Il y a vingt-cinq ans, un Front de libération kidnappait les nains de jardin : la blague a fait rire et pleurer

Il a longtemps incarné le comble du kitch. En 1996, à Alençon, un mystérieux FLNJ avait entrepris d’enlever les nains de jardin. "On voulait détruire ce symbole du conformisme. On a peut-être produit l’effet inverse". Qui l’aurait cru ? Le nain de jardin est aujourd'hui tendance...

La presse branchée parlerait d'un "retour de hype". L'expression est employée quand un objet "qui incarnait une forme d’horreur esthétique retrouve une nouvelle jeunesse et devient inexplicablement dans l’air du temps". Le nain de jardin est recherché. Au Royaume-Uni, il était même introuvable dans les jardineries, victime de son succès. "Nous n'avons malheureusement pas vu de nains depuis six mois !", déplorait Ian Byrne dans une dépêche AFP datée du mois d'avril. Il dirige un magasin de jardinage, et la pénurie concerne toutes sortes de nains : "plastique, pierre ou céramique".

Les Anglais édictent souvent le bon goût dès lors qu'il est question de jardin. Il n'est donc pas exclu qu'un tel engouement gagne la France, à commencer par la verte Normandie où les pelouses grasses soulignent avantageusement le rouge du bonnet des nains. Le blog Nid douillet qui traite du style au jardin observe que "ces petits personnages hauts en couleurs (...) ont su évoluer avec leur temps pour se débarrasser de leurs oripeaux traditionnels et devenir des figurines à la fois originales et étonnantes". Bref, le nain de jardin - traditionnel ou "pop culture" -  c'est le fin du fin. 

 

Et dire qu'il y a 25 ans, ces petits personnages étaient la risée du pays (et leurs propriétaires avec) quand un mytérieux commando potache kidnappait ces gnomes pour les relâcher en forêt, animé par une conviction : "nous ne sommes pas des voleurs mais des libérateurs". Un documentaire radiophonique de France Culture ravive le souvenir de ce FLNJ, né en 1996 à Alençon, qui a essaimé dans toute la France.

 

Le militantisme potache du FLNJ : "le nain de jardin, c'était un peu l'emblème de ce conformisme qu'on essayait de fuir"

 

"À l'époque, j'ai 20 ans et on s'ennuie ferme", raconte Benjamin, l'un des protagonistes de cette affaire rocambolesque qui n'a rien perdu de sa saveur. "Ce qui nous intéressait, c'était surtout l'interdit", ajoute une de ses comparses de l'époque. En ce début d'été 1996, Alençon sombre dans la torpeur et un petit groupe de jeunes a trouvé comment tuer le temps. 

 

 

Le nain de jardin est la victime toute désignée de ces garnements en mal de sensations. "On n'allait quand même pas entrer chez les gens prendre leur coucou ou leur boule à neige." Dans les jardins proprets de la ville, les statuettes leur tendent les bras. "Depuis, beaucoup ont été scellées, mais à l'époque, ça se cueillait comme des fleurs", sourit Benjamin dans le récit documentaire de Rachel Knaebel qui est disponible sur le site de France Culture. Une complice se souvient : "on attendait qu'il n'y ait plus personne dans la rue. On les prenait et on les cachait dans les garages".

L'été s'étire en longueur. Jean-Marc Seigner assure la permanence à la rédaction de l'Orne Hebdo. "Je fais la tournée des popottes, à la recherche d'une affaire qui aurait un peu de tenant". Il pousse la porte du commissariat, un rituel de localier. Sans le savoir, un inspecteur lâche une bombe : "à moins que tu t'intéresses à un vol de nains de jardin, je ne vois pas ce que tu pourrais te mettre sous le coude." Le malheureux ne sait pas à qui il s'adresse...

 

"J'ai enquêté tout de suite comme un mort de faim", sourit Jean-Marc Seigner qui est aujourd'hui journaliste à France 3 Bretagne. Il traîne dans les bars fréquentés par les étudiants de la ville avec l'espoir de trouver un fil à tirer. Dans ce métier, le manque de chance relève de la faute professionnelle : un beau jour, quelqu'un lui confie qu'un groupe s'est constitué pour dérober "ces pauvres nains pour leur redonner une seconde vie". Le journaliste va croquer dans l'affaire avec gourmandise. 

