"Il faut tenir, même quand on est dans le rouge" : comment ce petit hôpital rural résiste à la crise

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Regards de soignants sur leur métier et les difficultés qu'ils rencontrent dans un petit hôpital ornais, à Argentan ©France télévisions

Avec ses 850 salariés, l'hôpital d'Argentan est l'un des acteurs de la lutte contre la désertification médicale. Mais l'équilibre des services médicaux ne tient souvent qu'à un poste d'infirmière ou de médecin. Comment les soignants vivent-ils leur quotidien ? Quel regard portent-ils sur leur petit centre hospitalier en milieu rural ?

"Pour recruter un médecin, il ne suffit pas de poster une petite annonce" : comment lutter contre la désertification médicale 

Tentative de suicide d'un jeune homme, chute d'une personne âgée désorientée, douleurs abdominales violentes... Au moment des transmissions, l'équipe de nuit résume à l'équipe de jour la prise en charge de chaque patient accueilli. Les soignants, médecins, intervenants du Smur ou infirmières sont réunis.

"Pour la population, ça peut être dramatique"

Aurélie Gouley y participe comme infirmière. Elle travaille aux urgences depuis 10 ans. Et ne s'imagine pas ailleurs. "Dans ce service, on touche à toutes les pathologies, c'est stimulant. L'adrénaline fait tenir. Mais ces derniers mois ont été difficiles à cause des fermetures de lits faute de personnel. Ça met une pression supplémentaire sur l'équipe car les patients sont moins bien installés." 

L'été dernier, le service des urgences a été fermé. Une mesure qui pourrait presque passer pour banale vu le contexte hospitalier général. Mais elle a marqué les soignants argentanais. "

C'est super difficile de voir un service comme celui-ci fermé. Et pour la population, ça peut être dramatique.

Aurélie Gouley, infirmière aux urgences

Pourtant, elle reste. "Je me plais dans ma mission, et on a un bel hôpital, avec des moyens matériels et humains... et j'habite à Argentan, donc j'y suis attachée." Mais pas le temps de s'appesantir. Un nouvel arrivant amené par les pompiers requiert toute son attention. 

"Au quotidien, il y a un manque de personnel"

À quelques pas de là, Christelle Chaumont s'active en soins intensifs. Elle travaille comme infirmière depuis plus de six ans aux urgences d'Argentan, et cumule 17 années de carrière. Son métier, elle ne l'envisage pas comme une vocation, même si elle aime rendre service.

"C'est essentiel pour les habitants d'avoir un centre hospitalier de proximité. Il faut donc tenir, même quand on est dans le rouge. Mais je ne sais pas combien de temps on va y parvenir [...] Au quotidien, il y a un manque de personnel qui a des répercussions sur la charge de travail et sur l'organisation."

Elle s'interroge sérieusement sur son avenir dans le métier. 

Je ne me vois pas ailleurs qu'aux urgences, mais l'exercice m'est devenu insupportable à cause de la dégradation de la prise en charge des patients

Christelle Chaumont, infirmière aux urgences

Angélique Rolland est aide-soignante depuis 18 ans ici, et s'active aux urgences depuis six ans et demi.

Le regard qu'elle porte sur son quotidien est mitigé : "On vient au travail en étant malade parce que si on ne vient pas, il n'y a personne. On est beaucoup dans l'autoremplacement. Ce n’est pas que je ne veuille pas remplacer, mais ce qui me gêne, c'est la façon dont c'est fait : on est des numéros et on est jeté dans d'autres services." Pourtant, elle ne s'imagine pas travailler ailleurs.

Si elle reste, c'est "pour l'équipe, la cohésion de groupe. On a de bons médecins ici, et ils nous valorisent. La gratification des collègues c'est important. C'est bien de se sentir utile. Et les locaux et le matériel sont plutôt adaptés".

Un étage plus haut. En maternité, deux bébés sont sur le point de naître. Parmi l'équipe médicale, Simon Pacary, sage-femme, accompagne les futures mères dans leur travail. Il s'est installé ici après avoir pratiqué en Guyane. Il a posé ses valises à Argentan depuis presque deux ans.

