Le procès des attentats du 13 novembre 2015 s'est ouvert ce mercredi 8 septembre. Chantal et Philippe Duperron y ont perdu leur fils Thomas. Les deux Alençonnais espèrent que le procès permettra de tourner une page.
C'est un coup de fil qui hantera à jamais leur mémoire, le point de départ de ce qu'ils décrivent tous deux comme un cauchemar. Il est deux heures du matin ce 14 novembre 2015 quand la sonnerie du téléphone retentit. A l'autre bout du fil, Nicolas, l'un de leur fils qui leur apprend que son frère Thomas était au Bataclan. Les deux époux ignorent alors ce qui s'est passé quelques heures plus tôt dans la capitale. "On a allumé tout de suite le téléviseur et on a vu les infos en continu", raconte Chantal Duperron, "Nicolas a essayé de nous rassurer en nous disant : je n’ai pas de nouvelles mais on va le retrouver. Et il a commencé à appeler tous les numéros d’urgence."
Dès 6 heures du matin, Chantal et Philippe quittent Alençon pour Paris. 24 heures interminables de recherche dans la capitale commencent pour ces parents et les amis de leur fils. La seule information dont ils disposent : Thomas est sorti vivant du Bataclan. Mais les nombreux coups de fils passés au ministère de l'intérieur, à la cellule de crise, ne donnent rien. "On nous avait dit d’aller le chercher nous-mêmes, en clair, si on voulait des nouvelles", déclare Chantal. La tournée des hôpitaux ne donnent rien non plus. "Aux Invalides, à l’école militaire, le samedi après-midi, c’était le désordre total, un chaos indescriptible", se souvient Philippe, "On y est retourné le lendemain. C’était beaucoup mieux organisé et on a été pris en charge par des officiers de police judiciaire qui nous ont vite emmenés dans une salle…plus confidentielle."
"C’est un gouffre qui…. C'est indescriptible"
Les minutes qui suivent sont un ascenseur émotionnel. Après quelques coups de fil, les policiers apprennent que Thomas a été admis à l'hôpital Percy Clamart. L'espoir renaît avant d'être immédiatement pulvérisé. Le jeune homme, âgé de 30 ans, est décédé à 4 heures du matin peu après son arrivée. "C’est un gouffre qui…. C'est indescriptible", raconte Philippe. "Ils prenaient les familles les unes après les autres et on entendait….", se remémore Chantal, "On était tous plus hébétés les uns que les autres. On se disait : c’est un cauchemar, ce n’est pas possible. Sachant qu’on vous disait ça sans même avoir revu le corps. On était dans un autre monde."
Un temps long nécessaire
Six années ont passé. Et l'heure du procès est venue. "Il était nécessaire que le temps suffisant s’écoule pour que toutes les recherches minutieuses soient faites et pour que les incriminations soient aussi précises que possible, de façon à éviter que la défense ne puisse utiliser telle ou telle faille", rappelle Philippe Duperron, avocat à la retraite. Ce temps long était aussi nécessaire pour les victimes et leurs familles. "Ce temps est fondamental pour pouvoir ensuite parler. Avant, c’était quasiment impossible", confesse Chantal.
Le seul fait de prononcer le prénom de Thomas était plus que douloureux."
Pour ne pas s'effondrer, les parents de Thomas se sont réfugiés dans le travail. Chantal comme médecin, Philippe dans l'association "13 Onze 15 fraternité et vérité" qui regroupe des victimes des attentats. "Il y a eu une longue période où on ne pouvait pas parler, surtout entre nous et avec aucun de nos enfants et de nos petits-enfants. Le seul fait de prononcer le prénom de Thomas était plus que douloureux. Et chacun de nous veillait à ce que ce ne soit pas le cas", raconte le papa. "Ce qui rend ce processus encore plus compliqué, dans la perte d’un enfant, c’est la violence, la terreur qu’il y a derrière. La maladie, c’est une chose. L’accident, c’est grave. Mais là, ça vous anéantit. Cette terreur, cette violence, ce massacre…", explique la maman.
"Ce travail de deuil se poursuit…jusqu’à ce que nous on s’en aille"
Aujourd'hui, Chantal et Philippe ne s'effondrent plus lorsqu'ils évoquent leur fils disparu. "Le deuil, c’est l’acceptation de ne plus être dans la colère, de ne plus être dans le déni, de dire que la vie va continuer avec ça, que de toute façon ça restera une cicatrice indélébile mais que nous avons désormais la capacité de vivre avec, de parler de ça. Avec toujours, bien sûr, des moments de douleur mais de manière plus sereine, plus apaisée", témoigne le père de Thomas, "Ce travail de deuil se poursuit…jusqu’à ce que nous on s’en aille. Mais progressivement, l’apaisement s’opère, heureusement."
Les deux époux assisteront au procès. "Le tribunal, ce n’est pas un environnement que je connais, je ne suis pas juriste comme Philippe. La salle est particulièrement impressionnante. Pour pouvoir aller témoigner à la barre, il faut qu’on se prépare à ça. On peut le faire maintenant, parce qu’il y a eu ce délai, il y a eu ces cinq ans. Le procès permet ça d’aller dire à la barre en tant que partie civile, comment on ressent les choses et qui était notre fils", indique Chantal.
