Fermeture des urgences de Lillebonne et Fécamp : à l'hôpital du Havre, les agents compensent et ils ont "la tête sous l'eau"

Les portes des urgences de Lillebonne (Seine-Maritime) sont encore fermées dès 20 heures ce jeudi 24 octobre 2024 et jusqu'à vendredi, 8h30. Celles de Fécamp ont, elles, annoncé quatre nuits de fermeture. Une situation qui suscite la colère des syndicats de soignants du Havre, qui doivent absorber le flux de patients de leurs voisins.

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C'est une situation qui a comme un goût de déjà-vu : les urgences du Centre hospitalier intercommunal Caux Vallée de Seine, à Lillebonne seront fermées ce jeudi 24 octobre dès 20 heures et jusqu'à vendredi, 8h30.

Celles de Fécamp clôtureront leurs portes les nuits du 28, 29, 30 et 31 octobre, en raison d'une pénurie de médecins. Il faudra donc appeler le 15 pour toute urgence...

Le centre hospitalier de Lillebonne précise, sur les réseaux sociaux, que l'accueil des femmes enceintes reste assuré à la maternité, évoquant simplement une "organisation temporaire" de son service d'urgences.

Même chose pour le Centre hospitalier intercommunal du Pays des Hautes Falaises, à Fécamp. Tous deux font partie d'une entité, le GHT (Groupe hospitalier de territoire) de l'Estuaire de la Seine, dont le groupe hospitalier du Havre est le support.

"On est tous des maillons de la chaîne à l'hôpital"

Problème : c'est loin d'être la première fois que l'absence de médecins contraint les services des urgences de Lillebonne et de Fécamp (entre autres) à fermer leurs portes.

Rien que l'été dernier, trois hôpitaux du GHT de l'Estuaire de la Seine (ceux de Lillebonne, Fécamp et Pont-Audemer) avaient conditionné l'accueil des patients à un appel au 15, compliquant leur accès aux soins d'urgence.

Et redirigeant un important flux de patients vers le groupe hospitalier du Havre, qui est sous pression.

Jennifer Dumont-Bouder est cosecrétaire générale du syndicat mixte CGT-GHH de l'hôpital du Havre. Elle assure que ses collèges sont "au bout du rouleau". "Cela fait maintenant des mois, voire des années, qu'ils alertent sur la situation des urgences de l'hôpital du Havre. Déjà que nous accueillons à moyens constants un surplus de patients, alors quand les urgences aux alentours ferment, privées ou publiques, on ne peut pas pallier les fermetures qui s'accumulent..."

"La réponse de la direction, c'est de créer un pôle interurgences pour gérer la crise, reprend Jennifer Dumont-Bouder. Des travaux de restructuration des urgences du GH du Havre sont dans les clous depuis une dizaine d'années."

Nos collègues des urgences n'en peuvent plus. De plus en plus parlent de tout balancer à la poubelle et de changer de vie professionnelle. Alors que quand on est soignant, en général, c'est par vocation.

Jennifer Dumont-Bouder

à France 3 Normandie

Ces derniers consisteraient à agrandir le service, en créant de nouvelles salles d'attente, par exemple. "C'est bien, mais ils ne prévoient pas d'embauches supplémentaires. On va s'agrandir, on aura plus de place, donc plus de surface à traverser, impliquant une charge de travail supplémentaire pour nos collègues agents du bio nettoyage, par exemple... Cela va se ressentir sur toutes les professions. On est tous des maillons de la chaîne à l'hôpital. Quand il y en a un qui casse, ça met le bazar partout. C'est le serpent qui se mord la queue."

Un préavis de grève depuis plus de trois mois au Havre

Sur la situation - critique - de l'été dernier, Jennifer Dumont-Bouder ajoute que le service des urgences de la clinique des Ormeaux du Havre a, lui aussi, été ponctuellement fermé.

"Il a fallu absorber toute cette activité. On est l'établissement support du GHT, ce n'est pas nous qui allons fermer. Nous ne sommes pas dupes : la pseudo-création de pôle interurgences va conduire à devoir partager l'activité médicale avec ces plus petits établissements."

A la création du GHT, on a alerté, dit "attention, à force d'accepter ce genre de choses, il est fort possible qu'on nous demande à nous, agents, d'être polyvalents sur ce genre d'établissements". Ils n'embauchent pas et lorsqu'ils le font, c'est essentiellement en CDD. Les non-permanents acceptent davantage de choses... Et c'est un engrenage sans fin.

Jennifer Dumont-Bouder

à France 3 Normandie

Du côté de la CGT-GHH, un préavis de grève est toujours en cours depuis le 15 juillet. "Forcément, les agents se mettent en grève lorsqu'ils peuvent parce qu'ils sont de toute façon assignés automatiquement. On est en sous-effectifs... Et on est en période de vacances scolaires. Donc aucune mobilisation supplémentaire particulière n'est prévue pour le moment. Mais les agents ont la tête sous l'eau", conclut Jennifer Dumont-Bouder.

