Gabriel Attal a dévoilé une dizaine de mesures pour répondre à la crise du système de soins. Parmi elles, une "taxe lapin" pour les patients qui n'honorent pas leur rendez-vous. Une pénalité qui passe mal chez les médecins normands.
C'est une mesure censée "fluidifier l'accès aux soins et récupérer 15 à 20 millions de créneaux de consultations annuels", selon Gabriel Attal. Mais pour une majorité des professionnels de santé, cette annonce est "une immense déception".
"C'est de la poudre aux yeux, c'est désespérant", témoigne Marc Durand-Reville, gynécologue obstétricien à Rouen.
Cinq euros de pénalité
Les contours de cette taxe lapin sont simples : dès le 1er janvier 2025, cinq euros pourraient être retenus aux patients qui n'honorent pas un rendez-vous ou l'annulent moins de 24 heures à l'avance.
Ce sera au médecin de décider s'il applique cette mesure et s'il juge la raison de l'absence valable. Pour Marc Durand-Réville, qui exerce son métier depuis 30 ans, cette nouvelle taxe risque de fragiliser la relation entre médecin et patients.
D'autant que selon lui, les seuls patients qui n'honorent pas leur rendez-vous, sont souvent des personnes aux conditions de vie difficiles.
"Les patients qui ne sont pas bienveillants ou irrespectueux ne sont pas les gens les plus simples, on aura la position de flics, ce n'est pas du tout pédagogique", confie le généraliste rouennais, qui estime qu'il est nécessaire de lutter contre "les lapins", mais pas de cette manière.
C'est un problème de société et de savoir-vivre.
Bruno Burel, vice-président du Syndicat national des médecins du sport santé.
"En faire une histoire d'argent, c'est un faux débat", estime de son côté Bruno Burel, médecin à Rouen et vice-président du Syndicat national des médecins du sport santé. Pour ce professionnel qui compte deux voire trois "lapins" par semaine, le problème n'est pas "un manque à gagner".
"Le fond du problème est que nous sommes débordés, alors quand un patient nous lâche et qu'on a dit non à un autre, c'est énervant."
27 millions de rendez-vous non honorés
Selon plusieurs enquêtes de l'Ordre National des Médecins publiées en 2023, chaque semaine "6 à 10 % des patients ne se présentent pas à leur rendez-vous", ce qui correspond à une perte de temps de consultation de près de deux heures hebdomadaires pour le médecin quelle qu’en soit la discipline et, par extrapolation, près de 27 millions de rendez-vous non honorés par an.
L'objectif de cette taxe lapin serait donc d'instaurer une pénalité de cinq euros à ces patients via une empreinte bancaire par les plateformes de prise de rendez-vous, comme Doctolib ou par les professionnels de santé directement.
Nous voulons garder le meilleur et le plus beau système de santé au monde. Et nous allons y arriver.
— Gabriel Attal (@GabrielAttal) April 6, 2024
Pour continuer de se battre pour lui, nous allons grâce à ces nouvelles mesures reconquérir 15 à 20 millions de rendez-vous médicaux chaque année et simplifier le quotidien de… pic.twitter.com/sass8y4R0O
"Ce ne sont pas cinq euros qui vont régler le problème, 20 euros cela aurait pu faire réfléchir les gens, martèle Michael Cornaire, le président de FMF Normandie (Fédération des Médecins de France). Cette taxe c'est un faux problème. Le vrai problème vient du manque de médecins."
Président de la FMF Normandie et médecin généraliste à Saint-Sébastien-de-Morsent dans l'Eure, Michael Cornaire n'est pas spécialement concerné par ces rendez-vous non honorés. "Dans notre département, on ne prend pas le risque de perdre son médecin."
Les "lapins" : le faux problème
Depuis plusieurs années, il utilise le logiciel "MadeForMed" qui envoie trois SMS aux patients pour leur rappeler leur rendez-vous : une semaine avant, la veille et le jour même. Une démarche suffisante et qui évite les lapins. Pour ce dernier, instaurer une taxe de cinq euros n'aurait donc "aucun sens" et selon lui, les plateformes comme Doctolib, "vont récupérer de l'argent dessus".
Un point de vue partagé par Elodie Masson, médecin généraliste à Quévreville-la-Poterie (Seine-Maritime). Elle en est certaine : "cet argent n'ira pas dans notre poche". "Les lapins ne sont pas le vrai problème, moi je veux des meilleures conditions de travail avec une revalorisation des consultations", fustige-t-elle.
La hausse provisoire de 1,5 euro accordée par le gouvernement au printemps dernier avait permis de porter le tarif de consultation des médecins, inchangé depuis 2017, à 26,50 euros. Une somme insuffisante pour une majorité de généralistes, dont Elodie Masson, désignant l'inflation.
"Cette taxe ne va pas régler le problème des déserts médicaux, il faut payer les médecins à leur juste valeur, revaloriser les consultations pour attirer de nouveaux généralistes", poursuit Bruno Burel, le vice-président du Syndicat national des médecins du sport santé.
Des annonces qui ulcèrent les syndicats
En plus de la taxe lapin, Gabriel Attal a annoncé d'autres mesures afin de "garder le meilleur système de santé au monde". Il a notamment indiqué vouloir "expérimenter" dans 13 départements "l'accès direct" aux masseurs-kinésithérapeutes, prévu par la loi Rist, mais aussi l'accès direct à des médecins spécialistes, sans que le patient n'ait besoin de passer par un généraliste.
"C'est nier le rôle du médecin traitant. Le gouvernement prend tout à contre-pied et dynamite le parcours de soins", revendique Richard Talbot, médecin généraliste à Saint-Hilaire-du-Harcouët (Manche).
Face à ces mesures, les syndicats sont rapidement montés au créneau, au risque de torpiller les négociations tarifaires en cours, centrales dans le système de santé français.
Cinq syndicats sur six ont annoncé qu'ils "suspendaient" les négociations en cours avec l'Assurance Maladie, tandis que le dernier, le modéré CSMF (Confédération des syndicats médicaux français), accusait le gouvernement d'avoir "saboté" le processus.