Pourquoi ici, dans une petite maternité de niveau 1 - pour les grossesses et accouchements sans risque particulier ? Pour des raisons personnelles - il a suivi sa conjointe - mais aussi parce qu'il croit en l'utilité de ce type de services de proximité... alors que le rapport de Yves Ville préconise la fermeture des petites maternités, de celles qui font naître moins de 1 000 bébés par an. 

À la maternité, à l'écoute des jeunes mamans

"Je suis originaire de la Manche où toutes les maternités de niveau 1 ont fermé. Je suis contre le regroupement des petites maternités. On peut faire du bon soin partout, il faut une bonne cohésion de réseaux et il faut travailler main dans la main avec les autres structures." 

"Je m'y retrouve complètement ici : on a un bel endroit, il y a de l'entraide, et on a du temps pour discuter avec les patientes. [...] Je viens travailler avec le sourire tous les matins!"

Du temps pour bien faire son travail, pour accompagner les futures mères et leur bébé. Cet argument revient sans cesse lors des échanges avec les auxiliaires puéricultrices, les sages-femmes et les médecins du service. 

S'il y a un arrêt maladie, on est mal.

Khaled Chebbo, gynécologue obstétricien

Le docteur Khaled Chebbo, gynécologue obstétricien depuis 23 ans à Argentan, le revendique " c'est ça la particularité de la maternité d'Argentan : être à taille humaine."

Mais les difficultés de recrutement se font ressentir aussi. "Pour faire tourner notre service il faut quatre médecins, plus les sages-femmes de garde nuit et jour, et les infirmières. Aujourd'hui, nous sommes trois médecins à temps plein et un stagiaire associé. Il va devoir valider ses diplômes et pour notre confrère, le parcours est encore long."

Le recours aux médecins étrangers 

La plupart des médecins de l'hôpital sont des médecins étrangers diplômés en dehors de l'Union européenne. Dans le service, le médecin stagiaire associé est spécialiste au Bénin. Mais avant de pouvoir être recruté et d'obtenir une autorisation d'exercer, il faut compter encore quatre ans.

" Le parcours est très long, c'est pour nous une vraie difficulté. Il y a pourtant des solutions à faire appliquer : on peut demander à de jeunes médecins diplômés de venir travailler deux ans là où il y a des besoins, et les aider financièrement [...] et puis pourquoi pas augmenter le numerus clausus en faculté de médecine. Pour recruter un médecin, il ne suffit pas de poster une petite annonce. C'est pourtant vital pour nous d'attirer des soignants à l'hôpital. "

Que pensent les futurs soignants de l'hôpital ?

Au sein des services, des élèves infirmières ou sage-femme effectuent des stages. Celles en chirurgie, en médecine générale, aux urgences ou en maternité portent un regard différent sur le milieu hospitalier selon leurs aspirations futures. 

Emma, future infirmière, se voit évoluer plus tard à l'hôpital puisque son projet l'amènerait à se spécialiser en anesthésie.

Elle a expérimenté "les jours plus compliqués, ceux où la charge de travail est importante", mais pour elle "c'est un métier de passion."

Côté maternité, Lilya étudiante sage-femme, se projette en libéral parce qu'"on peut y suivre nos patientes jusqu'à la fin, jusqu'à l'accouchement et après. À l'hôpital, c'est frustrant, on n'accouche pas ses propres patientes, et on ne connaît pas toujours son dossier et ses antécédents dans le détail."

Toutes reconnaissent à l'hôpital la variété des soins, des techniques apprises, et le plaisir de travailler en équipe. Lucie, élève infirmière aux urgences, estime que "quand on est en poste, c'est le patient qui doit rester en numéro 1 dans notre esprit, quelles que soient les conditions de notre journée." Ce précepte va-t-il finir par s'éroder à force de se confronter au quotidien ? 

En maternité, Valérie Maurice qui donne son premier bain à un nouveau-né ne parierait pas sur cette érosion. " J'ai toujours rêvé de faire ce métier depuis mes 16 ans. Cela fait 29 ans que je travaille ici et je ne ferais pas d'autre métier."

 

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