Les Ehpad coupés du monde : "la pandémie accentue le sentiment d'isolement"

Dans l'Orne, à la Ferrière-aux-étangs, l'Ehpad Sainte-Anne est parvenu à enrayer l'épidémie qui s'était développée en septembre, mais les visites de l'extérieur sont toujours extrêmement encadrées. Le personnel redouble d'efforts afin d'atténuer le poids de la solitude qui pèse sur les résidents.

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Il fait encore nuit noire. De faibles lumières percent à travers les fenêtres d'un grand bâtiment de deux étages. Lorsque les premières aides-soignantes prennent leur service avant l'aube, elles retrouvent les veilleuses de nuit qui ont assuré une présence réconfortante pour les résidents. La réunion de transmission permet de savoir qui a bien dormi, qui ne dort plus. La routine.


La vie a repris son cours presque normal. Les aides-soignantes (masquées) vont passer dans les chambres pour distribuer les médicaments et effectuer des toilettes avant le service du petit-déjeuner. Le virus est parti, mais la menace plane. "On espère qu'il ne reviendra pas !" lâche une des veilleuses de nuit. Chacun croise les doigts pour ne pas avoir à revivre ces jours sombres.

 

 

 

Le traumatisme du confinement

La Covid-19 a été diagnostiquée sur un résident le 16 septembre. Au total, onze personnes âgées ont été contaminées. L'une d'entre elle n'a pas survécu. Pendant trois semaines, il a fallu que chacun garde la chambre, avec interdiction d'en sortir. L'Ehpad Sainte-Anne accueille 112 résidents et emploie 90 personnes. C'est le plus grand établissement de ce type dans l'Orne.


 "Le virus, ça gâche tout", dit une dame croisée dans un couloir derrière son déambulateur. Elle porte sa main au visage avec un air dégoûté et sa voix s'étrangle à la simple évocation du test qu'elle a dû subir. "La campagne de tests systématiques a été traumatisante", admet Sandrine Le Barron, la directrice de l'établissement qui a pris ses fonctions l'été dernier.


Le souvenir de cet épisode donne encore des suées au personnel soignant. Chaque matin, il fallait enfiler une invraisemblable tenue faite de blouse, de surblouse, de charlotte et surchaussures, avec masque, lunettes et visière... La journée de travail dure dix heures. "On avait chaud, c'était épuisant et stressant, confie une aide-soignante. Beaucoup de nos résidents ne comprenaient pas ce qui arrivait".
 


Le virus est désormais hors-les-murs, mais rien n'est encore vraiment normal. Les Ehpad vivent encore coupés du monde. Le procole sanitaire qui leur est imposé interdit toutes les sorties. "Ils ne peuvent pas aller voir leur famille, explique Valérie, une aide-soignante qui termine la distribution matinale de médicaments. Ils sont habitués, il y a le téléphone. Mais le contact physique manque. Et puis c'est long. L'isolement dure depuis le mois de mars. On n'imaginait pas qu'on en serait encore là en décembre". Dans sa chambre, Léone se fait une raison : "Je commence à me dire que je passerai Noël ici. J'ai des petits-enfants que je n'ai pas vus depuis quatre ans. Je me faisais une joie de les revoir. Je crois que c'est râpé".


Le protocole sanitaire encadre aussi sévèrement les visites. Elles ont été totalement interdites pendant le premier confinement. Trois mois, une éternité. "Dès que cela a été autorisé, au début de l'été, on a organisé les rencontres à l'extérieur, sous des tentes, raconte la directrice. Puis les visites ont été de nouveau autorisées dans les chambres". C'est lors d'une de ces visites que le virus est entré dans l'établissement.

 

Des visites en transparence...

"Dès que nous avons pu reprendre les visites, nous l'avons fait. Nous avons conscience que c'est d'une importance promordiale, explique Sandrine Le Barron, "mais il n'est pas possible de les faire dans les chambres. On sait bien que dès que la porte se ferme, le masque n'est pas toujours bien porté. Il y a des embrassades. On le comprend, c'est humain, mais c'est un risque pour la santé des résidents et pour celle du personnel".
 

 


Désormais, les rencontres s'effectuent dans le hall d'accueil. Elles sont réservées aux familles. Deux personnes au plus pendant une heures, sur rendez-vous. Des bénévoles de la Protection civile accompagnent les résidents, font passer les visiteurs devant un détecteur de fièvre, et veillent à ce que les masques soient bien portés.


Un panneau de plexiglas est posé sur les petites tables prévues pour les rencontres afin de faire obstacle aux postillons. Dans le brouhaha ambiant, les appareils auditifs atteignent vite leurs limite et la communication n'est guère aisée. "C'est mieux que rien, on s'adapte", dit un visiteur. Sur le parking, un couple marche vers sa voiture. Ils ont fait 100 km pour une petite heure d'entrevue. "Il vaut mieux ça que rien du tout, dit l'homme venu voir sa maman. "Le premier confinement a été très dur pour elle. Elle n'est plus comme avant. Elle parle moins. On sent que ça ne lui a pas fait de bien".

 

 

 

Les résidents ont un sentiment d'enfermement. Dans un Ehpad comme le nôtre, beaucoup n'ont plus beaucoup de contacts avec le monde extérieur".

Michel Bazin, le président de l'association Ehpad Sainte-Anne.

 


L'établissement a donc fait le choix de développer un programme d'animations dense, "pour que les journées ne se ressemblent pas", explique la directrice.


Les intervenants extérieurs ont donc été autorisés à reprendre leurs activités. Atelier du rire, médiation animale, danse sur fauteuil, chorale : chaque après-midi est occupé. "On ne s'ennuie pas, reconnaît Thérèse, qui dispute une partie de belote avec des voisins de palier. Quand on n'a pas envie d'une animation, on joue aux cartes. Le temps passe vite." La maison ne manque pas d'atouts.


Mais quand la lumière tombe, c'est une tout autre atmosphère qui gagne les couloirs. Derrière son chariot à médicaments, Hélène fait le tour des chambres pour distribuer des petits mots rassurants. "Le soir, ils se retrouvent un peu seuls. Ils nous disent que les soirées sont longues. Et l'hiver, c'est la mauvaise période. Certains ont peur de la nuit. Il y a l'angoisse de la mort."

Le dîner est servi à partir de 18h15. Les rituels du soir s'enchaînent. Hélène borde les lits, éteint les lumières, lance des "bonne nuit !" sonores et souriants. "C'est dommage, avec le masque, on ne voit plus les visages", déplore un vieil homme dans un fauteuil. "Certains sont attachants. Ils nous connaissent bien. Et pour ceux qui n'ont plus beaucoup de famille, la famille, c'est nous", ajoute Hélène. La nuit est tombée. "Avant, il y avait même les petits bisous du soir. Maintenant, ce n'est plus possible". Fichu virus...

 

 

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