Dans un rapport remis à l’Académie de médecine, Yves Ville, chef du service de gynécologie-obstétrique de l'Hôpital Necker à Paris, recommande que les femmes n’accouchent plus dans les maternités réalisant moins de 1000 naissances par an. L’enjeu selon lui : la sécurité de la mère et de l’enfant. En Normandie, 10 établissements sont dans le viseur.
C’est un rapport qui vise 111 maternités dits de niveau 1 sur les 452 que compte la France. Ces établissements assurent moins de 1000 accouchements par an. Et aux yeux des 15 médecins-gynécologues auteurs de ce rapport, le risque vital pour la mère y serait accru. En Normandie, cela concerne10 hôpitaux.
Le rapport préconise donc que les futures mères accouchent désormais dans des maternités de niveau 2 et 3. Si ces recommandations étaient suivies, l’Orne pourrait ainsi perdre la totalité de ses maternités : celle d’Argentan, de L’Aigle, de Flers et d’Alençon. Dans l’Eure, seul l’hôpital d’Evreux verrait encore naître des enfants. En Seine-Maritime, dans la pointe de Caux, seul l'hôpital du Havre conserverait une maternité.
"On y pratique moins d'accouchements, on perd en expérience, ce qui est dangereux"
Dans le rapport que nous sommes parvenus à nous procurer, le professeur Yves Ville et les 14 spécialistes qui l’ont rédigé, expliquent que "l’adoption d’un plan de périnatalité ambitieux est une urgence et une priorité de santé publique". Ce plan passe notamment par la réorganisation des maternités.
Les structures effectuant moins de 1000 accouchements sont les plus fragiles en ce qu’elles recourent abondamment à l’intérim et peinent à organiser un service de garde avec des praticiens de la structure.
Yves VillePlanification d’une politique en matière de périnatalité en France : organiser la continuité des soins est une nécessité et une urgence.
En d’autres termes, faute de personnels suffisants, les petites maternités font appel à des soignants intérimaires et se retrouvent parfois dans l’incapacité d’assurer la continuité des soins. Une situation qui amène à la fermeture ponctuelle de ces services dans certains établissements.
C'est ce qui s'est produit à Avranches en 2022. Lire ici
D’après les auteurs de ce rapport, cela augmente le risque pour la santé des mères. Dans les colonnes du Parisien, Yves Ville déclare : "On y pratique moins d'accouchements, on perd en expérience, ce qui est dangereux […] On doit regrouper 100 maternités en France au nom de la sécurité de la mère et de l’enfant. Si on ne le fait pas, on court à la catastrophe."
Le seuil des 1000 accouchements jugé arbitraire
A Fécamp, Richard Lefevre dirige le Centre hospitalier intercommunal du pays des Hautes falaises. Depuis six ans qu’il est à ce poste, la permanence des soins a toujours été assurée : aucune fermeture temporaire n’est à déplorer, ni à la maternité, ni aux urgences. Alors ce rapport l’a surpris d’autant qu’il n’en avait pas connaissance. Il craint désormais pour l’image de son établissement. "Depuis ce matin, nous sommes saisis par les usagers sur les réseaux sociaux. Nous devons rassurer la population".
L’an dernier, dans l’hôpital, les soignants ont accompagné 439 accouchements. Pour Richard Lefevre, ce seuil des 1000 naissances est arbitraire.
En tant qu’établissement de santé, nous sommes régulièrement contrôlés par des experts de la Haute Autorité de Santé. Notre certification doit être renouvelée tous les quatre ans. Quand le niveau de sécurité et la qualité de la prise en charge sont là, la question de la taille de l’établissement n’est pas le sujet.
Richard LefevreDirecteur du Centre hospitalier intercommunal du pays des Hautes Falaises à Fécamp
Pour le directeur de l'hôpital de Fécamp, il faut raisonner au cas par cas, dans une logique de territoire. "Est-ce que dans notre établissement, nous disposons de tous les moyens et de toutes les compétences pour faire ce travail dans de bonnes conditions ? La réponse est oui" conclut-il.
Toujours en Seine-Maritime, à quelques kilomètres de là, près de 600 bébés voient le jour à la maternité de Lillebonne. Une maternité de niveau 1 équipée d’une salle de naissance "nature" pour permettre aux femmes d’accoucher sans péridurale si elles le souhaitent. A l’intérieur, une baignoire et un lit deux personnes pour laisser toute sa place au papa.
Mais en cas d’urgence, lors de l’accouchement, tout est prévu explique Valérie Gillet, sage-femme coordinatrice CHI Caux-Vallée de Seine : "nous travaillons en partenariat avec l’Etablissement Français du Sang pour avoir toujours à disposition des poches de sang. Nous disposons de deux tables de réanimation pour les nouveaux nés. Nous ne manquons ni de gynécologue, ni d’anesthésiste, ni de sage-femme comme dans d’autres structures. Pour éviter les transferts de dernière minute, nous travaillons aussi beaucoup en amont pour dépister les grossesses qui nécessiteraient un suivi dans la maternité de niveau 3 référente - le niveau le plus élevé. Résultat sur 600 naissances en moyenne, seule une vingtaine d’enfants doit être transféré vers une maternité de type 3 lors de l’accouchement".
Ce qui agace cette sage-femme, c’est la méconnaissance des auteurs du rapport pour son métier au quotidien. "Je ne pense pas qu’une sage-femme qui fait 10 accouchements par jour soit plus efficace que nous qui accompagnons, et prenons le temps avec chaque maman"
"On veut mettre des femmes sur la route au moment le plus difficile : celui de l’accouchement."
Le rapport préconise que les femmes n’accouchent plus dans les petites maternités. Mais il n’est pas question pour autant de les fermer. Si les recommandations de ce rapport étaient suivies d’effet, les futures mamans pourraient faire leur suivi prénatal à Fécamp ou Lillebonne mais seraient réorientées vers l’hôpital du Havre, une maternité de niveau 3, pour leur accouchement. Soit au minimum 40 minutes de route. A l’issue de leur accouchement, elles seraient ramenées par transport sanitaire vers leur établissement de proximité pour le suivi post-partum.
Un non-sens Rosine Leverrier, secrétaire de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité. "On veut mettre des femmes sur la route au moment le plus difficile : celui de l’accouchement. Ce n’est pas rassurant pour elles. Et ça ne peut pas être une solution plus sécuritaire."
Pour Rosine Leverrier, qui a déjà connu la fermeture de la maternité de Vire, c’est "la chronique d’une catastrophe annoncée et dénoncée. On ne forme pas assez de professionnels de santé. Puis on les dégoûte de l’exercice de leur métier. Et ensuite, on propose des solutions aberrantes à des problèmes qui n’auraient pas dû se poser" s’agace Rosine Leverrier. "Sans compter, que la grossesse et l’accouchement ne sont pas d’emblée des pathologies. Si on envoie toutes les femmes accoucher dans des maternités de niveau 2 ou 3, le risque c’est de médicaliser à outrance le suivi."
Lors de la fermeture de la maternité de Vire, un centre périnatal de proximité a été installé pour assurer le suivi des grossesses. "Les femmes devaient aussi revenir après leur accouchement" se souvient celle qui se bat pour défendre les hôpitaux de proximité. "Mais depuis, les lits d’hospitalisation ont fermé en maternité. Il ne reste donc plus que les consultations"