 

Les nains de jardin ont propulsé la paisible ville d'Alençon dans la lumière : "c'était le buzz avant le buzz"

 

Les membres de ce groupe se prêtent au jeu. "Il fallait qu'on trouve une explication à tout ça. On a réfléchi à un nom, à un concept : on les prend, on les repeint et on va les libérer : donc ce n'est pas du vol". Pour les photos, ils posent avec des masques, des bas sur la tête : "ça a donné une légende à tout ça".

 

Nous avions aussi une dent contre le mauvais goût et contre les choses qu'on considérait comme beauf. Le nain de jardin, c'était un peu l'emblème de ce conformisme qu'on essayait de fuir.

Benjamin, membre du FLNJ

 

L'article paraît en novembre 1996 dans l'Orne Hebdo. En quelques jours, le FLNJ est aspiré dans un tourbillon. L'affaire est reprise par les agences de presse, les journaux, les radios. "Je me souviens que le premier à avoir écrit là-dessus, c'était un quotiden australien", s'étonne encore Jean-Marc Seigner. Des équipes de télé débarquent du monde entier durant tout l'hiver. Alençon décroche son quart d'heure de gloire médiatique. "C'était le buzz avant le buzz", rigole Benjamin. Internet n'existait pas encore...

 

 

Le commando décide alors de "libérer" des nains de jardins lors d'une mémorable conférence de presse clandestine en forêt d'Ecouves. "C'était drolissime" : Jean-Marc Seigner se gondole encore. Benjamin arbore une cagoule sur laquelle est cousue une étiquette avec son nom que sa maman avait peut-être cousue avant une colo... "Nous n'étions que quelques journalistes, tous étonnés par le côté amateur et improvisé". Les membres du FLNJ relâchent donc quelques nains en prenant soin de leur laisser des provisions pour qu'ils puissent tenir le coup. Avec un collier de nouilles, les voilà parés. Le reportage de France 3 Normandie fait l'ouverture du journal national. Tant pis pour le reste de l'actualité.

 

"On voulait détruire ce symbole. On a peut-être contribué à produire l'effet inverse"

 



Le FLNJ fait des émules. Dans toute la France, des groupes se constituent pour kidnapper d'autres nains de jardin. "On a commencé à se dire qu'on finirait par être accusés de vols qu'on n'avait pas commis..." Dans le nord, certains sont pris la main dans le sac et renvoyés devant un tribunal. À Alençon, le Front originel decide de "calmer l'histoire".

 

 

Quelques années plus tard, un nain de jardin crève l'écran dans le Fabuleux destin d'Amélie Poulain. Le film a lui aussi fait le tour du monde. Ces petits personages en céramique (ou en plastique...) jadis moqués sont aujourd'hui regardés avec tendresse. "On voulait détruire ce symbole. On a peut-être contribué à produire l'effet inverse", médite Benjamin...

 

Razzia sur les nains dans les jardineries britanniques

 

Les confinements successifs auraient même renforcé le culte que certains vouent à ces petites créatures. La légende leur prête il est vrai un "rôle de gardiens protecteurs contre les forces maléfiques du monde souterrain", nous enseigne Wikipedia. De là à penser qu'avec la pandémie, le nain au bonnet rouge est élevé au rang d'ange gardien anti-virus, il n'y a qu'un pas.

Nos voisins d'outre-Manche doivent en être plus convaincus que d'autres (ils avient té très choqué en son temps par les agissement du FLNJ). Le nombre des jardiniers en herbe a considérablement augmenté avec les confinements successifs et l'offre en nains de jardin n'a pas suivi. Le blocage du canal de Suez au début du mois d'avril a encore accentué la pénurie. L'AFP souligne que "de nombreux petits gnomes attendent encore d'arriver au Royaume-Uni, enfermés dans leurs conteneurs".

Le nain de jardin serait donc en passe d'être considéré comme un bien rare, donc précieux. Dans le documentaire de France Culture, les propriétaires de nains de jardin qui s'expriment avouent d'ailleurs qu'ils prennent la précaution "de les rentrer tous les soirs. On les met en enfilade dans l'entrée. Dommage qu'ils ne le fassent pas tout seuls. Ils ressortent le matin". On n'est jamais trop prudent. 

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