REPORTAGE. Présidentielle 2022 : Goderville… Une terre riche d’initiatives, bien loin de la ville

Dans le cadre du dispositif Ma France 2022, nous nous sommes rendus pendant deux jours à Goderville (Seine-Maritime) pour comprendre les préoccupations des habitants avant l’élection présidentielle. Au cœur des discussions… Sur le marché, à deux pas des champs et des commerces, le village de ce pays de Caux nous surprend entre tradition et modernité. On vous raconte.

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À moins de deux mois du premier tour de la présidentielle 2022, qu’est ce qui préoccupe les godervillais ? Depuis décembre 1997, Goderville fait partie de la communauté de communes « Campagne de Caux »,  regroupant 22 communes et représentant plus de 15 000 habitants.

Sur le marché…

Le mardi à Goderville, c’est jour de marché.  Et c’est ainsi depuis le 18ème siècle. Maupassant en a même fait le décor d’une de ses nouvelles (La ficelle). Les godervillais vous diront que c’est une institution, une étape incontournable pour appréhender ce village du pays de Caux et ses 3000 habitants. Direction le centre du bourg, juste en face de l’église. En cette matinée hivernale, dominée par la grisaille et le crachin normand, les allées du marché sont plutôt clairsemées, les marchands moins nombreux qu’à l’accoutumée. 

Olivier Lintot, est primeur. C’est un habitué du marché de Goderville depuis 25ans. Sa bonne humeur et sa gouaille ont séduit une clientèle d’habitués. « Au début quand j’ai commencé, j’avais 6 mètres carrés. Aujourd’hui, regardez j’ai trois fois plus », dit-il fièrement. Ici, il connait tout le monde et prend le temps de discuter avec chacun. Deux dames, d’un certain âge, s’arrêtent pour faire leurs emplettes. J’engage la conversation. Elles ne sont pas originaires de Goderville mais sont venues s’y installer à la retraite. «Ici,  il y a tout : des commerces, des services, des associations. Avant j’habitais au milieu des champs et il n’y avait plus rien. Il fallait prendre la voiture pour tout. Et vu mon âge, c’était plus possible ». L’une est femme d’agriculteur, l’autre femme de commerçant. Elles me confient, amusées, que « les trois quarts des habitants de Goderville sont des retraités »

Goderville serait-il l’eldorado des aînés ? Ce n’est pas faux, à en croire les chiffres de l’Insee, les plus de 60 ans sont ces dernières années les plus nombreux à emménager.

Et les plus nombreux aussi sur le marché. Quelles sont leurs préoccupations en cette année présidentielle ? « Vous savez avec 340 euros de pension, heureusement que j’ai mon mari. Sinon je ne pourrais pas vivre. » Pour sa voisine, l’inquiétude se concentre autour des enfants et des petits-enfants : « Que feront-ils ? Le travail, c’est compliqué ici. »  Olivier, le primeur, renchérit : « c’est aussi difficile de recruter du personnel et de le garder ! »

À Goderville, le taux de chômage avoisine les 10%. Il est supérieur au chiffre national, de 8,1%  (dernier trimestre 2021).  
Au fil de la matinée,  les clients s’enchainent,  et les discussions  aussi. Sans surprise : le pouvoir d’achat, les pensions de retraite et le manque de médecins arrivent en tête… 

Micro trottoir à Goderville : Quelles sont les préoccupations des habitants en cette année présidentielle ? ©Bénédicte Drouet / France 3 Normandie

Et pensez-vous qu’un candidat aux élections changera les choses ? A cette question, les interlocuteurs gardent souvent le silence. N’oublions pas que dans la campagne cauchoise, nous sommes en pays de taiseux. Pour les uns, on ne parle pas de politique à une inconnue, et encore moins à une journaliste. Pour les autres, la politique on n’y croit plus. Tout juste me dit-on, du bout des lèvres et avant de remballer, qu’on ira voter bien sûr, mais on ne sait pas encore pour qui.
Lors des dernières élections présidentielles, au premier tour, Marine Le Pen est arrivée en tête à Goderville, et dans les villages autour.   

Une ville de campagne, comme beaucoup d’autres

Aujourd’hui à Goderville, la voiture est reine. Des lotissements ont fleuri. Et une zone artisanale s’étend en périphérie du village.  Il est loin le temps ou  la gare vivait au rythme des six allers-retours quotidiens. La gare a fermé en 1987. Tout comme les usines d’autrefois : linerie, corderie, briqueterie. Pour travailler, il faut prendre la voiture pour se rendre au Havre, à  Fécamp ou dans la zone industrielle. Les écoles et le collège résistent toujours malgré les fermetures de classe. Quant aux médecins, le dernier arrivé a choisi de partir. « Trop de patientèle », dit-on. Il avait plus de 3000 patients, soit la population totale de la ville.