Porter la parole des victimes
D'autres ne pourront pas assister au procès. "Mon rôle en tant que président de l'association 13 Onze 15 fraternité et vérité, c’est aussi d’être la voix de toutes les victimes, d’abord celles qui justement ne sont plus là pour témoigner, comme Thomas et tous ceux qui ont perdu la vie. Mais aussi certains parents qui n’ont pas survécu : il y a eu des conséquences, des cancers qui se sont déclarés même si la relation n’est pas facile à établir", raconte Philippe, "Il y a aussi toutes les autres victimes qui ne se sentent pas suffisamment fortes pour affronter les accusés dans l'enceinte solennelle d’un tribunal. La douleur les affaiblit encore beaucoup trop pour qu’ils puissent faire cette démarche-là. C’est mon rôle que de porter cette parole."
Dans le box des accusés, ils seront 14 à faire face aux juges et aux parties civiles. Et parmi eux, un seul véritable acteur des attentats - "les autres sont un peu de simples fournisseurs de moyens" - Salah Abdeslam. "Il ne dira jamais rien. Je ne m’attends pas à des révélations, personne n’en attend", indique Chantal. Ce mercredi matin, à l'ouverture du procès, le principal accusé s'est livré, tout comme à Bruxelles trois ans plus tôt, à une profession de foi islamiste alors qu'il était invité à décliner son identité: "J'ai délaissé toute profession pour devenir un combattant de l'Etat islamique".
Un procès source de frustrations ?
Le seul survivant des commandos plongé dans le mutisme, les plus hauts responsables de ce massacre absents, Philippe Duperron en convient, ce procès pourra être source de frustrations pour nombre de victimes. Mais, rappelle cet ancien avocat, "il sera l’occasion d’une révélation publique de la vérité, en tout cas de la vérité judiciaire, celle qui résulte de l’instruction. Les vérités aussi que nous dirons, que diront les témoins, toutes les personnes présentes, les parties civiles. Ça c’est une vérité qui sera rendue publique."
Le président de l'association "13 Onze 15 fraternité et vérité" met également en garde : "Il y a sans doute une autre vérité, peut-être, que certains attendent mais le procès ne sera pas le lieu de cette vérité, c’est la vérité politique d’une certaine manière, celle de la recherche des responsabilités du pourquoi cela s’est il produit et comment n’a-t-on pas empêché ça. Cette vérité a été en partie dévoilée par l’enquête parlementaire puis des articles et ouvrages d’investigation. Cette vérité n’est là n’est pas celle du procès. La vérité du procès, c’est la vérité pénale, encadrée dans cette procédure."
Pour Philippe Duperron, ce procès dépasse en quelque sorte ses protagonistes, accusés et parties civiles. "C’est la Nation qui a été visée dans ces attentats et c’est maintenant la justice de la République qui confronte les auteurs à leurs victimes et qui prononce la sanction qui s’impose dans le cadre des règles légales et d’un procès digne, c'est-à-dire un procès qui se déroule sans éclats, dans la sérénité, où chaque partie a sa place et reste à sa place. C’est en tout cas ce que nous attendons", indique l'ancien avocat.
"il y a une page qui se tournera"
Le procès qui s'est ouvert ce mercredi 8 septembre à Paris doit durer neuf mois. Quelle que soit son issue, il marquera l'histoire du pays et celle plus personnelle de ceux qui y auront participé. "Il y en a qui attendent avec beaucoup d’impatience et d’anxiété le procès. Pour d’autres, c’est finalement une forme de péripétie, ça ne représente qu’une étape dans un parcours", explique Philippe Duperron, "Malgré tout, dans l’esprit de tous, après cette étape, il y a une page qui se tournera, on pourra passer d’une certaine manière à autre chose, si tant est qu’on puisse jamais passé à autre chose dans ces circonstances là. Il restera toujours chez nous l’absence de Thomas, dans l’esprit de ceux qui étaient présents le traumatisme physique et les blessures psychologiques. Tout ça restera mais malgré tout il y a une étape importante qui va se passer."
La maman de Thomas confirme : "Je ne sais pas si on fait le deuil. On avance, on continue d’avancer." Mais si la route est longue, l'horizon semble petit à petit se dégager. "On a eu la chance, parce que c’est une chance, d’être entouré par notre famille, par nos amis. Quand Thomas est parti, on n’a pas pu lui dire au revoir, mais ça allait super bien entre nous.", se souvient Chantal, avec une sorte de soulagement. "Vous êtes toujours en train de vous refaire le film à l’envers : est ce que j’ai manqué des moments ? Là, non. Je pense qu’il y a des familles où il y a des regrets. Nous, dans notre malheur, il n’y a pas de regrets. Il n’y a pas de : si j’avais su, j’aurais fait ça. Ça, avec les années, ça apaise bien."