La fermeture des urgences, simple symptôme d'une problématique plus vaste

Que disent ces fermetures régulières des services d'urgence de l'état de la santé en France ? "L'hôpital est à l'os, et l'Etat ne fait rien pour arranger la situation, répond François His, secrétaire départemental de la CGT Santé Action Sociale. Les urgences étaient déjà en grève avant le Covid. Pour rappel, c'est même pour cela qu'Agnès Buzyn avait sorti le porte-monnaie avec sa prime de 118 euros bruts pour calmer les professionnels qui dénonçaient leurs conditions de travail."

La fermeture des urgences dans ce secteur, c'est une mise en danger de la population : plus l'on met un frein à l'accès aux urgences, donc aux soins, plus l'on surcharge l'hôpital support, à savoir le groupe hospitalier du Havre, et moins la qualité des soins sera bonne. Ce qui n'est pas la faute des soignants.

François His

à France 3 Normandie

Les conséquences de ces fermetures des services des urgences ainsi que des lits sont tangibles : le temps d'attente à l'hôpital explose, les patients sont invités à regagner leur domicile sans avoir bénéficié de soins ou, le cas échéant, attendent parfois "48h, 58h" sur un brancard.

À lire aussi : "Les patients dorment dans les couloirs" : les urgences de l'hôpital en souffrance, les soignants en grève depuis un mois

Cela ne relève plus d'une exception malheureuse, mais "d'une réalité, dans toute la France". "On a un PRS 2023-2028, un plan régional de santé, mis en place par l'Agence régionale de santé. Il s'agit d'une feuille de route. Celui-ci implique un partenariat privé-public donc une mutualisation des moyens, sauf que ce n'est pas efficient."

"Le système est à bout de souffle, dénonce François His. Dans ce PRS, afin d'éviter l'engorgement des urgences, on développe l'hospitalisation à domicile, par exemple. Au sujet des fermetures de lits dans les SMUR, on met en place une unité mobile d'intervention, composée d'un binôme ambulancier-infirmier. Ce sont de petits pansements, qui ne traitent pas le problème de fond."

Un manque d'attractivité des métiers du soin

Comment regagner des effectifs ? En embauchant. Mais là encore, la situation est critique. Les métiers du soin souffrent d'un manque d'attractivité. "Les professionnels ont-ils envie de rester ? Pas forcément, à partir du moment où on ne leur propose pas de réel plan de carrière", souligne le syndicaliste.

Dans la fonction publique hospitalière, ce dernier passe en principe par un emploi temporaire, puis une durée de stage d'un an avant une titularisation, qui permet notamment de débloquer des primes. Aujourd'hui, ce plan est remplacé par des embauches en CDD ou CDI, moins avantageuses.

La pression perpétuelle, les moyens amoindris et la charge de travail plus dense n'aident pas. D'autant que "le privé ne joue pas le jeu". "Le privé touche de l'argent public. Mais les cliniques conservent ce qui rapporte. Une opération chirurgicale, ça rapporte", résume François His.

Lillebonne et Fécamp sont des secteurs démunis lorsque les urgences ne fonctionnent pas. On déshabille Paul pour habiller Jacques, sauf que Jacques ne peut pas accueillir tout le monde.

François His

D'autre part, "on souffre d'une multiplication de ministres de la Santé. Comment voulez-vous construire quelque chose sur le long terme ? François Braun avait demandé aux Français d'appeler le 15 avant de se rendre aux urgences. Force est de constater que ça ne fonctionne pas : elles sont toujours engorgées. D'autre part, on a mis en place le Service d'accès aux soins, le fameux SAS. C'est un médecin qui vous répond... S'il joue le jeu, il y aura moins de patients aux urgences. Si non, cela ne changera rien."

"Que l'on mette tout le monde autour d'une table"

François His rappelle également l'impact sans précédents du Covid sur l'organisation de l'hôpital public. "Durant cette période, bon nombre de professionnels ont outrepassé leurs tâches et heureusement, c'était une crise sanitaire sans nom. Tout le monde a donc mis la main à la pâte. Qu'en a-t-on tiré comme conséquences au gouvernement ?"

"Juridiquement, rien de grave n'est remonté à la surface. Donc, ils ont déduit qu'une infirmière pouvait faire le travail d'un médecin, qu'une aide soignante pouvait faire celui d'une infirmière, qu'un agent de service hospitalier pouvait faire celui d'une aide soignante, etc. Les urgences n'échappent pas à cette règle."

Il estime que l'urgence réside désormais dans le fait de poser les problématiques cartes sur table, notamment celles de planning, pour pallier le manque d'effectifs, avec l'appui des administrations adéquates.

"Pour trouver des solutions, le bon sens voudrait que l'on mette tout le monde autour d'une table. Nous pensons très sincèrement que c'est compliqué de le faire... Mais à notre sens, c'est le rôle du préfet et de l'ARS, qui sont les garants de la sécurité sanitaire de la population."

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