nom différent. D'ici là, le Why Not Club ouvre encore deux nuits, pour les derniers adieux avant la fermeture et la nostalgie.