Le sentiment d'insécurité en milieu rural serait-il plus important que l'insécurité elle-même ? C'est en tout cas le constat du commandant Gambini, de la compagnie de gendarmerie départementale d'Yvetot (Seine-Maritime). Si certains indicateurs sont en hausse, lui estime qu'il est important de ne pas céder à la psychose.
Les médias en font souvent leur une : les faits de délinquance quitteraient le bitume pour les champs. Pour Cyrill Gambini, commandant de la compagnie de gendarmerie départementale d'Yvetot, ce sentiment d'insécurité est en effet récurrent dans les campagnes, mais il n'est pas forcément justifié. Décryptage.
"Notre travail est aussi de rassurer"
France 3 Normandie : Sur le terrain, constatez-vous une augmentation du sentiment d'insécurité de la population ?
Commandant Cyrill Gambini : Je ne sais pas si le sentiment d’insécurité augmente, mais je le sens un peu plus prégnant. Les gens le manifestent de manière un peu plus ostensible qu’auparavant. Je crois que l’on a un environnement de plus en plus médiatisé, des faits de plus en plus rapportés... Une intensité d’information qui peut générer un stress. Mais j’ose espérer que notre action réduit ce sentiment-là, en luttant contre la véritable insécurité.
Citoyens inquiets, politiciens... On entend parler de l'augmentation de l'insécurité même en milieu rural. Qu'en pensez-vous ?
Si l'on parle de manière quantitative, ce n’est pas forcément justifié. C’est vrai qu’on reste sur des volumes de délinquance qui restent encore assez bas sur les zones rurales. Après, si on parle d’évolution, effectivement, ça peut prêter au vertige. On peut penser à des hausses de plus de 100% de certaines infractions. Ceci dit, passer de 1 à 2 ou à 3, c'est multiplier par 2 ou 3 un chiffre qui était déjà très faible. Par exemple, si cette année il y a eu un cambriolage dans une commune alors qu'il n'y en avait pas eu auparavant et qu'il n'y en aura peut-être pas dans les années futures. Il faut faire attention avec les évolutions. Donc je préfère parler de quantité, de volumes réels constatés, plutôt que d’influence sur certains items.
Auparavant, on craignait d’être surveillé. Aujourd’hui, on a besoin de se sentir protégé.
Cyrill Gambinià France 3 Normandie
N'avez-vous pas l’impression de traiter plus le sentiment d’insécurité que l’insécurité elle-même ?
Notre travail est aussi de rassurer. Lutter contre les infractions, rechercher les auteurs et les présenter à la justice, mais aussi rassurer. C’est d’ailleurs notre premier métier : prévenir. La patrouille, la visibilité sur la voie publique, c’est notre première fonction. Et c’est ancré dans l’ADN de la gendarmerie. S’agissant de la vidéoprotection, on a évolué sur l’idée d’être vidéoprotégé. Auparavant, on craignait d’être surveillé. Aujourd’hui, on a besoin de se sentir protégé.
Quelle est l’évolution de la délinquance sur les 101 communes de la circonscription d’Yvetot ?
Elle a eu une évolution en dents de scie, puisqu’on a eu le Covid et le confinement et donc une forte chute de l’ensemble de la délinquance. Après le Covid, on a eu une augmentation de certains items, notamment les violences intrafamiliales et les violences sexuelles. Mais c’est une tendance nationale.
Sur la circonscription d’Yvetot, il y a un peu plus de vols et de cambriolages, mais ça reste relatif. On reste sur des volumes supportables et normaux, pour une population qui grandit. Si on met en balance l’évolution démographique et celle de nos chiffres, on constate qu’on a une augmentation de la population, et donc fatalement une hausse de la délinquance.
"On ne peut plus vivre naïvement"
La délinquance des villes commence-t-elle à investir les campagnes ?
On constate déjà un changement des flux, notamment les flux d’installations des gens. On a plus d’installations dans les campagnes plutôt qu’en ville. Forcément, ça s’accompagne d’une certaine délinquance, d’une certaine envie d’aller voir si l’embourgeoisement de certaines communes permettrait d’aller voler, pour les cambrioleurs, ou de s’approprier certains biens pour les opportunistes. Il y a à la marge ce phénomène-là. Mais on reste plutôt serein dans nos campagnes.
Je sais qu’on ne peut plus vivre naïvement. Auparavant, les gens n’y pensaient pas forcément. On était capable d’aller voir son voisin ou de faire ses courses sans fermer la porte de sa maison. Aujourd’hui, il faut être moins naïf et s’assurer d’une certaine sécurité. Mais se protéger, ce n’est pas vivre en insécurité. C’est juste se prémunir ou en tout cas ralentir la commission d’un fait ou d’un délit. Aujourd’hui, les communes au sein de nos campagnes, en tout cas en Seine-Maritime, sont relativement calmes et préservées des vols et de la délinquance en général.
On doit s’alarmer de certains phénomènes, on doit s’en prémunir et les prévenir, mais il ne faut pas non plus céder à la psychose.
Cyrill Gambini
Comment expliquer, si l’insécurité est basse, qu’on ne se sente pas totalement en sécurité ?
Il y a déjà l’impact. Un fait au milieu d’un village va avoir plus d’impact qu’un fait au milieu d’une ville. Les gens vont penser que ça peut arriver chez eux, et ça peut générer ou favoriser ce sentiment d’insécurité qui n’est pas forcément la réalité. On doit s’alarmer de certains phénomènes, on doit s’en prémunir et les prévenir, mais il ne faut pas non plus céder à la psychose, et se dire que ce qu’il se passe à un endroit en France va se généraliser à l’ensemble de la France. Il est important d’apaiser le débat.
Quid du trafic de stupéfiants ?
La consommation a tendance à augmenter. C’est lié à la transition de population. Le fait que les gens de villes viennent d’installer au sein de petites villes de campagne ou de villages. Leurs habitudes de consommation, forcément, sont exportées dans les campagnes. Ceci dit, on n’a pas de réseaux de trafiquants aussi ostentatoires que ce qu’on peut imaginer en ville avec un dealer, un guetteur, des no man’s land. Déjà, ce serait tout de suite visible. Les points de deal sont plus compliqués à installer.
"Ça peut faire peur d’aller voir le gendarme"
Estimez-vous que la population dépose davantage plainte qu’avant ?
On a beaucoup parlé de la libération de la parole dans le cadre des violences intrafamiliales et des violences sexuelles, avec le mouvement #MeToo. On a aussi augmenté les outils permettant d’aller déposer plainte. Il y a le traditionnel dépôt de plainte où l'on se présente au commissariat ou en brigade. Mais on a aussi accès, maintenant, à des applications sur smartphones et tablettes comme la brigade numérique, et à la préplainte en ligne.
On peut signaler des faits depuis chez soi, et je pense que cela facilite la démarche, qui parfois pouvait en dissuader certains. Ça peut faire peur d’aller voir le gendarme, alors que par écran interposé, il est plus facile d’apporter les éléments dont on se sent victime. On le voit avec la brigade numérique : si ce n’est pas la victime, c’est le témoin qui va signaler. Ça permet à la gendarmerie de s'en saisir.
On parlait de quantité. Ça peut augmenter la quantité de faits constatés, ce qui ne rime pas forcément avec une hausse de la délinquance : cela conduit à la révélation d’une délinquance déjà existante.