Le 29 juin 2021, au terme de deux ans de débat, l’Assemblée nationale a définitivement adopté l’extension de la procréation médicalement assistée aux femmes en couple ou célibataires. Un soulagement, même si certaines continueront de se tourner vers d’autres pays européens.
A 33 ans et 34 ans, pas question pour Natacha et Sabine de redémarrer un parcours de procréation médicalement assistée en France. Les deux femmes se sont tournées vers la Belgique en 2018. « Nous nous connaissons depuis nos 15 ans. L’envie d’un bébé est venue assez naturellement » confie Natacha, qui portera l’enfant. « Quand nous avons commencé à nous renseigner, la France n’avait pas encore accepté la PMA pour les couples de femmes. Comme nous habitons Arques-la-Bataille, aller en Belgique était moins coûteux que l’Espagne. Nous avons eu un rendez-vous en à peine trois mois ».
A Bruxelles, dans la clinique de fertilité qu’elles ont choisie, les deux trentenaires sont reçues par un médecin et un psychologue, qui leur expliquent le protocole et les questionnent sur leur projet. « Nous avons été très bien reçues. Nous n’avons pas été jugées » se souvient Sabine. Après avoir obtenu l’aval du corps médical quelques mois plus tard, le couple retourne en Belgique pour une première insémination artificielle, qui sera suivie par sept autres tentatives.
Organiser l’imprévisible
« Chaque fois, nous partons toutes les deux. Chaque fois, c’est trois heures et demie de route pour vingt minutes sur place. Nous entrons dans une salle. Le médecin fait l’insémination artificielle et nous repartons en France » détaille Natacha. Des rendez-vous toujours imprévus, fonction du cycle de la jeune femme. « Pendant la semaine qui entoure l’ovulation, je me rends chez mon gynécologue tous les deux jours. Echographie, prise de sang… et quand c’est le bon moment, nous partons. Demain, nous pouvons être en Belgique » ironise-t-elle.
Tenter un parcours de PMA à l’étranger, cela implique de ne pas pouvoir prévoir quoi que ce soit. De dire non à des invitations. De prendre ses rendez-vous professionnels avec son calendrier hormonal. Parfois, il m’a fallu faire un test d’ovulation à 3h du matin, pour partir en direction de la Belgique, une heure plus tard.
Et Sylvie* sa conjointe, avec qui elle habite dans le Calvados, d’ajouter « Tout en sachant, qu’un centre de PMA avec de bons résultats se trouvait à quatre kilomètres de chez nous mais ne nous était pas ouvert. J’ai regretté que la France ne soit pas à la hauteur à ce moment-là ». Avec Louise, elles ont fait le choix de ne pas en parler à leur employeur mais il a fallu souvent jongler avec leur emploi du temps. « Pas facile de dire à son responsable le matin même : je ne viens pas ce matin »
Un parcours coûteux
En Belgique, tout comme dans les autres pays européens qui autorisent la PMA aux femmes en couple ou célibataires, les frais médicaux engagés ne sont pas remboursés pour les ressortissantes françaises. « Avec nos huit tentatives d’insémination artificielle, nous avons déjà déboursé près de 4 500 euros, sans compter les aller-retours, les péages et les frais de nourriture. Désormais, nous nous engageons dans un projet de fécondation in vitro : ce sera 10 000 euros pour la première tentative, puis 500 euros chaque fois, en cas d’échec. »
« Il y a une forme d’injustice sociale » reconnaît Louise. « Nous avions de l’argent de côté. La banque a accepté de nous faire un prêt mais certaines femmes ont opté pour des parcours moins sécurisés faute de moyens financiers suffisants pour entamer une PMA ».
Un combat juridique
Jeanne est née un jour de mai 2016. Une grande joie bien sûr pour le couple. Mais le début aussi d’un autre parcours, juridique cette fois, pour que Sylvie soit reconnue comme le parent de l’enfant.
A la naissance de la petite, je n’avais aucun droit. Pendant un an, je me suis donc promenée avec une lettre écrite par Louise disant qu’elle m’autorisait à faire hospitaliser Jeanne si nécessaire. C’était un moment compliqué pour moi. A côté, la Belgique, ce n’était rien. J’étais reconnue par mon entourage en tant que maman, mais pour le quotidien, je n’étais pas une référence.
Six mois après la naissance de l’enfant, accompagnée par un avocat, Sylvie a déposé un dossier pour adopter sa fille. « J’ai reçu un courrier quelques mois plus tard dans la boîte aux lettres me disant que j’étais bien le parent légal de Jeanne. C’est comme s’il m’avait fallu justifier d’être sa mère alors que je le ressentais depuis le début »
Désormais une PMA en France ?
Pour Louise, 45 ans, et Sylvie, 55 ans, la question n’est désormais plus d’actualité. Mais elles l’avouent : malgré le vote de la loi en juin dernier, elles seraient sans doute rester en Belgique pour un second enfant.
Le point sur l'extension de la PMA en France à toutes les femmes dans cette animation.
« Je pense qu’il y a des femmes qui vont continuer à aller dans d’autres pays car les délais de prise en charge vont être très longs » justifie Sylvie. « Les dons de sperme et d’ovocytes restent limités en France. Il y a un tabou sur cette question. A Gand, en Belgique, les centres de fertilité organisent des campagnes de recrutement de donneurs à l’université, en allant voir les étudiants et en leur proposant de prendre un rendez-vous. Ce n’est pas le cas en France. »
Un avis que partagent Natacha et Sabine. « Nous aimerions bien revenir en France. Mais s’il faut reprendre tout le protocole à zéro, ce sera trop long. Sans compter la faiblesse des stocks » conclut Sabine. « Avant le vote de la loi, nous nous sommes renseignées auprès d’un centre de PMA privé » ajoute Natacha. « Il nous a été clairement dit que nous ne serions pas prioritaires et que les couples hétérosexuels passeraient en premier ».
Recruter de nouveaux donneurs
Des propos que contestent en partie Nathalie Rives, responsable du Centre d’études et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) de Rouen. « La prise en charge des couples sera la même, qu’il s’agisse d’un couple hétérosexuel ou homosexuel. Il n’y aura pas de priorisation ».
Retrouvez l'intégralité de l'interview de Nathalie Rives dans cette vidéo.
Mais cette spécialiste normande de l’aide médicale à la procréation (AMP) le reconnaît. « Nous sommes impatients d’accueillir ces nouvelles patientes. Mais nous sommes aussi dans l’attente des moyens qui nous seront alloués pour éviter une augmentation des délais d’attente pour les couples infertiles et les nouvelles demandes. »
Dans les pays qui ont élargi la PMA aux couples homosexuels et aux femmes seules, les délais d’attente ont été en moyenne multipliés par trois. Un chiffre que confirme Nathalie Rives. « Les demandes que nous avons déjà reçues dans les centre d’AMP confirment d’ailleurs cette tendance » ajoute-t-elle.
Outre l’extension de la PMA pour toutes, la réforme de la loi bioéthique prévoit la levée partielle de l’anonymat des donneurs. Dans les pays qui ont appliqué cette mesure, une baisse momentanée du nombre de volontaires a été observée. Là encore, Nathalie Rives relativise : « Cette disposition n’entrera en application qu’un an après la promulgation de la loi [ndlr : 2 août 2021].Dans cette intervalle, il va nous falloir recruter de nouveaux donneurs. »
*Les prénoms ont été modifiés