Vous me direz que le portrait que je dresse de Goderville, pourrait être le même dans beaucoup de petites villes de France.
S’arrêter là… Serait une erreur.  Car en passant du temps dans le bourg, et en échangeant avec les habitants, on sent un frémissement, un dynamisme qui souffle sur ce territoire rural. 

Goderville, labellisée « Petites villes de demain »

Et celui qui l’insuffle peut être en premier, c’est le maire, Frédéric Carlière (sans étiquette) élu il y a deux ans. Nous le rencontrons à l’issue du marché. Cet ancien conseiller municipal et godervillais depuis 20 ans se bat pour dynamiser le village. Sa priorité : attirer de nouveaux habitants, et plutôt des jeunes.

Il y a un an et demi, Goderville a décroché le label  « Petites Villes de Demain ». Programme qui permet aux villes de moins de 20 000 habitants de bénéficier d’un soutien de l’Etat pour mettre en œuvre leurs projets de revitalisation. Objectif : rajeunir le centre-ville et le rendre plus accessible et le désengorger des voitures en créant un parking et en aménageant des zones piétonnes.
Les travaux ont déjà commencé. Une rue a totalement été réaménagée.

Autre volet : le logement. « Vous voyez au dessus des commerces, il y a plein d’appartements vacants. Il y en aurait une centaine. On pourrait les louer. ». Le maire envisage aussi d’aménager des logements dans une ancienne école et construire près de 300 habitations dans les prochaines années.

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Frédéric Carlière, maire de Goderville, ville labellisée « Petites villes de demain » ©France 3 Normandie

Mais pour attirer des habitants, Frédéric Carlière doit se pencher aussi sur la question du travail et des transports. C’est à l’échelle de l’intercommunalité que ça se discute. Plusieurs projets sont à l’étude. « On aimerait créer un pôle multimodal avec des arrêts de bus, du covoiturage. On réfléchit aussi à un projet de taxi-train électrique qui pourrait emprunter l’ancienne ligne de chemin de fer. », confie le maire. Des projets sur le long terme.
En attendant un cabinet d’ophtalmologistes est en cours de construction. Il devrait ouvrir au printemps. Une bonne nouvelle pour le territoire. 

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La ville de Goderville retenu dans le cadre du programme "petites villes de demain" ©Bénédicte Drouet / France 3 Normandie

La mode s’invite aussi à la campagne !

Deux pharmacies, un caviste, une esthéticienne, des banques… Situé sur un axe passant entre Fécamp et Le Havre, Goderville est un village attractif. Et depuis la fin de l’année 2018, une boutique de vêtements pour femme active a ouvert. La seule dans le bourg !

Située juste à côté de la graineterie, qui existe depuis plus de 30 ans, Delphine Coudoux nous accueille. A l’intérieur, une décoration moderne aux influences industrielles et des vêtements à des prix abordables. Comptez 25 euros le chemisier.   

« A mes 40 ans, j’ai décidé de me lancer et de réaliser mon rêve », dit-elle avec un grand sourire. Cette ancienne salariée a d’abord ouvert un showroom chez elle, à Sausseuzemare-en-Caux, avant de trouver ce local à louer de 30 mètres carrés. « Je voulais m’installer à la campagne. J’ai fait une étude de marché. Ici, il n’y avait pas de magasin de vêtements alors qu’à Fécamp, il en y a beaucoup ! » Depuis la jeune commerçante est satisfaite. « J’ai ma clientèle d’habituées qui viennent des villages aux alentours, parfois de Fécamp et même du Havre. Ma première année d’activité a été excellente.» 

Et après deux ans de crise sanitaire, Delphine ne regrette pas son choix.  Aujourd’hui, elle voit même plus grand. Son projet : trouver un local plus vaste et mieux situé. Mais c’est le parcours du combattant. « Il y a très peu de case commerciale vide à Goderville. J’avais vu un local mais le loyer est trop cher et je ne peux pas me permettre. Il faudrait qu’on nous aide, nous aussi, les petits entrepreneurs.»

Même constat pour Ornella Fagot. A 27 ans, cette ancienne salariée dans la logistique à Sandouville souhaite ouvrir un commerce de bouche. Un changement de vie. Licenciée lors de la crise du covid, elle cherche un local en centre-ville depuis des mois. Sans résultat pour l’instant.  Il y a deux ans, elle a acheté une maison à Goderville qu’elle retape. «  Même s’il faut prendre la voiture pour aller travailler. Le confort de vie, ca n’a pas de prix. Le village est dynamique, il y a beaucoup d’associations sportives et culturelles.»  Selon elle, les jeunes sont de plus en plus nombreux à s’établir dans le petit village.  

