Certains produits comme la farine profitent d’une hausse forte de la consommation. Le cidre n’est pas de ceux-là : le chiffre d’affaire de certains producteurs s’est effondré de 80%. Les Normands ne sont pas les 1ers consommateurs de cette boisson du terroir.
Ce printemps est décidément spécial. Les fleurs blanches et roses qui ont couvert ces dernières semaines les pommiers des vergers normands ne sont pas la promesse d’une belle récolte. Ni d’une belle cuvée de cidre.
« La future récolte, on souhaite ne pas avoir à la faire et la transformer » déclare Damien Lemasson, producteur de cidre et représentant des producteurs cidricoles normands.
Accepter de perdre une année de récolte serait, dans des conditions classiques, inenvisageable.
Mais aujourd'hui, l'urgence c’est de ne pas avoir à engager de frais pour produire la cuvée 2020.
Trop de stocks de cidre à écouler
Les producteurs de cidre ont leurs stocks sur les bras, et par conséquent n’ont aucune trésorerie.Les petits producteurs fermiers sont 300 en Normandie (ce qui représente 5% des volumes vendus sur le marché français).
« Nos débouchés habituels vers les cafés l’hôtellerie et la restauration fermés depuis 2 mois sont hors-circuit. On ne va pas pouvoir libérer nos stocks et on n’aura ni la place ni les bouteilles, ni les fonds pour assurer la prochaine récolte » , précise Damien Lemasson.
René Pétrich, lui, est à la tête des Vergers de Ducy situés entre Caen et Bayeux. Un domaine qui produit depuis 20 ans du cidre bio et d’autres produits dérivés de la pomme.
« En vingt années, je n’ai jamais vécu cela. Notre activité ne cesse de se développer, cela fait 20 ans que l’on connait une belle croissance. Et là, 50% de notre chiffre d’affaire disparaît d’un coup. »
Une saison estivale perdue pour le cidre fermier
Outre les cafés l’hôtellerie et la restauration, l’un des débouchés majeurs de René Petrich s'est évaporé: la vente aux touristes venus découvrir les sites du Débarquement. L’été ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices.« On était dans les starting-blocks pour assurer la période estivale, où la consommation de cidre est 2 à 3 fois supérieure à la normale. »
Le printemps et l’été sont aussi les saisons des festivals et des mariages, « l’événementiel est un débouché important pour nous, c’est l’une de nos stratégie de développement et ça marche plutôt bien en temps normal » complète Damien Lemasson.
De Beauregard à Rock in Evreux, et de Jazz sous les pommiers au Rush, la plupart des festivals normands est annulée, quant aux mariages la question est souvent en suspens. Autant de débouchés et de visibilité en moins.
Appel à l’aide
Pour éviter que les producteurs de cidre ne disparaissent, ils ont lancé un appel au gouvernement. L’Union nationale interprofessionnelle cidricole (Unicid) demande notamment des allègements de charges.D’autres dispositifs concernent les producteurs industriels, comme la cidrerie du duché de Longueville, détenue par Agrial.
Dans un communiqué, Unicid propose « un retrait de volumes de cidre du marché […] les volumes à retirer sont estimés à 200 000 hectolitres de cidre » , afin de soulager un marché excédentaire.
Les ventes de cidre en grande et moyenne surface ont chuté en moyenne de 20% et ne connaissent pas la même embellie que la bière par exemple.
A l’heure du retour à la consommation locale et au circuit court, cela peut sembler incompréhensible.
Le paradoxe des Normands fâchés avec le cidre?
Damien Lemasson a son explication: « les Normands ne consomment pas de cidre, ou très peu.Les petits producteurs vendent finalement assez peu aux locaux, qui ont une image négative de cette boisson.
Elle est encore vue par les Normands comme « has-been », ou elle est associée aux corvées de ramassage des pommes en novembre.
Auparavant le cidre n’était ni bon, ni élaboré. On peine à se défaire de cette image, alors que la demande est forte hors frontières normandes. »
Damien Lemasson, avant la crise sanitaire, s’était lancé dans des exportations vers Bruxelles.
Le nord de l’Europe mais aussi des villes françaises comme Marseille, Lille et Lyon pointaient leur nez sur le marché des consommateurs.
Le cidre est très apprécié par les anglo-saxons, et notamment par les femmes aux Etats-Unis, où il est bu glacé.
Eviter l'arrachage des pommiers
« L’urgence, c’est de sauver la trésorerie des producteurs et que l’on ne soit pas obligé d’arracher des arbres et de perdre nos vergers, d’autant plus qu’il faut des années pour avoir de beaux pommiers » estime Damien Lemasson.Pour tenir, chacun y va de son drive ou de ses livraisons à domicile. Les ventes ne sont pas suffisamment nombreuses pour compenser la disparition des débouchés auprès de la restauration.
Qu’à cela ne tienne, pour René Petrich des Vergers de Ducy, « toute compensation même minime de nos pertes est bonne à prendre ! »
Lui veut garder le cap :« je n’ai pas baissé les bras, on doit tout tenter pour sauver notre activité, et toute aide est bienvenue. »
Les consommateurs Normands ont peut-être une carte à jouer, ici aussi, pour apporter leur soutien aux producteurs à côté de chez eux.