Un médecin du pays de Caux a été mis en examen pour administration de substance ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Sa femme médecin anesthésiste est aussi mise en examen. Le couple est poursuivi suite à la saisie de médicaments utilisés pour la sédation profonde.
La maison médicale d'Angerville la Martel, dans le bassin fécampois, est au coeur d'un drôle d'épisode macabre.
D'après une longue enquête menée par nos confrères de Paris Normandie, la justice soupçonne un de ses praticiens d’avoir, dans le cadre de soins palliatifs, administré à ses patients du midazolam. Il se serait procuré ce puissant médicament anxyolitique et sédatif par le biais de son épouse, médecin anesthésiste-réanimateur.
D’après une source proche de l’enquête, l’affaire a été révélée par une association locale d’aide au maintien à domicile. Une infirmière a constaté la présence d’une ampoule de midazolam près d’une patiente de 93 ans et a averti sa directrice, qui elle-même a fait un signalement en décembre 2017 au procureur de la République du Havre et à l’Agence régionale de santé de Normandie.
Cette patiente est décédée le 17 decembre 2017.
Le Dr Jean Méheu-Ferron a donc du arrêter ses tournées de médecin de campagne qu'il assurait depuis une trentaine d'années.
Sur ordre du juge de la Cour d'Appel, le praticien normand et son épouse ont désormais « une interdiction totale » d’exercer leur métier.
Le mardi 12 novembre dernier, il a été placé en garde à vue en tout début de matinée pour répondre aux questions des gendarmes de la Section de recherches (SR) de Rouen et de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP).
Une enquête longue et fastidieuse
Après de longs mois d’investigations menées dans le cadre d’une enquête préliminaire dirigée par le procureur de la République du Havre, les gendarmes avaient enfin réuni suffisamment d'éléments pour procéder à l'interrogatoire du généraliste, à propos de ses pratiques professionnelles.Sa femme, le Dr Isabelle Méheut-Ferron, médecin anesthésiste-réanimateur en clinique, a également été placée en garde à vue ce 12 novembre.
Au coeur des soupçons des enquêteurs, des traitements que le couple de médecins séxagénaires auraient administré à leurs "vieux" patients.
Pour la plupart gravement malades et en fin de vie, ils auraient ainsi été traités à l'aide d'un anxyolitique sédatif : le midazolam.
Toujours selon les informations recueillies par le quotidien normand, ce médecin de famille aurait joué un rôle actif. Mais, c'est bien son épouse qui aurait fourni le médicament, disponible uniquement en pharmacie hospitalière ou en clinique.
Selon le Parquet du Havre, elle aurait reconnu avoir prélevé ces ampoules dans le stock de la clinique où elle travaillait pour les remettre à son mari.
13 ampoules de ce médicament ont aussi été découvertes lors de la perquisition au cabinet du médecin.
En fait, le médecin de famille aurait dans cette hypothèse outrepassé ses droits et ses compétences. En France, les protocoles de soins de fin de vie et de soins palliatifs sont très encadrés, et il est toujours interdit de s’affranchir des dispositions légales.D’après une source judiciaire, le Dr Jean Méheut-Ferron a déclaré devant les enquêteurs avoir agi de la sorte, dans le cadre de soins palliatifs, pour « soulager les malades, les accompagner au mieux dans leur maintien à domicile et soulager aussi d’une certaine manière l’entourage des patients. Mais il réfute toute pratique d’euthanasie. »
Le Dr Méheu-Ferron n’avait donc à priori pas le droit d’utiliser le midazolam dans le cadre où il l’a fait. Ses actes ne seraient ainsi pas conforme aux textes et à la pratique médicale habituelle.
Son épouse, en dépit de sa qualité d'anesthésiste, n’avait pas non plus le droit de lui donner ce produit.
Désormais, les investigations se portent sur le lien de cause à effet entre l’administration de cette molécule et le décès de certains patients. De leur résultat dépendra la qualification exacte des faits par la justice.
Sept cadavres exhumés pour confirmer la présence du midazolam
Toujours selon Paris Normandie, la justice aurait déjà procédé à une série d’exhumations dans des cimetières de la région cauchoise. Les cadavres de sept anciens patients du médecin de campagne auraient ainsi été déterrés pour procéder à des prélèvements.A priori, les premières analyses anatomopathologiques auraient ainsi révélé la présence de midazolam chez cinq d’entre eux.
« Le Dr Méheu-Ferron ne conteste pas avoir administré ce produit à des patients, son épouse ne conteste pas également lui avoir fourni cette molécule. Elle lui a donné parce qu’elle connaît ses qualités humaines et professionnelles, et l’usage qu’il faisait du midazolam », déclare Me Guillaume Routel, l’avocat des deux médecins.
Le Dr Méheut-Ferron conteste absolument que le midazolam a pu entraîner la mort. Dans cette affaire, poursuit l’avocat, on aborde la très délicate question de la fin de vie et du maintien à domicile des personnes âgées, dont l’état de santé est très dégradé, qui veulent rester chez elles.
Le couple de médecins risque la cour d'assises
Depuis le 13 novembre 2019, une information judiciaire est donc ouverte et les investigations confiées à un juge d’instruction.
Le Dr Jean Méheu-Ferron est mis en examen pour « administration de substance nuisible ayant entraîné la mort sans intention de la donner à une personne vulnérable », « acquisition ou cession dans le cadre d’une activité réglementée de substance vénéneuse sans justificatif ou enregistrement conforme » et « prescription non conforme ».
Le Dr Isabelle Méheut-Ferron est, elle, mise en examen pour « complicité d’administration de substance nuisible ayant entraîné la mort sans intention de la donner à une personne vulnérable », « acquisition ou cession dans le cadre d’une activité réglementée de substance vénéneuse sans justificatif ou enregistrement conforme » et « abus de confiance ».
Selon le Code pénal, le couple de médecins risque la cour d’assises et encourt jusqu’à vingt années de réclusion criminelle.
Aujourd’hui, ils demeurent présumés innocents.
Aucune des familles de patients décédés suivis par le Dr Jean Méheu-Ferron n’aurait encore déposé plainte.