"De Grâce" : Cinq pépites et indiscrétions, à savoir sur la série d'Arte à propos des dockers du Havre

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Portée par un superbe casting, la série "De grâce" met surtout en scène le Havre, personnage principal de ce polar, qui nous plonge dans le monde des dockers, avec en toile de fond les trafics de drogue. Pourquoi cette fiction, diffusée jeudi sur Arte et co-écrite par un havrais, ne laisse-t-elle pas indifférent ?

"De Grâce" raconte l'histoire d'un clan : la famille Leprieur. Le père, figure tutélaire et très respectée,  dans le milieu des dockers, fête son soixantième anniversaire. Cette scène inaugurale nous permet de faire connaissance avec les personnages et d'installer l'intrigue.

Le patriarche, joué par l'excellent Olivier Gourmet, incarne la droiture, ce n'est pas un hasard, si sa très chère fille devient avocate. Mais, ce soir-là, ses deux fils sont mis en examen pour trafic de drogue. Son monde s'effondre, ainsi commence un polar noir et social.

Le Havre : véritable premier rôle de la série

Le générique de début annonce la couleur. Des images d'archives, en noir et blanc, nous indiquent qui joue le personnage principal dans cette fiction : Le Havre et ses dockers. Une histoire ancrée, à l'identité si particulière, liée au port, à la fois lieu d'attache et d'échanges avec le reste du monde. 

Le milieu des dockers présente un fort potentiel dramatique, avec son histoire sociale, ses codes et ses figures très charismatiques. Ils sont aux premières loges du commerce international. Nous voulions montrer la complexité de ce système qui fait parfois d'eux les victimes d'une puissance qui les dépasse, de manière particulièrement dangereuse, concernant le trafic de drogue.

Maxime Crupaux, co-créateur de "De Grâce"

Le Havre n'a pas inspiré que le scénario. Ses allées de conteneurs, très graphiques, son architecture, sa lumière côté mer, le réalisateur devait se montrer à la hauteur de cette ville, qui attire de nombreux cinéastes, depuis que la pellicule existe. 

"C'est une ville émouvante, qui nourrit les fantasmes cinématographiques. Elle s'organise autour de l'extraordinaire église Saint-Joseph, qui est à la fois un clocher, un phare et le symbole de la reconstruction. Nous voulions que cette église polarise également la série, qui interroge la place du sacré dans le monde consumériste", précise Vincent Maël Cardona, le réalisateur de "De Grâce".

Et enfin, le titre se lit à double sens. 

"De Grâce" fait référence au nom que François 1er a donné à ce port quand il l’a fondé, «Le Havre de Grâce». C’est aussi l’imploration de la famille Leprieur face au drame qui se noue, sur lequel elle n’a pas de prise.

Baptiste Fillon, co-créateur de la série

Baptiste Fillon, co-créateur, originaire ... du Havre ? 

Baptiste Fillon, arrêtons-nous sur l'enfant du pays, né au Havre, en 1983. Maxime Crupaux le sollicite, en 2015, pour l'écriture de "De Grâce", leur toute première série. Commence alors une véritable immersion pour rencontrer les habitants, recueillir leurs histoires et arpenter les rues.

Son père, ancien marin, a gardé des contacts au port et petit à petit, le scénario se construit autour de l'univers des dockers. 

Très vite, le personnage de Pierre, qui incarne le Havre, devient une évidence. "Il est tiraillé entre le passé, le syndicat, l'espoir d'une révolution et la nouvelle époque dans laquelle nous vivons. Ce que nous appelons en France, le libéralisme. Il est au centre de ces deux grandes tensions, que nous retrouvons au Havre", précise Baptiste Fillon. 

Le travail sur "De Grâce" m'amène à redécouvrir ma ville, reconsidérer l'architecture de Perret, son ambition d'unité et de ville totale, inscrite dans la mer. Via l’histoire des Leprieur, la série me fait replonger dans les traumatismes passés de l’endroit où j’ai grandi et de ma famille

Baptiste Fillon, co-créateur de "De Grâce"

Baptiste Fillon a déjà publié un roman "Après l'Equateur", paru dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard. Parallèlement à la série, il écrit un roman sur Le Havre, dont l’action, se tient en 1944 et 1984.

Un casting cinq étoiles

Cinq comédiens se partagent l'affiche et défendent avec justesse leur partition. Le père, on l'a dit, est interprété par Olivier Gourmet, qui n'a jamais été mauvais et ce n'est pas aujourd'hui que ça va commencer. Derrière sa voix grave et sa prestance, se cache un homme secret, sensible, qui craint de voir ses idéaux disparaître avec lui.