Jeunes des villes, jeunes des champs

Et parmi eux… Lisa, Pauline et Laurie. Elles ont choisi la campagne pour y vivre et pour y travailler…

Ces trentenaires au profil atypique : coach sportive, conseillère en fleurs de Bach et animatrice écolo se retrouvent régulièrement au Nichoir, un espace de coworking à la ferme. L’ambiance est zen et studieuse. De nombreux pots de fleurs décorent la pièce principale, une guirlande lumineuse façon « guinguette »  éclaire les poutres du plafond et les grandes baies vitrées ouvrent sur le jardin. « C’est agréable de travailler ici : on est au calme, on entend les oiseaux chanter. Et on rencontre des gens », nous explique Lisa. Elle s’est installée il y a un an à Goderville par amour. Cette stéphanoise (habitante de Saint-Etienne) a suivi son compagnon. « Le premier confinement a été décisif. Mon ami ne supportait plus la grande ville. Il voulait revenir à ses racines.».

Elle, coach sportive de formation, a du s’adapter. «Vous savez, j’ai vécu dans un petit village en Irlande. C’était la campagne comme ici. Mais c’est vrai que quand je suis arrivée toutes les salles de sport étaient fermées. Et être coach sportive à Goderville, ce n’est pas évident.» Du coup, la jeune femme dynamique multiplie les initiatives. Elle développe le  coaching sur Internet, confectionne des programmes pour manger sain et équilibré et se lance même dans l’activité traiteur.   « Tout ça, c’est grâce à Marjorie et au Nichoir. »

Le premier coworking en France porté par des agriculteurs

Marjorie Lambert, fondatrice du Nichoir coworking

Mère de trois enfants, femme d’agriculteur, consultante et fondatrice du Nichoir coworking. Marjorie Lambert est une femme active. 

Dynamique et souriante, elle a toujours mille projets en tête.  «  Le nichoir est né pendant le confinement. Nous avons aménagé les 150 mètres carrés de cette ancienne charreterie en espace de travail convivial et ressourçant. On peut accueillir des indépendants, des groupes en séminaires et on a même une chambre d’hôte.  »

Au cœur d’un clos masure, entouré de 5000 arbres, avec des chèvres et des vaches, le lieu a ouvert ses portes en septembre dernier.

« L’idée était de rapprocher les agriculteurs et les urbains.  Et d’accompagner les porteurs de projets. » Explique Marjorie. « J’ai des coworkers qui viennent de Paris se mettre au vert quelques jours. Mais la plupart, viennent des villages. Ca leur évite de faire des kilomètres pour aller en ville. Ca répond vraiment à une demande de proximité», conclut-elle.

Et en quelques mois d’existence, le Nichoir a déjà sa communauté. Des entrepreneurs qui ont trouvé ici l’envie de travailler, de développer leurs projets  tout en respectant leurs convictions et leurs valeurs. Pour Marjorie, la dynamique est enclenchée, le pari gagné.

 Recyclage et réinsertion

Et des acteurs du territoire comme Marjorie, Goderville en compte d’autres…

Depuis 22 ans, l’association AMPRESSE (Association Matière Première Recyclable Emploi Social Service Entraide)  aide des femmes et des hommes à retrouver le chemin de l’emploi. Plus d’une centaine de personnes ont bénéficié de leurs services. « On doit être l’un des plus gros employeur après Carrefour Market », explique Gervais Goupi, le président. Dans cet immense hangar, construit en périphérie, on vend des vêtements, des meubles, des livres de seconde main… « Aujourd’hui c’est dans l’air du temps. Mais en 1999, c’était plutôt précurseur. »

Au fond du hangar, derrière la porte rose, ce ne sont que des femmes. Elles trient, rangent et mettent en rayon. L’association compte neuf salariées, toutes étaient sans emploi ou au RSA avant d’arriver ici. « On travaille avec les missions locales de Lillebonne et de Fécamp et le Pôle Emploi. Elles ont des contrats d’un an en général et durant cette période on leur paie une formation.» nous explique le président.

Grâce aux ventes, l’association paie le loyer, les salaires et les formations. Bien sûr, elle touche des subventions. Selon lui, la majorité des personnes en réinsertion a retrouvé un emploi stable.

Virginie est ici depuis deux ans : «  Moi je m’occupe uniquement des jouets.»  A 38 ans, Virginie était couturière chez elle. Elle touchait le RSA. « Ici, il y a une bonne ambiance. J’ai des collègues, une vie sociale. C’est important. » Et un avenir aussi.
Virginie va signer un CDI au printemps prochain au sein de l’association . Et c’est sur cette note d’optimisme que je quitte Goderville. Malgré la pluie et la grisaille de février, la ville a su me surprendre, et ses habitants me toucher.

 Goderville en quelques chiffres

    • Population : 2863 habitants (20)
    • Taux de chômage : 10%  (au quatrième trimestre2020)
    • Revenu médian annuel des habitants : 21 760 euros (2018).

      C’est 4,57% de plus que dans l’ensemble de la France Métropolitaine (21 730 euros) 

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