Contrairement à d'autres, il n'écrase pas ses partenaires et leur laisse de la lumière. Mention spéciale à ces comédiens, qui jouent ses trois enfants.

  • Pierre Lottin, déjà remarqué dans La nuit du 12, campe un fils aîné, impulsif, en conflit avec son père. 
  • Margot Bancilhon joue la fille, devenue avocate, qui prend la défense de ses frères. Fierté de son père, sa mère, elle, lui reproche de renier son milieu. L'actrice a remporté, avec ce personnage, le prix d'interprétation à Séries mania 2023. 
  • Le fils cadet et fougueux prend les traits de Panayotis Pascot, roi du stand-up, auteur d'un roman à succès "La prochaine fois que tu mordras la poussière", le voici acteur, et ses débuts s'avèrent plus que prometteurs. Un nom à suivre, indéniablement. 

D'autres pépites normandes font partie de la distribution. Ne serait-ce que pour voir Gringe, l'acolyte d'Orelsan, interpréter un flic à cheveux longs, aux airs amoureux, la série vaut le coup d'œil. 

Xavier Beauvois, toujours royal. Après son rôle de producteur, dans "Making of", le voici patron du syndicat des dockers, qui manie l'ambiguïté comme jamais. 

Un sujet sensible tourné entre le Havre et Anvers

En prise avec l'actualité, le tournage n'a pas pu se faire intégralement au Havre. Toutes les séquences, montrant le port, par exemple, ont été réalisées à Anvers en 2022. Faute d'autorisation.

Il faut dire que la fiction s'inspire d'une réalité, bien tragique. "Le Havre, précise les producteurs, est devenu la principale porte d’entrée de la cocaïne en France".

Les enjeux financiers sont tels que tout le port et ses acteurs sont mis sous pression. Ces 3 dernières années c’est plus de 20 agressions violentes et 1 assassinat qui ont secoué les docks.

Les producteurs d'"Ego Productions"

Pour le reste, soit 80% des plans, que les havrais se rassurent, ils reconnaîtront leur ville, aux paysages graphiques et terriblement cinégéniques.

"De Grâce" mérite-t-elle le détour ? La battle de la rédaction

Ah ces fameux débats, café à la main, après la conférence de rédaction, on ne s'en lasse pas. Deux séries maniaques ont regardé les six épisodes de la série d'Arte, déjà disponibles sur leur plateforme. 

À ma gauche, Pauline, cherbourgeoise, amatrice de polar noir. À ma droite, Alexis, havrais, qui ne rate aucun tournage sur sa ville. Le mieux reste encore de vous faire votre propre opinion. 

Pauline : "On découvre un monde secret et fermé, rarement traité et pour cause. L'intrigue, plutôt bien ficelée, résonne avec l'actualité et c'est intéressant d'avoir creusé la dimension sociale, voire même politique du sujet, avec ce conflit de générations.

L'image symbolique du Havre, avec sa tradition et son ouverture sur le monde, fonctionne parfaitement pour poser ces questions sur les valeurs, l'évolution de la société et la fatalité. Mention spéciale aux acteurs et au réalisateur, Vincent Maël Cardona, déjà remarqué dans Magnétiques, César du meilleur premier film en 2021. "

Alexis : "Voir, ou deviner, quelques amis dans la figuration ou dans les coulisses de la série est réjouissant. C'est évident, l'équipe a tout donné pour faire une grande et belle série.

Mais de grâce, de grâce...

De grâce, arrêtez de ne parler que des bourgeois. Même quand vous parlez des dockers, vous ne vous intéressez qu'au plus haut rang des dockers, pas des travailleurs de base, qui ne sont dans la série que des figurants à peine visibilisés, dommage.

De grâce, n'abusez pas des voix off de la poésie du quotidien en mode "les entrailles du Havre sont aux mouettes ce que l'écume de nos vies est à la ritournelle de nos existences"

Enfin, de grâce, faites une saison 2, il y a tellement de choses à dire sur le Havre et les Havrais, tellement de pistes à exploiter, de coins à filmer et de clichés à éviter. Filmer Le Havre, c'est voir l'humanité en face dans toute sa splendeur et sa complexité, ses luttes intestines, ses combats internationaux. (comment ça je ne suis pas impartial ?)"

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